Les interventions en séance

Affaires sociales
05/10/2010

«Projet de loi portant réforme des retraites»

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis.

Si ce vieillissement n’est que la contrepartie de l’augmentation de l’espérance de vie, il n’en reste pas moins source de tensions pour notre système de retraite, durablement fragilisé par la crise. Comme les mesures de gestion de la dette sociale, le présent projet de loi est donc dicté par l’urgence.
Quatre thèmes ont été au cœur des préoccupations de la commission des finances : l’équilibre financier de la réforme, les régimes de retraite des fonctions publiques et des régimes spéciaux, la politique de l’emploi et l’épargne retraite.
En premier lieu, la redéfinition du financement de notre système de retraite répond à un impératif.
En 2011, le déficit de l’ensemble des régimes devrait s’élever, sans réforme, à 32,2 milliards d’euros : un tiers des prestations légales « vieillesse » versées par le régime général ne serait pas financé.
La présente crise de financement a conduit le Gouvernement à privilégier une révision des modalités traditionnelles de financement, notamment l’augmentation de la durée d’assurance par le recul des bornes d’âge. Pour la commission des finances, il s’agit là d’un premier pas indispensable, logique et conforme à l’esprit de notre système.
D’ici à 2018, avant réforme, le déficit cumulé des régimes de retraite serait évalué à 310 milliards d’euros, soit un montant supérieur aux crédits du budget de l’État pour 2011 !
Ce chiffre, qui se fonde sur les projections du Conseil d’orientation des retraites, est toutefois biaisé, car il n’intègre pas l’augmentation des taux de cotisation de l’État employeur pour ses agents entre 2000 et 2010. Si l’on prend en compte cet effort, le besoin de financement d’ici à 2018 est ramené à 185,3 milliards d’euros.
Les mesures d’âge permettront de couvrir près de 60 % de cette somme. II convient toutefois de souligner que cette évaluation repose sur un modèle de projection « tous régimes », que la commission des finances ne juge pas optimal.
Les mesures d’âge, qui constituent le point central du volet financier de la réforme, sont accompagnées par trois autres catégories de mesures.
La première concerne le basculement des cotisations chômage sur les cotisations vieillesse. Je reste dubitatif quant au principe de ce transfert, et plus encore quant à l’ampleur de ce dernier.
En effet, déjà prévue par la réforme de 2003, l’opération semble difficile à concrétiser. Si nul ne souhaite que le taux de chômage actuel reste constant jusqu’en 2020, la commission des finances estime toutefois que les hypothèses de chômage retenues à l’horizon 2020-2025 sont particulièrement optimistes : 5,7 % en 2020 et 4,5 % en 2024. Or, depuis 1985, le taux de chômage fluctue autour de 9 % de la population active et le taux de chômage structurel de la France se situe actuellement aux alentours de 8 %.
La deuxième mesure a trait à l’augmentation des recettes fiscales et sociales affectées à la sécurité sociale. Nous aurons l’occasion d’examiner ces mesures lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances. Elles vont, selon moi, dans le bon sens. Je note en particulier que les dispositifs touchant l’impôt sur le revenu seront exclus du calcul du bouclier fiscal, ce qui, monsieur le ministre, était, je le crois, le minimum « syndical »...à l’heure où l’on demande un effort supplémentaire à l’ensemble des Français.
La troisième mesure consiste en une redéfinition de la contribution de l’État qui, contrairement à ce qui avait été annoncé en juillet, sera légèrement plus élevée qu’initialement, afin de permettre la prise en charge de certaines mesures ide solidarité par ce dernier.
L’ensemble de ces mesures ne permettrait pas de couvrir la totalité du besoin de financement d’ici à 2018. Avant le débat par notre assemblée, 56,7 milliards d’euros – je parle en euros 2008 constants – resteraient à financer au cours des huit prochaines années. Ce chiffre tient compte à la fois des votes de l’Assemblée nationale, c’est-à-dire de l’augmentation des dépenses du système à hauteur de 5,4 milliards d’euros, mais également de la révision des hypothèses macroéconomiques intervenue en septembre. Cette dette doit être partiellement reprise par la CADES entre 2011 et 2018, grâce à l’adossement du Fonds de réserve pour les retraites à cette dernière.
La commission des finances souligne par ailleurs que la recherche de l’équilibre ne permet pas d’éviter des dépenses connexes qui, si elles ne concernent pas à proprement parler le système de retraite, touchent les finances publiques.
À ce titre, je rappelle que le budget de l’État prend en charge, notamment, les subventions d’équilibre d’un certain nombre de régimes spéciaux, dont le montant est appelé à croître à court terme. Pour la seule SNCF, celles-ci s’élèvent à 3 milliards d’euros par an jusqu’en 2020.
Je note aussi, par exemple, que la prolongation bienvenue du versement de l’allocation équivalent retraite, l’AER, aux personnes qui en bénéficient au 31 décembre de cette année, et qui sont concernées par les nouvelles « bornes d’âge », pèsera en particulier sur l’État, principal financeur du Fonds de solidarité qui gère cette prestation.
Le présent projet de loi présente plusieurs mesures de solidarité. La commission des finances se félicite de ces propositions, car l’équilibre entre les logiques assurantielle et distributive est un exercice ardu en période de crise.
Deux remarques doivent cependant être formulées : d’une part, ne cherchons pas, au nom de l’équité, à vouloir apporter des réponses à des questions qui ne ressortent pas fondamentalement des missions de notre système de retraite. D’autre part, en se concentrant sur les missions premières de ce système, missions qui ont été rappelées par la commission des affaires sociales et son excellent rapporteur dans le cadre de l’article 1er A du projet de loi, il me paraît nécessaire de poursuivre la clarification des dépenses contributives et non contributives en matière de retraite, les premières étant financées par les cotisations des assurés, et les autres par l’impôt.
À ce titre, l’augmentation des recettes fiscales affectées au financement des retraites devrait permettre d’engager ce travail dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011. Le financement de la solidarité sera d’autant mieux accepté et fort que le lien contributif sera préservé et lisible.
En deuxième lieu, la réforme des systèmes de retraite de la fonction publique apparaît aujourd’hui doublement nécessaire.
Il s’agit, d’une part, d’une mesure d’équité, car si la réforme de 2003 a permis une amorce de la convergence entre les secteurs public et privé, des spécificités demeurent encore dans la fonction publique.
Il s’agit, d’autre part, de raisons de soutenabilité financière. Les projections actualisées du COR font en effet apparaître un besoin de financement pour les régimes de retraite de la fonction publique de près de 20 milliards d’euros en 2015, soit environ la moitié du besoin de financement total des systèmes de retraites, comprenant le régime général, la fonction publique et les indépendants. L’augmentation continue de la part financée par l’État ne peut, à elle seule, constituer une réponse soutenable pour les finances publiques.
Dans le présent projet de loi, les dispositions proposées par le titre II, relatif aux mesures d’âge, et le titre III, concernant les mesures de rapprochement entre régimes, apportent des éléments de réponse bienvenus et opportuns à ces deux problématiques.
Cependant, des marges d’amélioration en vue d’une plus grande équité entre assurés demeurent. En particulier, la commission des finances regrette, d’une part, que les catégories dites « actives » de la fonction publique ne fassent pas l’objet d’un réexamen, d’autre part, que la présente réforme ne s’applique que de façon différée aux régimes spéciaux de retraite.
En troisième lieu, tout en reconnaissant que le débat sur la pénibilité soulève des questions importantes, la commission des finances s’interroge sur son interaction avec le débat sur l’avenir de notre système de retraites.
En effet, la problématique de la pénibilité ne relève pas prioritairement des systèmes de retraite, mais davantage des conditions de travail.
L’orientation des mesures proposées par le présent projet de loi, mesures considérablement enrichies par nos collègues députés, en atteste d’ailleurs indirectement : l’accent est mis sur la prévention et la santé au travail ; son financement sera assuré par la branche accidents du travail-maladies professionnelles, par le biais des cotisations employeurs.
Enfin, en quatrième lieu, s’agissant de l’épargne retraite, la commission des finances a souhaité poursuivre la démarche de soutien engagée par l’Assemblée nationale. Elle a précisé les modalités d’application de certaines dispositions du texte, en cherchant à restaurer un certain équilibre entre les deux branches de l’épargne retraite que sont les produits de type assurantiel et ceux de l’épargne salariale.
Il est essentiel que le dispositif législatif propose des contrats d’épargne retraite les plus diversifiés possible aux épargnants afin de leur permettre d’arbitrer de manière optimale entre les différents produits existants.
Toutefois, la commission des finances appelle de ses vœux une réflexion globale portant sur l’articulation cohérente des différents produits d’épargne retraite et, corrélativement, sur leur fiscalité, en soulignant que cette dernière ne devrait en aucun cas constituer l’unique objectif de la souscription de tels produits.
Au total, la réforme présentée constitue, pour tous ceux qui sont attachés à la sauvegarde du régime par répartition, une étape indispensable, car elle est dictée par l’urgence.
À ce titre, la commission des finances a donné un avis favorable à l’adoption des articles du titre II, dispositions applicables à l’ensemble des régimes, mesures d’âge, du titre III, mesures de convergence, du titre IV, pénibilité du parcours professionnel, du titre V, mesures de solidarité, du titre V bis, emploi des seniors, et, enfin, du titre V ter, épargne retraite, sous réserve de l’adoption de ses amendements.
Toutefois, aussi nécessaire soit-elle, cette réforme ne permet pas de garantir la soutenabilité financière à long terme de notre système. Elle met fortement à contribution le budget de l’État et repose sur le pari de l’amélioration de l’environnement économique.
Mes chers collègues, mettons donc à profit les prochaines années pour réfléchir à une réforme de fond de notre système qui, dans sa configuration actuelle, aura des difficultés à relever le défi démographique à compter de 2020. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)