Les interventions en séance

Agriculture et pêche
Jean-Jacques Lasserre 05/05/2014

«Proposition de loi relative à l’interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié »

M. Jean-Jacques Lasserre

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord remercier M. le président de la commission des affaires économiques pour l’organisation des débats, leur qualité et la liberté de parole dont les membres de la commission bénéficient. Comme je l’ai dit à cette tribune voilà quelque temps, nous débattons donc cet après-midi d’un sujet qui nécessite la plus grande attention, la plus grande mesure et, me semble-t-il, le plus grand discernement. Rappelons que, avec les organismes génétiquement modifiés, nous abordons des sujets qui ont à la fois une envergure locale, nationale et européenne. Ils touchent nombre de domaines : la santé, l’agriculture, la recherche, l’économie, l’environnement. Ils suscitent toujours beaucoup d’interrogations et d’incertitudes, trop souvent de l’incompréhension. Le texte que nous examinons aujourd’hui, qui a le mérite d’être vite lu (Sourires.), est parfaitement similaire à la proposition de loi de notre collègue Alain Fauconnier, dont nous avons été saisis voilà quelques mois. Nous pouvons noter la persévérance, voire l’obstination de la majorité, malgré le rejet du premier texte... Notons également l’évolution de l’initiative parlementaire et gouvernementale : à l’origine, il y avait un texte portant sur l’interdiction de la variété Monsanto 810 ; à l’arrivée, on trouve l’interdiction de mise en culture de toutes les variétés de maïs OGM. Il faut aussi noter, dans l’intervalle, un arrêté ministériel, datant du 14 mars dernier, « interdisant la commercialisation, l’utilisation et la culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié » ! Je pense qu’il est fondamental d’aborder cette thématique des organismes génétiquement modifiés en restant le plus possible éloigné des positions de principe figées et du débat stérile « pour ou contre », dans lequel chacun, trop souvent, s’arc-boute, en usant toujours des mêmes arguments ! Nous sommes tous conscients des problèmes que soulèvent les OGM ; nous ne sommes pas aveugles, ni bornés – enfin, je l’espère ! Toutefois, ne commettons pas l’erreur dramatique de condamner des éléments primordiaux, comme cela a été dit. Il faut protéger la recherche, l’expérimentation, et l’affirmer. Mieux vaut la redondance que l’absence d’affirmation. Des actes comme le fauchage, à Colmar, en 2010, de parcelles de vignes expérimentales transgéniques de l’INRA ne sont pas tolérables ! De même, je pense qu’il est très important, en ce moment, de donner des signes à l’ensemble de la communauté scientifique, à ceux de nos chercheurs qui ont fait le choix de rester dans notre pays et qui sont totalement démobilisés. Des recherches scientifiques doivent être menées ou poursuivies, pour plusieurs raisons qui nous paraissent fondamentales. Ainsi, certaines recherches vont déboucher sur l’utilisation très réduite des intrants chimiques, en particulier des engrais azotés. D’autres qui sont conduites en ce moment vont aussi déboucher sur des caractéristiques intéressantes pour l’humanité ; il s’agit notamment de plantes résistantes à la sécheresse, nécessitant beaucoup moins d’apports en eau, l’aspect écologique entrant ici en considération de façon très positive. De surcroît, lorsque l’on voit l’évolution démographique de la planète et la sous-alimentation qui touche une très grande partie de l’humanité, les recherches de solutions sont une évidente nécessité. Voilà quelques atouts qui, à mon sens, méritent d’être considérés. Le fond du débat consistera bien entendu à éliminer le risque et à éviter la quête de profits financiers, qui ne doivent en aucun cas être le seul objectif de la recherche – cela a déjà été dit, et nous souscrivons à cette position. Mais pourquoi la France devrait-elle se priver du progrès et de la recherche ? Regardons autour de nous : de nombreux pays d’Europe, et ailleurs de par le monde, ont une attitude diamétralement opposée. Le principe de précaution n’est pas et ne doit pas être synonyme de stagnation ! Je ne dis pas qu’il faut utiliser les OGM librement et abusivement, loin de là – je tiens à le répéter –, mais nous pensons que la mesure du risque doit être, et peut être encore mieux appréhendée. Néanmoins, il y a des risques, comme je le disais voilà quelques instants. Ne les négligeons pas. Je pense à l’apparition de biorésistances, qui existe chez les insectes et les plantes, et qui touchera peut-être un jour les animaux. Il y a aussi des risques de propagation incontrôlée des pollens, avec, bien entendu, de véritables dangers d’irréversibilité, mais nous savons qu’ils peuvent se circonscrire – le monde semencier a déjà prouvé depuis longtemps, en matière d’hybridations, que des pollinisations désordonnées peuvent être limitées. Nous avons bien conscience de toutes ces conséquences environnementales liées aux OGM. Il faut prendre la mesure du risque, toute la chaîne biologique pouvant, bien entendu, en supporter les conséquences. La mesure du risque doit concerner, aussi, l’alimentation humaine. Nous l’affirmons : nous devons être très vigilants quant à la maîtrise de ce risque. Et, justement, c’est là que nous devons intervenir, c’est là que le législateur doit jouer pleinement son rôle ! Je ne pense pas qu’il faille produire une loi pour chaque espèce – c’est un peu ce qui nous attend, au bout du compte, avec le Monsanto 810. Il est évident que cette loi ne réglera pas tous les problèmes. Nous pensons toutefois véritablement qu’un cadrage plus global serait nécessaire à l’heure actuelle. Je vous ai écouté très attentivement, monsieur le ministre : c’est sur ce point que nous devrions engager nos réflexions et nos discussions, car c’est un véritable enjeu pour l’avenir de l’agriculture. Il est regrettable que nous ne l’ayons pas fait lors de l’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt… Pourquoi donc préférer inscrire à notre ordre du jour des propositions de loi sur les OGM en procédure accélérée, plutôt que d’inscrire cette thématique dans le projet de loi d’avenir ? Je n’insisterai toutefois pas sur ce point, qui appartient déjà au passé, monsieur le ministre, et me contenterai de noter vos engagements pour l’avenir. Cela étant dit, nous ne pourrons pas nous réunir et écrire une nouvelle loi chaque fois qu’un obtenteur demandera l’inscription au catalogue d’une nouvelle variété ! Monsieur le ministre, évitons les effets d’affichage et les textes symboliques sur des variétés bien connues. Entrons enfin dans le vif du sujet avec un cadrage général, une loi plus globale pour tous les organismes ou les plantes génétiquement modifiés.
Et, à mon sens, cela commence par une réglementation de la recherche et de l’expérimentation, au-delà des signes que nous devons adresser à la communauté scientifique, d’autant que la France est en pointe sur les évolutions technologiques, mais aussi pour ce qui est de la demande de renforcement des contrôles. Les recherches ne doivent pas être conduites sans sécurité ni garde-fou.
Rappelons que nous avons notamment, en France, le Haut Conseil des biotechnologies, qui évalue, entre autres choses, l’impact sur l’environnement et la santé. De surcroît, au niveau de l’Union européenne, cette fois, nous savons qu’il n’existe pas de consensus pour interdire la culture de maïs OGM en Europe.
Dernièrement, le maïs TC 1507 du semencier Pioneer l’a montré aisément.
Le contexte européen est donc propice à une censure de cette nouvelle proposition de la loi. C’est notamment pour cela que nous avions voté une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité lors de l’examen de la première proposition de loi similaire, en février dernier. Il n’existe, à l’heure actuelle, aucun consensus pour interdire le maïs OGM en Europe, ce qui est encore problématique pour le texte que nous examinons aujourd’hui. Et je reconnais la difficulté qu’il y a à trouver une position acceptée et applicable par tous les États, dès l’instant qu’une grande partie des territoires européens ne sont pas concernés par le débat sur la production de maïs. Notre souhait est clair : nous voulons sortir d’un texte de circonstance, saisonnier, pour porter le débat à un autre niveau. Je le redis, les principes de précaution s’imposent. Les mesures des incidences doivent se perfectionner et s’inscrire dans le temps. Nous voulons inscrire le droit à la recherche et à l’expérimentation dans cette loi. Cela va mieux en le disant. Cela méritera, par voie de conséquence, une réflexion et un contrôle public par rapport aux objectifs de la recherche – en l’occurrence, la puissance publique a assurément un rôle à jouer. Toutes ces raisons m’amènent, une fois de plus, à penser que, en l’état, il nous sera difficile de voter pour ce texte. Mais nous nous m’exprimerons, en fin de discussion, sur les positions des membres du groupe UDI-UC. (Mme Chantal Jouanno et M. Jean Bizet applaudissent.)