Les interventions en séance

Culture
Catherine Morin-Desailly 05/05/2011

«Proposition de loi relative au prix du livre numérique»

Mme Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après de nombreux et passionnants débats sur le livre numérique, nous sommes aujourd’hui réunis pour adopter définitivement un texte proposé par le président de notre commission, Jaques Legendre, et par notre collègue Catherine Dumas, que je tiens à féliciter pour tout le travail accompli. Je tiens également à souligner l’important investissement de notre collègue Colette Mélot, rapporteur de ce texte, qui a ardemment défendu les positions de notre assemblée tout au long de la navette parlementaire. Nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion d’exprimer notre position sur le livre numérique, les enjeux qu’il représente et les nouveaux défis qu’il nous impose de relever. C’est vrai pour les acteurs du secteur, mais pas seulement. C’est vrai pour tous ceux qui, comme un certain nombre d’entre nous, défendent une certaine idée de la culture – j’y reviendrai tout à l’heure. Je voudrais tout d’abord, à mon tour, exprimer ma satisfaction de voir qu’à l’issue du travail des assemblées nous avons trouvé un compromis satisfaisant pour tous les acteurs de la chaîne du livre. Par ce texte, auteurs comme éditeurs se voient assurés d’une rémunération juste et équitable, en toute transparence sur les coûts supportés dans l’univers du numérique. Les libraires, auxquels il reste notamment un gros effort d’adaptation à faire pour la mise en place de plateformes collectives, voient leur rôle réaffirmé. Enfin, les lecteurs se voient garantir le maintien d’une offre riche, diversifiée et raisonnable grâce au principe du prix unique du livre appliqué à la version numérique des œuvres. Ensuite, je me réjouis que nos arguments aient été entendus par nos collègues députés, qui se sont ralliés à notre volonté d’imposer le même prix de vente, en France comme à l’étranger, pour un livre numérique édité dans l’Hexagone, avec l’adoption de la fameuse clause d’extraterritorialité figurant à l’article 3 de la présente proposition de loi. C’est évidemment, monsieur le ministre, un signal fort que nous adressons tant aux professionnels qu’à Bruxelles. Il en est de même, d’ailleurs, de l’adoption d’une TVA à 5,5 % pour la version informatique de l’œuvre comme pour la version papier. À vous, monsieur le ministre, qui à juste raison avez défendu lors d’une réunion avec les ministres européens de la culture à Budapest, le 28 mars dernier, ce même taux de TVA réduit sur l’ensemble des biens culturels et des services culturels, quel que soit leur mode de distribution, je me permets de rappeler que, chez nous, cela n’a pas été une mince affaire, le Gouvernement y étant dans un premier temps opposé. Ce fut une discussion âpre et argumentée – je parle en connaissance de cause – qu’il fallut mener en loi de finances pour le seul livre numérique ! Cela étant dit, quelle que soit notre satisfaction ce soir, il nous reste à mener une vraie bataille de convictions au niveau communautaire. Ce ne sera pas facile, si l’on considère que le cadre fiscal européen actuel n’est guère propice à l’adaptation au nouvel environnement numérique des dispositions par ailleurs favorables au secteur culturel. À vrai dire, si l’on y songe, il est complètement absurde que les États membres puissent appliquer des taux de TVA réduits à certains biens culturels mais doivent appliquer le taux normal aux mêmes biens sous une autre forme. C’est le cas des livres ou des journaux électroniques dans leur version dématérialisée, qui, subitement, répondent à la notion non plus d’œuvre mais de service ! On voudrait encourager le piratage que l’on ne s’y prendrait pas autrement ! Et tout cela sans doute en pensant protéger les commerces traditionnels… Il est donc urgent de mettre en place des taux de TVA réduits pour la mise à disposition des biens culturels sur tous les supports, afin de ne pas pénaliser la distribution numérique en devenir et, au contraire, d’encourager le développement des offres légales. De la même manière, l’Europe doit mettre un terme à une situation aberrante de dumping qui permet à des entreprises, notamment extracommunautaires – vous savez à qui je fais allusion –, de délocaliser leurs services au cœur même de l’Europe pour échapper à la fiscalité de certains États et aux obligations de soutien à la création, contrairement aux principes de la directive sur les services de médias audiovisuels. Ne pas se battre au niveau communautaire pour exiger cette harmonisation nous conduit en désespoir de cause à imaginer, à l’échelle nationale, des solutions aussi inefficaces que dangereuses d’un point de vue économique. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la fameuse « taxe Google » que notre assemblée a cru bon de voter au mois de décembre dernier répond certes à une bonne question, mais apporte une très mauvaise réponse. Ainsi, alors que nous vivons un développement sans précédent de l’industrie du numérique, une adaptation harmonisée du taux de TVA favoriserait la compétitivité des acteurs européens face aux géants américains et éviterait que les professionnels français ne paient une charge fiscale supplémentaire par rapport à leurs voisins. Il y va de l’avenir de la création et des industries culturelles, mais vous en êtes tous convaincus. Cette harmonisation permettrait d’ailleurs d’afficher une réelle politique culturelle européenne, incarnation de la richesse et de la diversité des vingt-sept États membres. Pour ce faire, revendiquons bien sûr, madame le rapporteur, la Convention de l’UNESCO de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Rappelons enfin que notre vote de ce soir intervient alors que la Commission européenne mène une réflexion, dans le cadre de sa « stratégie numérique pour l’Europe », sur une possible révision de sa politique fiscale. Un Livre vert sur l’avenir de la TVA a été publié en décembre dernier. C’est donc bien le moment pour notre gouvernement, dont Jacques Toubon est l’ambassadeur en la circonstance, de faire entendre la voix de ce qui semble être le bon sens. J’en viens à la dernière remarque que je tenais à faire à l’occasion de cet ultime débat. Mes chers collègues, nous tentons aujourd’hui d’apporter une réponse adaptée à un secteur en développement qui dépasse d’ailleurs la seule filière du livre. Celle-ci ne sera peut-être que transitoire. On mesure en effet à quel point, dans le domaine du numérique, les choses sont complexes, car extraordinairement évolutives. C’est toute une nouvelle économie émergente dont il convient d’accompagner – à défaut d’imaginer – les nouveaux modèles, tout en respectant la chaîne des valeurs pour les créateurs, quels qu’ils soient. Ces dernières années ont été l’occasion de débats au Parlement au cours desquels se sont souvent affrontés les acteurs de ce nouvel univers, dont les intérêts sont à première vue divergents, notamment, pour faire simple, sur les tuyaux et sur les contenus. Or l’expérience nous montre progressivement que c’est de manière transversale et globale, et non sectorielle, qu’il nous faut penser. À cet égard, monsieur le ministre, j’ai apprécié que vous nous annonciez, lors du récent colloque du Conseil supérieur de l’audiovisuel sur la télévision connectée, avoir confié, en lien avec votre collègue Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, à cinq professionnels représentatifs du secteur la mission « d’identifier les enjeux de régulation et de compétitivité liés à la TV connectée et d’en prévenir les effets sur les équilibres de la production et de la diffusion audiovisuelle ». En revanche, comme plusieurs de mes collègues, j’ai beaucoup moins apprécié, et je ne m’en suis pas cachée, la disparition du Forum des droits sur l’internet, instance dont les missions méritaient certes d’être développées, mais qui présentait l’avantage de porter un regard global sur ce qui est aujourd’hui un véritable écosystème. Je m’étais d’abord inquiétée de cette disparition auprès d’Éric Besson lors de l’examen du projet de loi de finances. À l’époque, il m’avait garanti qu’une structure plus performante lui serait substituée. Je l’avais ensuite interrogé lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement – il s’était alors montré rassurant – sur le rôle, les missions et les outils du fameux conseil, ainsi que sur sa composition. En vérité, le Conseil national du numérique, dont on a appris l’installation la semaine dernière, n’est qu’un club de chefs d’entreprise du Net, ni plus, ni moins. Il n’est pas la structure de référence dont nous avons grandement besoin pour faire face aux bouleversements d’ordre économique, culturel, juridique, éthique et financier provoqués par l’internet. Il faut une structure qui associe l’ensemble des acteurs du secteur au lieu d’en évincer un certain nombre, dont les créateurs ou, tout simplement, les consommateurs. Dès lors, comment cette instance qui, par ailleurs, je n’en doute pas, compte tenu de la qualité de ses membres, apportera des idées utiles, pourrait-elle être représentative des enjeux qui sont ceux du numérique ? On l’a vu concernant le livre, les enjeux sont tout autant économiques que culturels, techniques, juridiques ou encore financiers. Demain, toute notre vie, ou presque, passera par Internet, que ce soit en matière d’éducation, d’information, d’accès aux services publics ou à l’emploi. Il me semble donc regrettable que cette institution, censée aiguiller les politiques publiques, ne puisse avoir, du fait de sa composition, qu’un point de vue parcellaire et non transversal. Peut-être pourriez-vous, monsieur le ministre, relayer cette préoccupation ? Je la formule après en avoir longuement discuté avec plusieurs de mes collègues qui connaissent bien ce secteur si pointu et appartiennent au groupe d’études Médias et nouvelles technologies que j’ai l’honneur de présider. Il nous semble d’ailleurs étonnant que le Parlement ne soit pas beaucoup associé à ces questions dont on ne cesse pourtant de débattre. Je conclurai sur une note plus positive : le groupe de l’Union centriste votera, bien sûr, les conclusions de la commission mixte paritaire, comme il a voté en première lecture ce texte fondateur pour l’industrie culturelle à l’heure du numérique, ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)