Les interventions en séance

Média et Nouvelles technologies
Catherine Morin-Desailly 05/05/2011

«Proposition de loi relative à la régulation du système de distribution de la presse»

Mme Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la presse vit une crise de mutation, comme d’ailleurs tous les grands secteurs de l’information et de la culture. Le contexte de la distribution de la presse a fortement évolué ces dernières années, notamment en raison de la révolution numérique. En effet, outre le phénomène des journaux gratuits, la révolution numérique a non seulement bouleversé le rapport à l’information, et donc les usages en la matière, mais aussi introduit de nouveaux outils : je pense aux nouveaux écrans, en particulier aux liseuses. Il faut aussi souligner le rôle grandissant d’internet. L’information semble échapper aux journalistes, puisque tout le monde, désormais, « fait de l’information ». Chaque mois, de nouveaux sites internet ouvrent ; nos concitoyens naviguent de plus en plus sur Twitter, Facebook et autres réseaux sociaux, participant ainsi à la circulation de l’information, qu’elle soit d’ailleurs exacte ou non. Si le grand mérite de la « toile » est l’interactivité, l’immédiateté et une totale liberté d’expression, il faut admettre que quantité n’est pas forcément synonyme de fiabilité, tant s’en faut. Pour la presse, la concurrence est donc rude, et elle doit fournir un effort considérable pour adapter son modèle au nouvel environnement numérique. En 2011, ce sont près de 400 millions d’euros qui ont été affectés par l’État au soutien à la distribution et à la diffusion de la presse. Si ces aides se sont avérées précieuses et ont contribué à résorber les déficits du secteur, des réformes structurelles sont aujourd’hui nécessaires. En effet, s’agissant maintenant de la distribution physique de la presse, que je qualifierai de « traditionnelle », régie depuis la Seconde Guerre mondiale par la loi Bichet, nous sommes tous d’accord pour dire qu’elle connaît aujourd’hui de grandes difficultés. Une réflexion sur ce thème a donc été engagée voilà maintenant trois ans. Les états généraux de la presse écrite, tout comme le rapport de M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, ont analysé les faiblesses de notre modèle de distribution de la presse et ont proposé des solutions. Parmi ces faiblesses, outre les éléments de contexte que je viens de rappeler, il y a naturellement les déséquilibres en matière de répartition de la valeur entre les différents échelons de la distribution : les messageries de presse, qui concentrent l’essentiel du revenu de la distribution, les quelques éditeurs-dépositaires de presse et, en bas de l’échelle, les diffuseurs, qui rassemblent les kiosquiers et les marchands de journaux. Ce dernier échelon constitue le maillage de la distribution de la presse et permet à nos concitoyens d’accéder facilement à une presse diversifiée sur l’ensemble du territoire. Toutefois, ce réseau de diffusion n’est pas suffisamment performant, surtout comparé à celui qui existe dans les pays voisins, notamment au Royaume-Uni, où les titres sont beaucoup plus accessibles grâce aux kiosques, aux petits vendeurs ou à une livraison à domicile très tôt le matin. Il est donc urgent et essentiel de prendre tous types de mesures utiles en vue de favoriser la pérennité et la rentabilité des points de vente, voire leur multiplication, et d’assouplir les règles qui les régissent. Leur rôle, en effet, va au-delà du simple accès à l’information, comme l’ont rappelé M. le ministre et M. Renar : ce sont des lieux d’accès à la démocratie. Nous avons noté avec satisfaction la signature, en mars dernier, d’une convention entre les diffuseurs, le CSMP et l’Association des maires de France. En tant qu’élus des territoires, nous savons tous ici que les maisons de la presse et autres points de vente, implantés dans toutes les villes, petites, moyennes ou grandes, jouent, au-delà de la diffusion de l’information, un rôle d’animation et constituent des points d’accès à la culture en général, car on y trouve aussi bien souvent des livres. Il faut donc trouver les moyens propres sinon à les développer, du moins à les préserver. Dans cette perspective, nous serons extrêmement attentifs à la proposition de loi déposée par notre collègue député Jean-Luc Warsmann. Dans ce contexte, et eu égard aux enjeux liés à la préservation d’une information diversifiée et accessible, des propositions ont résulté des travaux des différentes instances, notamment des états généraux de la presse écrite, et des expérimentations menées par le CSMP. Elles contribuent à une certaine maturité du débat, permettant de prendre des mesures législatives relatives à l’organisation de la distribution de la presse. Je me réjouis donc à mon tour que nous examinions aujourd’hui cette proposition de loi visant à modifier le titre II de la loi Bichet, relatif à la gouvernance du système de distribution de la presse. Avant d’évoquer les dispositions au fond, je tiens à saluer moi aussi le travail effectué par l’auteur de ce texte, le président Jacques Legendre, ainsi que par le rapporteur, M. David Assouline. Comme je l’ai souligné tout à l’heure, il fallait réformer la gouvernance de la distribution de la presse, assurée jusqu’à présent par le Conseil supérieur des messageries de presse. Alors que le rapport de l’Autorité de la concurrence prévoyait de faire de cette instance une véritable autorité indépendante –sous-entendu des professionnels de la distribution –, la proposition de loi vise à mettre en place une régulation bicéphale, avec, d’un côté, le CSMP, instance professionnelle dotée enfin d’un statut juridique clairement défini, et, de l’autre, une autorité indépendante chargée de contrôler et rendre exécutoires les décisions du CSMP. Si les professionnels étaient partisans d’une telle organisation, je crois savoir que le fait de donner in fine à l’autorité de régulation le pouvoir de rendre exécutoires les décisions du CSMP a suscité un certain mécontentement parmi les représentants des distributeurs. En effet, l’autonomie du CSMP se trouvera considérablement amoindrie dès lors que ses décisions ne seront pas applicables automatiquement. Cependant, étant donné l’organisation très peu concurrentielle des niveaux 1 et 2 de la distribution – il s’agit des messageries de presse et des dépositaires – et l’opacité de certaines procédures de régulation, mise en exergue par le rapport Lasserre, nous comprenons qu’il était indispensable de confier à une autorité indépendante et impartiale le soin de veiller à la régulation du système. Cette autorité viendra donc encadrer à bon escient le pouvoir normatif du CSMP, en donnant aux décisions de celui-ci force exécutoire, et interviendra en matière de résolution de conflits. Cela nous semble pertinent et justifié. Ce nouveau modèle bicéphale de régulation devra donc trouver, en pratique, un équilibre de fonctionnement, afin de pouvoir mener à bien trois chantiers d’importance en matière de distribution de la presse. Le premier chantier a trait à la marge de manœuvre commerciale qu’il est nécessaire de donner aux diffuseurs pour adapter les modalités de commercialisation à la demande. Le deuxième touche à la revalorisation du métier de diffuseur de presse, non seulement d’un point de vue financier, mais aussi sur le plan de la formation, afin de remédier au manque de points de vente. Le troisième, enfin, et non le moindre, consistera à fournir un effort particulier pour régler de manière gracieuse, préalablement à toute action contentieuse, les conflits opposant les distributeurs. Je me félicite donc du travail mené pour moderniser le titre II de la loi Bichet. L’ensemble des sénateurs du groupe de l’Union centriste soutiennent cette réforme urgente et équilibrée de la régulation du système de distribution de la presse. J’espère qu’elle sera la première pierre d’un édifice de modernisation d’un secteur contraint à des efforts d’adaptation constants, notamment de ses supports, qui permettra à nos concitoyens d’accéder facilement à une presse pluraliste, diversifiée et de qualité. Il s’agit là d’un enjeu essentiel pour notre démocratie. (Applaudissements.)