Les interventions en séance

Affaires sociales
Chantal Jouanno 05/02/2013

«Projet de loi portant création du conrat de génération»

Mme Chantal Jouanno

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est difficile de s’exprimer sur un sujet aussi compliqué, d’autant qu’en la matière toute posture idéologique est vaine. Il est vrai que ce débat nous renvoie à deux réalités « de masse », et pas seulement en France d’ailleurs, mais aussi dans de nombreux pays européens, qui touchent et les jeunes et les seniors. D’abord, grosso modo, un quart des jeunes connaissent le chômage. Alors, certes, on le qualifie de « file d’attente », pour signifier que, finalement, ce n’est pas si grave, mais, en réalité, après la file d’attente, c’est un parcours de précarité de l’ordre de cinq ans en moyenne qui attend les jeunes ! Quant aux seniors victimes du chômage, ils sont confrontés à un phénomène d’exclusion et de relégation sociale, au sens qu’a donné à ces termes Dominique Schnapper. Est-ce la société que nous souhaitons ? Pouvons-nous nous satisfaire de cette réalité structurelle et durable ? À ces questions d’apparence bien naïves, tout le monde ici répondra sans doute par la négative. Pourtant, nous peinons vraiment à aborder cette question et à y apporter des réponses qui ne soient ni conjoncturelles ni marginales. Messieurs les ministres, au sein du groupe UDI-UC, nous souscrivons à l’ambition qui sous-tend ce texte et à l’objectif visé, à savoir tenter de faciliter l’insertion des jeunes et aider au maintien dans l’emploi des seniors. Nous arrivons donc avec un a priori positif. Tout ce qui peut en effet donner un « coup de main » aux jeunes et aux seniors doit être soutenu. Nous avons envie de vous croire, de vous suivre et d’être, comme vous, optimistes. Toutefois, nous avons un sérieux doute sur les mesures pour l’emploi que vous avez prises et sur leur capacité à apporter une réponse durable et massive à la réalité durable et massive que nous connaissons. Je pense naturellement au crédit d’impôt compétitivité emploi, le CICE, et aux contrats d’avenir. Face à l’ensemble de ces dispositifs, pensons-nous qu’il s’agit de solutions radicalement nouvelles susceptibles de permettre de renverser la situation ? Sur les emplois d’avenir, nous nous sommes déjà exprimés : ils ressemblent un peu au dispositif emplois-jeunes, même s’ils ont été mieux ciblés. Les contrats de génération sont-ils si neufs ? En réalité, pour les seniors, ils ont plutôt vocation à se substituer aux accords de 2009 relatifs à l’emploi des seniors, accords qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité ! Pour les jeunes, j’ai bien noté les circonlocutions de notre ministre, Thierry Repentin. Je dis « notre », parce que M. Repentin est issu du Sénat, monsieur le ministre ! Vous dites que ce n’est pas un contrat aidé, mais il n’en reste pas moins vrai que, dans les entreprises de moins de trois cents salariés, le contrat de génération donnera bien lieu au versement d’une aide. Par conséquent, si ce n’est pas de l’emploi aidé, cela y ressemble, à moins que vous ne reconnaissiez la trop grande importance du coût du travail des jeunes, ce dont nous pourrons alors discuter ! Mais je vous taquine… Cela dit, j’ai compris que je n’étais pas la seule, sur ces travées, à considérer qu’il y avait, derrière ce dispositif, un problème de coût du travail des jeunes ! Messieurs les ministres, au-delà de ce problème de fond, demeure une question pratique très simple pour laquelle nous n’avons toujours pas obtenu de réponse. Nous savons que l’aide ou la réduction du coût de travail sera de 4 000 euros annuels par contrat de génération. Mais s’agira-t-il de 4 000 euros nets ou bien l’aide sera-t-elle fiscalisée ? Ce n’est pas encore très clair dans notre esprit, mais vous ne manquerez pas de nous éclairer ! Sur le plan quantitatif, ces contrats vont-ils permettre de répondre au problème ? On sait que les emplois d’avenir concerneront 150 000 jeunes dans un premier temps et 300 000 à la fin. On sait aussi que nombre de jeunes ne sont pas inscrits et ne figurent pas dans les statistiques de Pôle emploi. Qu’en sera-t-il des contrats de génération ? À vrai dire, nous n’en savons rien. Certes, l’étude d’impact est fondée sur une hypothèse de 100 000 embauches annuelles éligibles en année pleine. Mais, en off, les partenaires sociaux considèrent que ces chiffres sont quelque peu optimistes. Notre rapporteur, Christiane Demontès, pourtant peu suspecte d’antigouvernementalisme, admet que « ces évaluations doivent être bien évidemment maniées avec prudence, car elles dépendent du taux de croissance de l’économie, du taux de substitution avec les CDD, et de la simplicité des démarches administratives pour obtenir les aides. » Au-delà de la seule question du nombre, c’est aussi celle de la pérennité de ces emplois qui se pose. Ces contrats permettront-ils d’apporter une réponse durable ? Cela aurait pu être le cas s’ils avaient été mieux ciblés. Nous nous sommes déjà exprimés sur les emplois d’avenir qui, selon nous, auraient dû être uniquement ciblés sur les jeunes les plus éloignés de l’emploi. Ils le sont, mais il y a eu des ouvertures. Quant aux contrats de génération, ils bénéficieront à tous les jeunes de moins de vingt-six ans, sans distinction de niveau d’études. Et, compte tenu de cette option, l’impératif de formation est explicitement écarté par le Gouvernement, qui « tient à ce que le contrat de génération ne soit pas un contrat de formation en alternance ». Or, dans son dernier rapport, la Cour des comptes montre que les contrats de formation en alternance comme les contrats d’apprentissage sont tout de même la meilleure garantie pour une insertion rapide et durable dans le marché du travail. Cet impératif de formation sera-t-il assuré dans l’entreprise – ce serait tout de même le génie du dispositif intergénérationnel ! – par un senior qui transmettra ainsi son savoir ? Il y a eu des avancées à l’Assemblée nationale, grâce d’ailleurs à des amendements de l’UDI. Mais nous souhaiterions que le lien intergénérationnel soit beaucoup plus clair, afin que soit précisé qui accueillera le jeune, qui le formera, et que les rôles de chacun soient établis. Nous défendrons des amendements sur ce point. Nous vous le disons très clairement, ce seront pour nous des points « durs » dans la discussion ! Concernant la question du ciblage des employeurs – je vais, là encore, revenir sur une position assez classique au sein de notre groupe –, nous aurions souhaité que tous les dispositifs soient ouverts à l’ensemble des secteurs, notamment au secteur marchand. Ce n’est pas le cas, puisque vous avez ciblé les « emplois » d’avenir. Je fais attention maintenant : c’est que j’en suis déjà à quatre euros ! (Sourires.) Les emplois d’avenir, donc, sont réservés au secteur non marchand, qui serait seul apte à accueillir des jeunes non qualifiés. Cela laisserait entendre que le secteur marchand ne peut pas aider à leur insertion, ce qui est faux. En effet, des entreprises d’insertion fonctionnent extrêmement bien et la Cour des comptes le montre assez clairement ; je n’y reviens donc pas. Pas complètement ! On peut en discuter, j’avais déjà déposé des amendements sur ce sujet. Quant aux contrats de génération, ils sont réservés au secteur marchand, mais bien évidemment dans une enveloppe extrêmement contrainte. Ce qui est un peu gênant, en tout cas pour les grandes entreprises, c’est ce dispositif assez lourd de contrôle a priori qui éloigne beaucoup la formule d’un contrat de confiance qui serait passé entre les pouvoirs publics et les entreprises. Nous déposerons donc aussi des amendements pour alléger ce dispositif et passer plutôt à des contrôles a posteriori. Vous aurez du mal, je le sais, à revenir sur les fondements politiques de ce dispositif. C’est dommage, car les emplois d’avenir et les contrats de génération, orientés vers le secteur marchand, auraient vraiment pu être complémentaires. Les premiers correspondent bien aux besoins des petites et moyennes entreprises, tandis que les seconds, au contraire, semblent mieux calibrés pour les grands groupes ou, à l’opposé, pour les très petites entreprises, notamment dans le cadre de ces transmissions d’activité qui se passent souvent si mal dans notre pays. En allant plus loin, n’aurait-il pas été plus intéressant et plus productif de cibler spécifiquement les secteurs d’activité exposés à une perte de compétence, comme le recommande le Conseil économique, social et environnemental ? En résumé, pour que les deux dispositifs en question produisent des effets vertueux, il faudrait, selon nous, que soient réunies trois conditions : qu’ils bénéficient prioritairement aux jeunes les plus éloignés de l’emploi ; qu’ils garantissent une formation diplômante et qualifiante – je rappelle que nous défendrons des amendements en ce sens ! – et qu’ils leur ouvrent les portes du secteur productif. Cela me conduit, de manière plus succincte, à ma seconde critique de votre politique de l’emploi : vous conservez une vision malthusienne de l’emploi et une approche conjoncturelle du chômage. Il faut tout de même que nous nous posions la question : pourquoi une entreprise ne crée-t-elle pas d’emploi ? Pour la simple raison qu’elle n’a pas de commande et donc pas nécessairement la certitude qu’elle pourra durablement assumer le coût de ce salarié ! Une politique de l’emploi ne partage pas le travail, elle cherche à le créer. S’agissant du coût du travail, vous connaissez le discours, mais j’y reviens quand même, car cela fait du bien ! (Sourires.) Messieurs les ministres, vous vous êtes privés des réductions de charges et de la « TVA compétitivité ». C’est dommage, nous en avions déjà assumé l’impopularité ! Même si elles étaient insuffisantes, ces deux mesures étaient nécessaires pour alléger la fiscalité pesant sur le travail et réformer le financement de la protection sociale. Vous avez dû, in fine, créer le CICE, qui est très limité et trop tardif dans le temps, puisqu’il ne s’appliquera pleinement qu’en 2014. Surtout, vous affirmez votre volonté de financer ce nouveau dispositif des contrats de génération par le CICE. Or, à l’origine, ce crédit d’impôt devait servir à favoriser la recherche, l’investissement, la compétitivité et donc l’emploi à long terme. À la limite, nous aurions été extrêmement satisfaits que vous envisagiez un deuxième plan d’investissements d’avenir ou que vous fixiez un objectif à terme contraignant de dépenses d’investissement et de recherche pour les acteurs publics, notamment les collectivités. Mais ces critiques-là, vous les connaissez. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles. En conclusion, nous sommes réservés sur les fondements de votre politique de l’emploi. Mais il n’est pas question de nous opposer par principe à un dispositif destiné à aider les jeunes et les salariés les plus en difficulté. Aussi, pour déterminer son vote, le groupe UDI-UC attendra-t-il l’issue des débats, notamment s’agissant du sort qui sera réservé à ses amendements sur la formation. Faute d’une amélioration dans ce sens et d’un meilleur ciblage du dispositif, nous craignons que les contrats de génération ne constituent pas une réponse durable à une difficulté qui, elle, l’est ! Je voulais terminer sur ce point. Je n’ai pas épuisé tout mon temps de parole, mais sans doute ai-je épuisé votre attention… Les jeunes n’ont que faire des vieilles postures idéologiques sur le partage du travail, des oppositions stériles entre public et privé, entre néoclassiques et néokeynésiens. Comme les seniors, ils nous demandent de faire preuve d’un peu de pragmatisme, d’éviter de nous envoyer à la figure, comme cela se fait dans d’autres hémicycles, des mots définitifs et des certitudes péremptoires. Ce sont les valeurs que notre groupe UDI-UC défendra au cours de cette discussion. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)