Les interventions en séance

Droit et réglementations
François Zocchetto 04/07/2013

«Projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature et projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l՚action publ»

M. François Zocchetto

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai soutenu la réforme constitutionnelle de 2008. Je ne le regrette pas, car c’était une réforme importante de notre loi fondamentale. Chacun ici en convient, le Conseil supérieur de la magistrature est sorti grandi de cette évolution. L’histoire et l’évolution du CSM, depuis sa création, sont indissociables de la construction progressive de l’indépendance de la magistrature. En supprimant la présidence du Conseil par le Président de la République et en révisant sa composition, la réforme constitutionnelle de juillet 2008 avait également pour objet de renforcer son autonomie. Notre groupe s’interroge donc aujourd’hui sur l’opportunité de remettre si vite l’ouvrage sur le métier. Quelle est la nécessité de changer des dispositions constitutionnelles concernant une institution qui est effectivement en place depuis seulement deux ans, qui n’a pas connu de dysfonctionnements et qui, au contraire, fonctionne dans des conditions plus satisfaisantes qu’auparavant, et même dans des conditions satisfaisantes tout court ? En réalité, nous savons tous pourquoi cette réforme est devenue si urgente, si indispensable. La raison première, malheureusement, c’est le mensonge d’un homme, Jérôme Cahuzac. Je suis obligé de faire ce rappel. Personne n’a oublié l’annonce solennelle du Président de la République après que l’ancien ministre du budget eut avoué avoir menti. Voici ce que disait François Hollande le 3 avril dernier : « Il faut d’abord renforcer l’indépendance de la justice. C’est le sens de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. » Tout est dit. Après cette affaire qui, par ricochet, a jeté l’opprobre sur toute la classe politique, la première chose à changer, pour le Président de la République, c’était le CSM. Les déclarations du chef de l’État donnaient donc à penser que cette affaire révélait une insuffisante indépendance de la justice dans notre pays, dont le Conseil supérieur de la magistrature serait responsable, au moins en partie. Il fallait donc le réformer. Le caractère parfaitement injustifié de cette affirmation n’a d’ailleurs pas échappé aux membres du CSM, qui se sont sentis mis en cause par les propos du Président de la République, au point que celui-ci a cru utile, certainement à juste titre, de les rassurer et de leur dire, dans un courrier, me semble-t-il, que « les membres du CSM avaient sa totale confiance ». Avouez que c’est à n’y rien comprendre : le Président a totalement confiance dans le CSM, donc dans son indépendance, mais il faut d’urgence le réformer pour améliorer son indépendance ! Comprenne qui pourra. En tout cas, vous comprendrez nos hésitations. Sur le fond, de quoi s’agit-il ? À part quelques mesures d’une portée fort limitée, il s’agissait initialement d’inverser la majorité du CSM, qui serait passée des membres nommés, nécessairement dispersés, vers les magistrats, naturellement unis. En la matière, nous ne nourrissons aucun dogmatisme et il est exact que, à certains moments, nous nous sommes prononcés en faveur de la parité. Toutefois, à qui fera-t-on croire qu’en plaçant le CSM sous le contrôle d’une famille professionnelle unique, particulièrement cohérente – c’est à son honneur – et syndicalement organisée, on renforcera la liberté de décision de cette instance ? En réalité, la vraie réforme, la réforme la plus décisive, celle dont on ne parle pas et celle dont le Gouvernement – avec d’autres – ne veut pas, ce serait de faire passer le droit de proposition à l’ensemble des postes des magistrats de la Chancellerie vers le CSM. Car c’est ce pouvoir de proposition qui est essentiel, puisqu’il permet de contrôler la carrière de la plupart des magistrats. Madame la garde des sceaux, c’est donc dans cette voie qu’il faudrait vous engager si vous vouliez effectivement mieux garantir l’indépendance des juges, à condition évidemment que le CSM ne soit pas lui-même contrôlé par une majorité « organisée ». C’est à ce prix, et à ce prix seulement, qu’on pourrait parler d’une véritable « séparation des pouvoirs ». Toutefois, nous en sommes loin. Ce texte présente une avancée ; c’est clair, comme l’est notre position. Il inscrit dans notre Constitution une décision qui n’est pas propre à François Hollande, puisque Nicolas Sarkozy l’avait déjà mise en œuvre, à savoir le respect des avis du CSM pour les nominations des magistrats du parquet. De ce point de vue, la réforme n’est pas contestable et se situe dans la lignée de celle de 2008, qui, en fait, aurait déjà dû introduire cette règle. Nous l’avions dit à l’époque. Partant de ce constat simple, notre groupe a déposé un amendement visant à ne retenir que cet aspect de la réforme. Si cette proposition devait être adoptée par le Sénat, soyez assurée, madame la garde des sceaux, que cela aurait naturellement une influence forte sur notre vote final. Pour autant, je ne peux passer ce point sous silence, cela nous conduirait à réunir le Parlement en Congrès pour inscrire dans la Constitution une règle qui est déjà respectée en pratique. Est-ce vraiment indispensable ? Je pense que nos concitoyens n’en seraient pas convaincus, et à juste titre ! Cinq ans après la réforme de 2008, nous avons une proposition à faire qui serait de nature à améliorer l’indépendance du CSM : l’incompatibilité entre la fonction de membre du Conseil supérieur de la magistrature et l’exercice d’une activité professionnelle. En effet, une question se pose : est-il acceptable qu’un organe de nomination et de discipline des magistrats de l’ordre judiciaire qui, comme tel, gère leur avancement et leur carrière soit composé de magistrats partageant leur quotidien avec leurs collègues ? Nous ne le pensons pas. C’est la raison pour laquelle nous considérons que seuls les anciens magistrats ou des magistrats ayant quitté temporairement leurs fonctions pendant la durée de leur mandat devraient être autorisés à faire partie du Conseil supérieur de la magistrature. Un tel mécanisme est indispensable pour prévenir tout conflit d’intérêts. Une autre question fondamentale reste en suspens à ce stade : celle du mode d’élection des magistrats siégeant au CSM. On peut craindre, en effet, qu’une volonté de rééquilibrage entre les deux principaux syndicats ne conduise à adopter des modifications du collège électoral. Or l’absence de représentation spécifique des chefs de juridiction serait particulièrement dommageable à la qualité du recrutement. On peut d’ailleurs invoquer, à l’encontre d’une telle perspective, la recommandation du Conseil des ministres du Conseil de l’Europe, qui précise que des juges choisis doivent être « issus de tous les niveaux du pouvoir judiciaire ». Nous vous proposerons donc un amendement important sur ce point. Je dirai quelques mots sur les travaux, considérables, menés par la commission des lois. À cet égard, je tiens à saluer les propositions de notre rapporteur, Jean-Pierre Michel. Si celles-ci étaient adoptées, mais il n’est pas dit que nous les votions, nous éviterions le pire. Elles tournent autour du fameux « collège de personnalités indépendantes », qui, faut-il le souligner, dans sa configuration initiale, et peut-être encore, malheureusement, dans la configuration proposée au Sénat, ne contient que des personnes nommées par décret du Président de la République. Sur ce point, des explications paraissent nécessaires. Un autre point sur lequel le rapporteur a mené une réflexion très intéressante est la présidence du CSM et de ses sections. M. le rapporteur a souligné dans la discussion que la présidence du CSM par le Premier président de la Cour de cassation et par le procureur général près cette cour constituait l’un des apports les plus importants de la réforme de 2008. L’expérience récente confirme que l’autorité morale des intéressés et leur connaissance remarquable de la justice sont autant d’atouts pour le Conseil supérieur de la magistrature. L’ensemble des éléments que je viens d’évoquer et qui seront également développés par Michel Mercier nous amènent à un double constat et à une conclusion. Premier constat, le projet dont nous parlons ce soir est très éloigné de ce qui avait été annoncé par le Président de la République, au moins sur un point majeur, à savoir le rétablissement d’une majorité de magistrats au CSM, qui devait constituer une mesure phare de la réforme. Second constat, le texte qui sera soumis au vote du Sénat n’aura probablement pas grand-chose à voir avec celui qui a été adopté à l’Assemblée nationale le 4 juin dernier. Que va-t-il se passer ? L’hypothèse d’un texte voté dans les mêmes termes par les deux assemblées s’éloigne. Par conséquent, la réforme constitutionnelle elle-même nous paraît, sinon mort-née, du moins pas très viable. Notre groupe formule une proposition très claire : oui à la réforme du mode de nomination des procureurs, qui consistera donc à mettre le texte en accord avec la pratique ; non à tout ce qui concerne la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il suffit donc au Sénat de voter notre amendement n° 17 à l’article 2 pour débloquer la situation. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)