Les interventions en séance

Aménagement du territoire
Catherine Morin-Desailly 04/06/2013

«Projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles-Article 31»

Mme Catherine Morin-Desailly

Évoquant cette réforme, le Gouvernement parlait initialement d’« acte III de la décentralisation ». Telle était l’ambition, après les lois Defferre de 1982 et les lois Raffarin de 2003-2004. Cela permettait également de minorer, voire d’ignorer, le travail réalisé par le précédent gouvernement qui avait abouti à la loi du 16 décembre 2010, texte qui n’est certes pas parfait, mais qui a eu le mérite de s’attaquer à certaines pesanteurs de notre organisation administrative. Cette ambition d’un nouveau grand acte de la décentralisation est mort-née. Le Gouvernement s’est heurté aux résistances des associations d’élus, pourtant dirigées par ses propres amis politiques, et a été obligé de revoir sa copie. Celle-ci est devenue quasi incompréhensible. Le Président de la République avait annoncé vouloir simplifier le millefeuille administratif, mais c’est un pudding encore un peu plus lourd et indigeste qui nous est proposé. Le rejet, hier, par le Sénat, des dispositions relatives à la métropole de Paris en est la démonstration. Le saucissonnage en trois textes distincts fait perdre à cette réforme toute cohérence et lisibilité. Je l’ai d’ailleurs rappelé dès le début du débat sénatorial : il aurait été préférable d’aborder les choses dans leur globalité, même si cela supposait un texte assez long. J’y voyais deux avantages. Cela nous aurait permis tout d’abord de mieux appréhender les perspectives qui attendent chaque niveau de collectivité. Au lieu de quoi, le découpage en trois textes nous impose de travailler en ce moment sur le statut des métropoles et des grandes zones urbaines sans mener une réflexion corrélative sur nos territoires ruraux, voire en faisant abstraction du sort réservé qui leur sera réservé. Il s’agit d’une erreur profonde dans la manière d’envisager la notion de territoire, car il y a une nécessaire et évidente complémentarité entre secteur urbain et secteur rural. Cette solution aurait en outre permis la simplification souhaitée : ne se serait-on pas mieux rendu compte de l’édifice incertain et tentaculaire que cette loi construit, si l’ensemble avait été contenu dans un seul et même texte ? Ici, au contraire, on voit déjà poindre les difficultés : les incohérences auront encore la part belle, car chaque projet de loi sera l’occasion d’ajouter telle ou telle disposition afin de satisfaire la demande de Pierre, sans déshabiller Paul et tout en ne mécontentant pas Jacques... L’un des mérites du texte élaboré en 2010 était d’avoir su poser un premier jalon sur le long chemin de la simplification de notre millefeuille territorial, notamment à travers la création du conseiller territorial. Les nécessaires réorganisations ne sont pas faites pour plaire à tel ou tel, mais doivent avoir pour seul objectif de rendre l’action publique plus lisible, plus cohérente, plus efficace. Il ne faut pas s’y tromper : le citoyen, quel que soit le niveau administratif qui intervienne, y voit toujours la marque de l’hydre étatique. Or c’est bien là que le bât blesse : le Gouvernement a encore ajouté quelques couches au millefeuille en proposant de créer les conférences territoriales et le Haut conseil des territoires. Toujours plus de structures pour s’éloigner encore un peu plus du citoyen… De ce point de vue, il est étonnant que le Gouvernement ne conçoive la décentralisation que de façon désincarnée et théorique. J’en veux pour preuve ce qui nous occupe ici, la métropole. Ce projet de loi ne crée pas les métropoles. Je tiens à redire que c’est bien la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010 qui a créé ce nouveau type d’EPCI. Le texte dont nous débattons tend à instaurer un régime plus intégré à travers le transfert de compétences plus étendues. Soit ! Parallèlement, il prévoit la mise en place d’instances consultatives inframétropolitaines. Pourquoi pas ? Toutefois, le critère retenu pour accéder à ce statut est uniquement démographique et a même été durci par notre commission des lois. Là aussi, je tiens à le dire, il s’agit d’une aberration qui démontre le défaut de vision quant à ce qu’est, ou plutôt ce que doit être la décentralisation. L’ensemble métropolitain doit avant tout répondre à une logique de projet plutôt que satisfaire à un seuil de population. Ce qui fait sens dans la constitution d’une métropole, c’est le projet de développement économique qui peut y être mené selon, bien sûr, la configuration socio-économique du territoire. C’est aussi l’intérêt que peut présenter le fait de conférer ce statut à un territoire de par son ouverture à l’international, notamment à l’Europe, du fait de son positionnement géographique ou de la présence d’infrastructures importantes. C’est encore la possibilité de mener sur ce territoire une politique d’aménagement global du territoire grâce à la présence d’axes de communication de première importance, de grandes entreprises, d’universités ou de grandes écoles. Je tire bien évidemment cette réflexion de la réalité territoriale qui est la mienne en Seine-Maritime, plus particulièrement à Rouen, positionné, en lien avec Le Havre, au cœur du grand et ambitieux projet Axe Seine lancé sous la précédente mandature. Bref, si la démographie est un élément important à prendre en compte afin que la masse critique soit atteinte, il apparaît qu’une réforme de la décentralisation qui sait où elle va et quels résultats elle souhaite produire se doit de dépasser cette seule vision arithmétique. Aussi serai-je très attentive aux amendements portant sur le seuil afin d’éviter que ne soient définitivement figés, voire enterrés, des projets substantiels, porteurs de développement. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)