Les interventions en séance

Affaires étrangères et coopération
Nathalie Goulet 04/05/2011

«Proposition de loi tendant à réprimer la contestation de l’existence du génocide arménien»

Mme Nathalie Goulet

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur l’ambassadeur, mes chers collègues, nous sommes saisis d’un sujet délicat, quelques jours à peine après le 24 avril, date anniversaire du génocide arménien de 1915, qui est reconnu comme tel par le législateur. La reconnaissance du génocide arménien étant devenue loi de la République, elle est indiscutable et doit être respectée par tous. À l’instar d’autres dispositions – je pense à celles qui sont relatives au retrait de la nationalité française, retirées grâce à l’action des sénateurs centristes –, la présente proposition de loi, qui concerne le génocide, nous renvoie à notre propre histoire. Comme j’ai eu l’occasion de le dire à cette tribune, la quasi-totalité de ma famille a été exterminée dans les camps de concentration, et la notion de génocide est, hélas ! ancrée dans ma mémoire et dans celle de mes enfants ; c’est, en somme, notre mémoire collective. Je fais partie d’un peuple qui, lui aussi, « dort sans sépulture », « a choisi de mourir sans abdiquer sa foi » et « n’a jamais baissé la tête sous l’injure ». (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Je peux comprendre les blessures, le sentiment d’injustice et l’incompréhension des victimes d’un génocide et de leurs descendants, même quatre-vingt-dix ans après les faits. La France a accueilli des milliers de réfugiés arméniens qui ont, comme l’illustrent les héros de L’Affiche rouge et Missak Manouchian – M. le garde des sceaux l’a rappelé –, payé cher le droit d’être français. Néanmoins, si les uns et les autres font preuve d’un peu de bonne volonté, ce débat peut être l’occasion de mettre un terme à une polémique. Puisque nous en avons l’occasion, et puisque nous sommes entre nous, parlons un peu du Caucase, région attachante et si prompte à s’enflammer. Les Azerbaïdjanais sont totalement étrangers au génocide arménien de 1915. Et je voudrais rappeler ici quelques éléments historiques qui pourront nous servir dans la suite de nos débats. La Première Guerre mondiale a éclaté à cause et sur la base des traités diplomatiques : d’une part, la « Triple entente », entre la République française, l’empire britannique et l’empire russe, et, d’autre part, la « Triplice », cette triple alliance entre l’empire allemand, l’empire austro-hongrois, puis, en 1914, l’empire ottoman, sous quasi-protectorat allemand. La Russie avait déjà battu l’empire ottoman lors d’une offensive en 1877. L’armée impériale russe avait intégré dans ses effectifs, à côté des troupes arméniennes russes, des contingents arméniens originaires d’Anatolie orientale ottomane. Les uns et les autres participent donc directement aux opérations du front oriental. Il est ainsi historiquement prouvé que les Azerbaïdjanais sont totalement étrangers au génocide arménien. Si un litige territorial existe aujourd’hui entre les deux pays, il est donc pour le moins spécieux d’utiliser cet argument pour justifier le maintien de l’Arménie dans des territoires reconnus internationalement comme appartenant à l’Azerbaïdjan. La soif de reconnaissance d’événements tragiques ne doit pas masquer les failles de la diplomatie arménienne actuelle. Tout comme la Shoah ne doit pas et ne peut pas excuser les exactions à Gaza, le passé douloureux du peuple arménien ne l’autorise pas à occuper par la force des territoires qui ne sont pas les siens. Le différend sur son rattachement date des débuts de l’Union soviétique. Mais, au mois de févier 1992, plusieurs centaines de civils azerbaïdjanais sont tués lors de la prise de Khodjaly, où se trouve l’aéroport de la capitale. C’était bien en 1992 ; pas en 1915 ! Les victimes de Khodjaly, hommes, femmes et enfants innocents, sont elles aussi tombées, et nul n’a élevé la voix ! De l’avancée des forces arméniennes jusqu’au cessez-le-feu du mois de mai 1994, et le gel de la situation, ce sont 20 000 victimes, 1 million de réfugiés et de déplacés qui sont à dénombrer. La France a une position très claire : elle n’a jamais accepté l’occupation des territoires azerbaïdjanais, ni reconnu l’indépendance du Haut-Karabagh. La France soutient la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan et travaille à la paix entre ce pays et l’Arménie. C’est un sujet d’actualité. Nous avons reconnu le génocide arménien ; essayons maintenant de faire avancer la paix chaque fois que nous en avons l’occasion ici, au Sénat, au nom des victimes, pour que les enfants du Caucase, auxquels je m’adresse aujourd’hui, puissent continuer à avoir l’enfance que des adultes s’acharnent à leur voler. L’ensemble du groupe de l’Union centriste, auquel j’appartiens, votera la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité présentée par la commission des lois. Nous espérons que les conflits, notamment ceux qui se déroulent dans le Caucase, région souvent oubliée, se trouveront réglés et apaisés par la visite que le Président de la République avait promise et qu’il n’a pas encore effectuée.