Les interventions en séance

Europe
Yves Pozzo di Borgo 03/12/2013

«Projet de loi relatif au droit d’éligibilité aux élections au Parlement européen »

M. Yves Pozzo di Borgo

Monsieur le président, mes chers collègues, le fait que ce texte sur l’Europe soit défendu ici par Mme la ministre chargée des Français de l’étranger constitue un mauvais signal. Ne prenez pas en mauvaise part cette remarque, madame la ministre, qui s’adresse plus au Gouvernement qu’à vous-même, d’autant que nous sommes naturellement solidaires – et fiers - de nos collègues parlementaires devenus ministres. (Sourires.)
Je le sais bien, monsieur le président de la commission. Il n’en demeure pas moins que c’est un mauvais signal, selon moi.
Le jeune collaborateur que j’étais se souvient que, peu de temps après l’élection du président Valéry Giscard d’Estaing, en 1974, un accord politique avait été conclu avec Jean Lecanuet – un grand Européen ! – pour faire en sorte que nous puissions bâtir l’Europe durant la mandature. Cela devait se traduire par la création du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, l’accord sur le système monétaire européen, le SME – l’ancêtre de l’euro – et, surtout, l’affirmation de la volonté commune du président Valéry Giscard d’Estaing et du chancelier Helmut Schmidt de construire le Parlement européen. Je rappelle aussi que le Sénat français a joué un très grand rôle dans ce travail préparatoire, notamment grâce aux relations qu’avait établies son groupe centriste avec le jeune leader de la CDU, un certain Helmut Kohl. Notre institution fut un acteur puissant de la création du Parlement européen ; les historiens s’en souviendront peut-être un jour.
Je me réjouis à ce titre qu’une ancienne collègue sénatrice soit au banc du Gouvernement pour évoquer ce dossier. Vous voyez, je me rattrape, madame Conway-Mouret ! (Sourires.) Bien évidemment, le chemin qui reste à parcourir pour consolider cette Europe politique est encore long. Bien des progrès ont été réalisés depuis 1979, mais l’Europe, dans la forme institutionnelle prise par l’Union européenne, reste bien souvent trop lointaine, trop peu visible et trop mal connue par nos concitoyens. Trop souvent, aussi, nous faisons de l’Europe le réceptacle de nos frustrations et de nos insuffisances politiques nationales, sans oublier que la plupart des directives sont validées par l’exécutif, qui se substitue ainsi aux parlementaires. L’édification d’un véritable parlementarisme continental est l’une des réponses à apporter à ce malaise et à ce fossé croissant entre le citoyen et les organes de l’Union. Le présent texte s’inscrit dans cette démarche, même s’il ne renverse pas fondamentalement la table. Il ne remet en cause ni le mode de scrutin ni les circonscriptions, et encore moins les compétences des députés européens ou les caractéristiques de leur mandat. Le présent texte représente néanmoins une bienheureuse mesure de simplification de l’organisation des élections européennes. Depuis le traité de Maastricht de 1992 et une directive européenne de 1993, tout ressortissant d’un État membre de l’Union européenne peut voter et se présenter comme candidat aux élections européennes dans un autre État membre, dans lequel il réside. Il va de soi que ce droit est parfaitement légitime au sein de l’Union, à l’heure de la libre circulation des biens et des personnes. Le Parlement européen, en dépit de ses défauts, est le Parlement de tous les citoyens européens et le lieu où s’exprime la démocratie européenne. Ses pouvoirs ont d’ailleurs été considérablement renforcés au fil des années. La première mise en œuvre effective de ce droit a eu lieu lors des élections de 1994. M. le rapporteur l’a rappelé – je souligne au passage l’excellence de son rapport –, les formalités jusque-là parfois longues et complexes ont été allégées et simplifiées pour rendre ces candidatures plus faciles et en permettre ainsi une potentielle émergence. En effet, lors des élections de 2009, dans toute l’Union, seuls 81 citoyens se sont présentés comme candidats dans l’État où ils résidaient sans pour autant en avoir la nationalité. Ils étaient 15 en France, et un seul candidat, M. Cohn-Bendit, de nationalité allemande, a été élu. Reconnaissons que cela ne fait pas beaucoup et que la concurrence pour les très nombreux candidats français ne sera pas très importante. À l’occasion de l’examen de ce texte, nous devons évoquer plus largement la question de l’intérêt que portent nos concitoyens à cette élection, et donc nous intéresser à l’abstention. Je rappelle qu’elle frôle, voire dépasse les 50 % à toutes les élections européennes. Plus préoccupant encore, la France a systématiquement un taux d’abstention plus élevé que la moyenne européenne, même si l’on constate un resserrement des écarts lors des dernières élections de 2009 – 59,4 % d’abstention en France, contre 57 % en moyenne en Europe. Pourquoi ces chiffres sont-ils si élevés ? Sans doute à cause d’un manque d’information, qui concerne d’ailleurs autant les citoyens français que les résidents citoyens ressortissants d’un autre État de l’Union… Précisément, les propositions du Gouvernement à ce sujet ne sont pas rassurantes, puisque le projet de loi de finances pour 2014 prévoit de dématérialiser la propagande électorale pour les élections européennes. À l’appui de cette proposition, le Gouvernement met en avant le coût financier et environnemental lié au transport et à l’envoi de la propagande sous format papier – au total, il évalue à 27,6 millions d’euros l’économie nette qui serait réalisée. Je rappelle toutefois que, pour nombre d’électeurs, la réception du courrier contenant la propagande électorale constitue la meilleure, si ce n’est l’unique voie d’information concernant une élection à venir. Aussi ce courrier présente-t-il un caractère indispensable. La suppression de la propagande électorale sous format papier ferait courir le risque d’un taux de participation à l’élection européenne encore plus faible que par le passé. Je salue ainsi l’initiative prise par nos collègues membres de la commission des finances, qui ont rejeté cette disposition pour garantir aux élections européennes de ne pas devenir une élection de second rang. La démocratie a certes un coût, mais c’est un coût d’investissement sur le bon fonctionnement de nos institutions, et non une dépense à fonds perdu. Une autre explication peut être recherchée du côté de la complexité du système des listes électorales pour les ressortissants de l’Union résidant en France. Il subsiste en effet deux listes électorales complémentaires pour l’inscription des électeurs non français : l’une pour les élections municipales, l’autre pour les élections européennes. Comme le souligne très justement notre collègue Jean-Yves Leconte à la fin de son rapport, cette situation oblige un citoyen européen non français souhaitant voter pour l’ensemble des élections auxquelles il peut participer en France à solliciter deux inscriptions concomitantes. Il est urgent de supprimer cette dualité de listes, qui est source évidente de confusion et ne favorise pas la participation des électeurs. Environ un million d’Européens non français sont inscrits sur les listes électorales en France, ce qui n’est pas énorme au regard du nombre total d’Européens qui vivent en France. Je n’ai pas réussi à obtenir le chiffre exact, mais, lorsque je tenais les bureaux de vote pour les élections européennes ou municipales dans ma commune, j’ai pu constater que cette participation était très faible. Le Mouvement européen souhaite que le Gouvernement engage une campagne pour inciter ces Européens qui vivent en France non seulement à s’inscrire sur les listes, mais à participer au vote. C’est en effet le rôle du Gouvernement, mais, pour l’instant, rien ne vient nous rassurer… Puisque vous êtes parmi nous pour défendre ce texte, madame la ministre, il me semble important que vous puissiez prendre en compte cet élément et en parler à votre collègue ministre de l’intérieur, afin qu’il intègre dans ses coûts cette campagne d’information, indispensable selon nous. Bien entendu, plusieurs enjeux restent sans réponse. Le premier d’entre eux est le besoin urgent de redonner aux citoyens européens la volonté de s’investir dans le débat politique européen et français. Nous avons, mes chers collègues, une lourde responsabilité dans cette tâche, et les problèmes d’une Europe qui nous semble lointaine ne sont en fait que le reflet des propres maux qui affectent notre vie politique. Il serait temps que l’Europe des Vingt-huit que nous avons bâtie jadis devienne une Europe à vingt-huit. Cependant, nous ne ferons pas preuve de mauvaise foi : chaque mesure qui rendra l’Europe plus simple et plus accessible pour ses citoyens sera une petite victoire pour plus de transparence, plus de clarté et, en définitive, plus de démocratie. C’est le cas du présent projet de loi. Pour cette raison, les membres du groupe UDI-UC le voteront à l’unanimité, les deux mains levées ! (M. André Gattolin applaudit, ainsi que M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur.)