Les interventions en séance

Education et enseignement supérieur
03/11/2011

«Proposition de loi visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans»

M. Jean-Jacques Pignard

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le psychodrame que nous vivons depuis le début de cette soirée s’explique, à mon sens, par une confusion que les propos de Mme le rapporteur n’ont pas totalement dissipée. À l’origine, la proposition de loi de Mme Cartron visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans était d’une rigoureuse simplicité : on pouvait être d’accord ou pas, mais ce texte avait au moins le mérite de la clarté. Ensuite, au fil des discussions en commission, sont venues se greffer sur la proposition de loi des dispositions relatives à l’accueil des enfants âgés de deux ans : certes, il n’a pas été dit qu’il s’agissait de le rendre obligatoire, mais certains attendus ont donné à entendre que ce pourrait être le cas. Finalement, on ne sait plus très bien quel est le sujet : l’obligation concerne-t-elle les enfants de trois ans ou ceux de deux ans ? Pour la clarté du débat, je m’exprimerai d’abord sur la scolarisation obligatoire à trois ans, avant d’aborder l’accueil des enfants dès deux ans. Depuis un mois, la nouvelle majorité sénatoriale ne s’est pas privée d’opposer la question préalable à des propositions de loi émanant d’autres travées, sous le prétexte qu’il s’agissait selon elle de textes d’affichage. Je serais tenté de lui rendre la politesse ce soir en votant la motion tendant au renvoi à la commission, mais celle-ci a peu de chances d’être adoptée. Pourtant, à mon sens, s’il est un texte qui mérite d’être qualifié « d’affichage », c’est bien la proposition de loi qui nous est soumise ! Rendre obligatoire ce qui est déjà inscrit dans les faits, dans les mœurs, dans les esprits, relève non pas, comme on essaie de nous le faire croire, de la grande tradition républicaine des lois sur l’école, mais tout simplement d’une stratégie électorale, à quelques mois d’échéances décisives. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.) Les grandes lois républicaines sur l’école ont changé la face de notre pays. Quand Jules Ferry introduisit l’obligation scolaire, les écoles communales existaient depuis cinquante déjà, depuis la loi Guizot, mais les parents n’y envoyaient pas leurs enfants, parce qu’ils préféraient les garder aux champs ou à l’atelier. Aujourd’hui, les écoles maternelles existent depuis des décennies, mais 99 % des parents y envoient leurs enfants sans y être contraints. Inscrire une obligation dans la loi parce que c’est une nécessité, comme à l’époque de Jules Ferry, n’est pas la même chose que le faire quand cela se borne à entériner la pratique. Il s’agit, dans un cas, d’un changement profond de la société, dans l’autre d’une mesure d’affichage électoral : il suffit, pour s’en convaincre, de relever que votre communiqué de presse fait référence à une « proposition de loi du groupe socialiste pour lutter contre le démantèlement de l’école maternelle orchestré par le Gouvernement » ! (Rires sur les travées de l’UMP.) Vous comprendrez, chers collègues de la majorité sénatoriale, que le groupe de l’Union centriste et républicaine ne vous suive pas sur cette voie… Je voudrais savoir en quoi consiste cette menace contre l’école maternelle. En effet, 99 % des parents y envoient leurs enfants parce qu’ils croient en elle : Mme le rapporteur admet elle-même qu’elle est reconnue comme l’une des meilleures du monde. Toutefois, ce n’est pas la situation actuelle qui est en cause, nous dit-on, mais celle qui résultera inéluctablement des choix du Gouvernement… Alors, monsieur le ministre, nous centristes voudrions être certains que nous ne faisons pas fausse route en vous soutenant : avez-vous vraiment l’intention de démanteler l’école maternelle, de ne plus y accueillir les enfants de trois ans quels que soient leur origine sociale, leur âge, leur langue ? (M. Alain Gournac rit.) Si tel était le cas, évidemment, nous modifierions notre position ! (Sourires sur les travées de l’UMP.) Mais, plus sérieusement, je n’en crois rien… Certes, les défenseurs de la proposition de loi évoquent les jardins d’éveil, qui constituent selon eux une menace considérable. Revenons à la réalité ! Ces jardins d’éveil relèvent d’initiatives privées, si j’ose dire parcellaires. Ils ont leur place dans une société de liberté, mais je ne suis pas du tout convaincu qu’ils menacent l’existence de l’école publique. Cela étant, plus grande est la menace, plus grand est le sauveur ! On veut nous faire croire qu’il n’y a pas de fumée sans feu : pour ma part, je vois pourtant beaucoup de fumée, mais pas de feu ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Hervé Maurey applaudit également.) J’en viens maintenant au problème de l’accueil des enfants âgés de deux ans et du devenir de l’école maternelle, qui ne pourra rester demain ce qu’elle était hier ou ce qu’elle est aujourd’hui. La formation des enseignants ou l’accueil des enfants de deux ans sont bien entendu des questions essentielles, mais qui méritent un véritable débat et ne sauraient être l’objet d’une simple proposition de loi ! Oui, nous sommes d’accord pour engager ce débat ; non, nous ne sommes pas favorable à un texte de circonstance qui masque en fait une argumentation politique. Rendre obligatoire ce qui va de soi… En commission, M. Assouline m’a dit, de manière très fleurie, que ce n’est pas parce que c’est une évidence qu’il ne faut pas l’inscrire dans la loi ! J’avoue que je préférais M. Assouline dans un autre registre, quand il proclamait qu’il est interdit d’interdire ; devenu sénateur, il estime qu’il est obligatoire d’obliger ! (Rires sur les travées de l’UMP.) S’il faut inscrire l’évidence dans la loi, pourquoi ne pas y inscrire alors que le ciel est bleu quand il n’y a pas de nuages, l’herbe verte au début du printemps, les arbres rouges au cœur de l’automne… Que l’on me permette de faire du Sueur de temps en temps ! (Nouveaux rires et applaudissements sur les travées de l’UMP.) Pour poursuivre dans ce registre, je dirais volontiers : « qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse » ! Chers collègues de la majorité sénatoriale, je vous le dis très simplement, avec un peu d’humour pour détendre l’ambiance électrique de ce soir : depuis votre victoire électorale, vous vivez, cela est normal, une sorte de nuit d’ivresse législative, ce qui vous conduit à déposer de très nombreux textes, les uns significatifs, les autres non, l’essentiel étant qu’ils donnent lieu à débat. Comme vous le reconnaissez vous-mêmes dans la presse, cela vous fournit une belle tribune. Faut-il, pour autant, grossir des incidents de séance comme celui que nous avons vécu tout à l’heure, certes regrettable ? Soyons sérieux : il est vrai que nous sommes en brumaire, mais nous ne nous trouvons pas à Saint-Cloud ; le Gouvernement n’a pas fait donner la garde, il s’est contenté de rappeler quelques règles constitutionnelles. Ces nuits d’ivresse, printanières ou automnales, nous les avons tous connues, les uns et les autres, dans cet hémicycle. Elles n’ont qu’un temps et conduisent parfois à des réveils douloureux. Sachons tous raison garder : pour notre part, nous ne sommes pas contre l’école maternelle, mais nous sommes contre un texte qui, nous semble-t-il, n’a pas d’utilité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)