Les interventions en séance

Budget
Catherine Morin-Desailly 03/11/2011

«Proposition de loi relative au patrimoine monumental de l’État»

Mme Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de débattre de l’avenir du patrimoine monumental français, je souhaite en rappeler l’importance en quelques chiffres. La France compte 14 000 monuments classés, 27 monuments inscrits et plus de 2 000 parcs et jardins protégés. L’État détient 1 700 monuments, dont 96 sont gérés par le Centre des monuments nationaux, le CMN. Cette centaine de monuments accueille 8,6 millions de visiteurs par an, mais 6 seulement sont bénéficiaires. C’est grâce à un système de péréquation que le CMN peut pratiquer une « solidarité nationale patrimoniale ». Enfin, aspect non négligeable, le patrimoine représente 100 000 emplois directs et presque dix fois plus d’emplois indirects. Bien entendu, notre patrimoine ne se résume pas à des données chiffrées. Il fait avant tout appel à l’idée d’un héritage légué par les générations qui nous ont précédés et que nous devons, à notre tour, transmettre. Nos monuments sont le reflet de notre histoire et des lieux de culture auxquels les citoyens sont attachés. Plus encore, ils sont le reflet de notre identité humaine. J’aime Gandhi, tout autant que Victor Hugo dont l’esprit plane sur cette maison et qui écrivit : « Il faut des monuments aux cités de l’homme. Autrement où serait la différence entre la ville et la fourmilière ? ». Je suis convaincue que, vous tous ici présents dans cet hémicycle, vous êtes attachés à notre patrimoine français. Nous souhaitons tous le préserver, le valoriser, l’animer, le rendre accessible... Forte de cette volonté, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication avait constitué en son sein un groupe de travail, conduit par Françoise Férat, pour analyser les perspectives d’avenir dans le cadre d’une éventuelle relance des transferts de monuments historiques de l’État, à la suite de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Je tiens à le repréciser, mais d’aucuns l’ont rappelé avant moi, le rapport issu de ce travail fut adopté à l’unanimité par notre commission. Il formulait dix propositions. Afin d’éviter ce qui pouvait apparaître comme une « braderie » de notre patrimoine, Françoise Férat et Jacques Legendre, dont je salue ici l’excellent travail, ont déposé une proposition de loi reposant sur la mise en œuvre d’un principe nécessaire de précaution devant intervenir à chaque étape du processus décisionnel. Ainsi, le texte offrait trois niveaux de garantie à une possible dévolution volontaire du patrimoine monumental étatique. Il créait, tout d’abord, un Haut conseil du patrimoine. Il encadrait ensuite les transferts, en y posant plusieurs conditions. Il définissait, enfin, une procédure à titre gratuit pour des transferts accompagnés d’un projet culturel. L’analyse systématique, rigoureuse et scientifique des enjeux de cession des monuments historiques, classés ou inscrits appartenant à l’État, prévus par la proposition de loi, allait dans le bon sens, vous en conviendrez, mes chers collègues. D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi cette démarche de dévolution encadrée qui, je le rappelle, implique la volonté des collectivités territoriales, pourrait avoir quelque chose de diabolique. Ne vaut-il pas mieux organiser un transfert de ces monuments dans des conditions de garantie pour leur permettre de vivre, d’être restaurés et ouverts au plus grand nombre, plutôt que de les laisser tomber en ruines ? Ainsi, dans le département dont je suis l’élue, la Seine-Maritime, l’abbaye de Jumièges a été transférée à la collectivité territoriale compétente. Nous ne pouvons que nous en réjouir : elle est aujourd’hui plus accessible, beaucoup plus vivante et plus souvent ouverte au public. Aujourd’hui, malheureusement, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale a de quoi véritablement inquiéter. Il constitue une régression, comme cela a été rappelé par Mme Férat. Du coup, il est incompréhensible que le rapport de ma collègue ait été rejeté en commission, alors qu’elle y avait pointé les dangers des modifications apportées par nos collègues députés et qu’elle nous avait proposé des amendements permettant de revenir à la version initiale du texte. Le groupe de l’Union centriste et républicaine déplore que la nouvelle majorité sénatoriale, pour des motifs que nous recherchons encore, n’ait pas approuvé ces propositions. Je rappelle que les modifications apportées par l’Assemblée nationale, qu’il convient absolument de corriger, sont essentiellement au nombre de quatre. La première modification est l’introduction de la liste détaillée des critères de la commission Rémond dans le code du patrimoine, ce qui réduit, par là même, le champ d’initiative du Haut conseil du patrimoine. La deuxième modification est la mission confiée au préfet départemental d’informer les collectivités des contraintes liées au patrimoine mondial, lors de l’élaboration d’un SCOT ou d’un PLU, alors qu’il serait plus cohérent que ce soit le préfet de région. La troisième modification implique une plus large compétence du pouvoir règlementaire, ce qui présente de moindres garanties que la loi. Enfin, la dernière, mais sans doute la plus dangereuse, est la modification de l’article 7 qui fixe une durée déterminée à la convention de transfert, période pendant laquelle la collectivité doit mettre en œuvre le projet culturel. Ces changements, bien sûr, modifient l’esprit du texte et ne peuvent pas être acceptés tels quels. C’est pourquoi nous soutiendrons, au nom du groupe de l’Union centriste et républicaine, les amendements déposés par notre collègue Françoise Férat. Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, j’ai bien entendu les arguments, déjà développés en première lecture, selon lesquels vous souhaitez plus de garanties pour préserver notre patrimoine. Aussi me semble-t-il tout à fait contradictoire que vous n’ayez pas au préalable, en commission, amendé le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. Celui-ci, vous l’avez vu, ouvre en effet de nombreuses brèches dans la dévolution patrimoniale. Cette démarche nous aurait permis de travailler a minima sur un socle commun solide, afin d’améliorer le texte en amont de la séance publique. Il serait tout de même regrettable que nos monuments connaissent le même sort que la plupart des hôtels particuliers parisiens. Actuellement, une exposition à la Cité de l’architecture raconte l’histoire de ces belles demeures, bâties du Moyen Âge au XIXe siècle. Alors qu’on en a dénombré jusqu’à 2 000 dans la capitale, il n’en reste que 400 environ, dont beaucoup abritent aujourd’hui des ambassades, des administrations ou des ministères. C’est l’empereur Napoléon Ier qui donna l’impulsion à ce type d’occupations, en incitant sa famille et ses ministres à prendre possession de ces adresses prestigieuses. Mais les temps changent ! Après la vente de l’hôtel de Montesquiou et le débat sur l’avenir incertain de l’hôtel de la Marine, il nous faut être vigilants. Nous sommes ici pleinement dans notre rôle de législateur. Je ne pourrai donc conclure, mes chers collègues, sans regretter les postures politiciennes adoptées par certains lors de l’examen de cette proposition de loi, conduisant notre collègue Françoise Férat, dont le travail avait été unanimement salué, à renoncer à rapporter son propre texte – ce qui est exceptionnel ! –, faute d’un consensus raisonnable. La Haute Assemblée s’est pourtant toujours distinguée par son travail approfondi et ses sages décisions. Le groupe UCR, qui a souhaité l’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Sénat, espère donc qu’il sera possible, à l’issue de ce débat, d’adopter un texte permettant de garantir à notre patrimoine le cadre nécessaire à sa protection. Laisser le dernier mot aux députés, laisser la dévolution du patrimoine monumental en l’état, ne me semble en aucun cas une solution. Nous appelons de nos vœux un texte qui permettra de relancer la dévolution patrimoniale, avec les garanties que celle-ci requiert. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)