Les interventions en séance

Economie et finances
03/06/2010

«Projet de loi de finances rectificative pour 2010»

M. Denis Badré

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vais m’efforcer de conférer à notre discussion une tonalité différente de celle que lui ont donnée les deux orateurs qui m’ont précédé.
« Sur la route qui nous conduira au succès, il y a de multiples obstacles, mais nous parviendrons à les franchir à force de courage, de patience, de volonté. Faire l’Europe, ce n’est pas faire un miracle, ce sera la récompense magnifique d’un long effort. ». Ainsi s’exprimait Paul-Henri Spaak, en 1949. Il se heurtait, déjà, à des difficultés. Il pressentait qu’il faudrait en surmonter d’autres et savait que la construction européenne serait d’abord affaire de volonté politique.
Vincent Auriol répondait en ces termes : « Aucun pays n’est plus attaché que la France à l’Europe qui, lentement, s’édifie, et dont la réalisation est indispensable à la paix, à la stabilité et à la prospérité du monde. » Tout était dit !
Crises il y eut, dans les années cinquante. Crises il y eut depuis. Crise il y a, indéniablement, aujourd’hui, sur un sujet emblématique et très sensible : l’euro ! Crise, donc, éminemment dangereuse, ne laissant aucun droit à l’erreur !
Nous sommes en effet dans un des domaines où l’Europe est allée le plus loin, alors que c’était, sans doute, le plus difficile puisque, avec la monnaie, on touche directement à la souveraineté.
On prend conscience, avec cette crise, que, même en étant allé aussi loin, on n’a parcouru que la moitié du chemin ! Une monnaie « orpheline d’État » devait poser problème un jour : nous y sommes !
Il faut maintenant éteindre l’incendie ; vous vous y employez, madame la ministre.
Le plan dont la mise en œuvre exige le présent projet de loi de finances rectificative doit être opérationnel très rapidement. Il est indispensable que nul n’ignore la volonté commune inébranlable des seize pays de l’Eurogroupe de sortir de la crise par le haut.
Le monde doit également savoir que, une fois le feu éteint, nous ferons le choix d’offrir un État à l’euro, c’est-à-dire un gouvernement économique à l’Europe.
Je sais que c’est exactement votre préoccupation, madame la ministre. Nous vous en remercions d’autant plus que certains eurosceptiques tentent de saisir une si belle occasion pour entraver, voire casser une construction européenne qui les dérange. Certains relancent même l’idée d’un retour au franc... Gribouille n’est pas mort !
Oui, madame la ministre, nous vous remercions d’autant plus que, si les enjeux sont lourds pour le présent, ils le sont également pour l’avenir. Toutes les décisions prises, tous les choix faits orientent la suite. Il faut donc qu’ils soient à la fois opérationnels pour le présent et porteurs de sens pour l’avenir. Que cela plaise ou dérange, c’est sous nos yeux, à chaud, que se poursuit la construction de l’Europe politique.
La crise, et c’est tant mieux, nous oblige à sortir de notre réserve et de nos doutes, à prendre conscience du fait que nous sommes engagés avec des partenaires qu’il nous faut écouter, comprendre, respecter.
Parmi eux figure la Grèce. Je ne reviens pas ici sur les responsabilités des gouvernements successifs qui ont mis ce pays en situation d’apparaître comme un « maillon faible », mais nous ne devons pas oublier non plus que nous portons tous une part de responsabilité, pour défaut de surveillance ou même, reconnaissons-le, pour ne pas avoir découragé la Grèce de poursuivre un effort militaire qui n’est plus vraiment de saison, mais qui nous intéressait.
Parmi ces partenaires figure également l’Espagne, qui connaît des difficultés assez différentes. Sa dette publique restait jusqu’à présent mesurée, mais elle voit sa notation secouée du fait de l’immobilier, du poids de la dette des particuliers, du niveau de son chômage – même s’il semble qu’il cesse de se dégrader –, ainsi que, disons-le, des premiers effets de mesures de rigueur nécessaires mais mal reçues par les Espagnols. La confiance des investisseurs dans la reprise étant atteinte, la notation de l’Espagne baisse, le crédit se renchérit et la dette publique dérape très vite.
On pourrait ainsi analyser les situations de chacun de nos partenaires, la nôtre également. Je dirai simplement qu’il faut porter, jour après jour, la plus grande attention à la confiance mutuelle qui doit, plus que jamais, souder le couple franco-allemand.
J’arrête sur ce point, en soulignant simplement que les marchés sont aux aguets, prompts à monter en épingle le cas d’un nouveau « maillon faible ».
Nous l’avons déjà dit : la crise est d’abord une crise de confiance. Or la confiance ne se décrète pas, elle se construit. La solidarité entre nos États doit être perçue comme sans faille, faute de quoi, le doute s’installera sur la robustesse de ceux qui n’ont pas encore été « ciblés » et, plus généralement, sur notre capacité collective à la solidarité.
La dernière Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et européennes des parlements de l’Union européenne, la COSAC, réunie en début de semaine à Madrid, fut passionnante, car nous y avons vu l’Europe en mouvement. Elle a été l’occasion de mettre en évidence une grande convergence des analyses des parlementaires nationaux et européens à cet égard. Il est apparu clairement que nous partageons très largement une même volonté politique : nous devons réagir solidairement, fermement et immédiatement face à la crise si nous voulons pouvoir reprendre ensemble le chemin de la croissance, sachant qu’aucun des membres de l’Union n’est capable de le retrouver seul.
Dès lors que nous nous serons remis en ordre de marche, nous pourrons miser sur nos atouts, qui restent très porteurs dans le contexte de la mondialisation : des finances publiques et un appareil financier qui demeurent relativement sains, quoi qu’on en dise, un potentiel de recherche et de développement qui ne demande qu’à s’exprimer, un rayonnement commercial structuré, des amortisseurs sociaux qui jouent leurs rôles social et macroéconomique.
Notre handicap majeur est d’un autre ordre. Face à des marchés mondiaux qui réagissent dans l’instant, la sphère publique dans le monde reste éclatée entre deux cents États souverains. Nous n’avons donc plus le choix ! La gouvernance mondiale doit progresser, et nous attendons donc beaucoup du G20, madame la ministre. De son côté, l’Union européenne doit devenir l’acteur politique majeur dont on parlait toujours jusqu’à présent sans forcément vouloir qu’il advienne.
Lorsque l’on évoque l’idée que certains pourraient être poussés vers la sortie, c’est pour souligner immédiatement le caractère irréaliste ou absurde de cette hypothèse. L’Estonie continue à se préparer à devenir le dix-septième membre de la famille ; la Slovaquie, dernière arrivée, répète qu’elle se félicite de lui appartenir, et l’Islande aimerait presque pouvoir choisir l’euro sans l’Europe... La seule ombre à ce tableau, c’est la Suède, dont nous n’oublions pas qu’elle ne bénéficie pas d’une clause d’opting out, mais qui, elle, fait semblant de l’oublier.
Nous savons bien que la baisse de sa parité avec le dollar ne signifie pas la fin de l’euro. Relativisons : il est revenu pratiquement à son niveau de départ, après être descendu aux trois quarts de cette valeur, puis remonté bien au-dessus, les deux situations engendrant d’ailleurs symétriquement et successivement des alarmes tout aussi extrêmes.
Il est vrai qu’atteindre un niveau donné par le haut ou par le bas n’a pas la même signification, et qu’on s’est longtemps demandé si l’euro était surévalué ou le dollar sous-évalué... Alors, prenons les choses comme elles sont, en retenant le caractère premier des paramètres psychologiques et de la confiance.
L’euro, qui a pu prendre toute sa place et vivre plus de dix ans dans son statut de monnaie orpheline, n’ira pas plus loin sans État, non plus que l’Union économique et monétaire sans gouvernement économique.
Dans ce contexte, les décisions que nous allons ratifier paraissent aujourd’hui les bonnes. Sans doute eût-il été possible de frapper moins fort en intervenant plus tôt. Mais ce n’est plus la question. Consolons-nous en nous disant que, le mal s’étant creusé, les réformes de fond de la gouvernance européenne apparaissent maintenant incontournables et ne peuvent plus être refusées que par ceux qui refusent l’Europe elle-même.
L’analyse du détail de ce plan montre que la Commission va emprunter 60 milliards d’euros, consommant ainsi la totalité des possibilités de financement prévues à l’article 122, alinéa 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il est opportun qu’elle soit ainsi appelée à « monter en ligne », ce qu’elle n’a pas suffisamment fait jusqu’à présent.
Nous retrouvons cependant ici un vrai sujet : le budget européen ne peut emprunter, sans doute parce que l’Union n’est pas un État. Cette vraie question se reposera lorsqu’on réfléchira à ce que devrait être un vrai budget pour l’Europe, un budget capable d’investir. La question a été évoquée par la COSAC, tout comme un autre vrai sujet : à l’heure où l’on cherche à consolider les institutions de l’Union, les 450 milliards d’euros de garantie européenne des dettes souveraines des États relèvent d’une décision intergouvernementale et non communautaire, justement parce que l’Union ne peut pas emprunter. Cette garantie européenne est en réalité une garantie inter-États, qui doit être mise en œuvre, par parties, par des votes de chacun de nos parlements nationaux.
Car l’Europe, ce sont bien nos parlements. L’Europe, c’est bien nous, les Européens !
Au passage, nous notons de nouveau la nécessité et la force d’une implication solidaire du Parlement européen et de nos parlements nationaux. Aujourd’hui, celle-ci ne semble plus poser les mêmes problèmes qu’hier. Nécessité fait loi, et c’est tant mieux !
J’indique à M. le président de la commission des finances que la COSAC a notamment accueilli avec faveur l’idée d’une structuration de groupes de travail réunissant des représentants de la commission des budgets du Parlement européen et de nos commissions des finances. On devrait pouvoir progresser assez vite sur ce point, ce qui me semble intéressant alors que s’ouvre le débat sur les perspectives financières.
Puisse l’Europe sortir de l’épreuve institutionnellement plus unie et politiquement plus forte ! Cela dépendra de la capacité à travailler ensemble que sauront montrer, dans les semaines qui viennent, la Commission, le Conseil, le Parlement européen, les gouvernements et les parlements nationaux. Nous nous posions, mes chers collègues, la question de savoir comment le Sénat français allait mettre en œuvre le contrôle de subsidiarité que nous confie le traité de Lisbonne. Nous sommes très vite allés beaucoup plus loin...
C’est, je pense, ce qu’attendent de nous les Européens lorsqu’ils voient dans les parlements de l’Union les forums rapprochés du débat européen.
C’est en pensant à eux, à tous les Européens, que je vous confirme, madame la ministre, le vote positif et sans états d’âme du groupe de l’Union Centriste. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)