Les interventions en séance

Justice
Vincent Capo-Canellas 03/04/2013

«Question orale avec Débat sur les droits sanitaires et sociaux des détenus»

M. Vincent Capo-Canellas

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question des droits sociaux et sanitaires des détenus est fondamentale, sur un plan à la fois éthique et pratique. C’est pourquoi je remercie notre collègue Aline Archimbaud de l’avoir inscrite à l’agenda de la Haute Assemblée. D’un point de vue éthique, cette question renvoie à celle de la nature même de la société que nous voulons. L’état d’un système carcéral en dit long sur le cadre politique et social qui l’a engendré. Autrement dit, montez-moi vos prisons, et je vous dirai qui vous êtes : une société de droit, de cohésion et d’inclusion ou bien une société qui tolère en son sein le non-droit et l’exclusion. En France, au XXIsiècle, une telle alternative n’a pas lieu de perdurer, car le choix s’impose. Les prisons n’ont pas vocation à être des sanctuaires, ou plutôt des oubliettes, où les détenus seraient privés non seulement de la liberté, mais également de tout le reste. De par leur nature même, elles ont pourtant tendance à le devenir depuis de trop nombreuses années, ce qui compromet jusqu’à leur utilité. En effet, l’enjeu n’est pas seulement éthique, il est aussi pratique et concret. C’est toute la question de l’efficacité de la peine qui est posée. Sauf exceptions, l’incarcération est une sanction ponctuelle, qui doit préparer la réinsertion. L’une n’a aucun sens sans l’autre. Or plus les conditions d’incarcération sont mauvaises, plus les chances de réinsertion s’amenuisent. Et, force est de le constater, la situation de notre pays est très préoccupante de ce point de vue. Le problème n’est pas nouveau. Aline Archimbaud l’a rappelé, la France a semblé le découvrir ou le redécouvrir en 2000 avec le rapport de nos collègues Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel, au titre si éloquent, Prisons : une humiliation pour la République. Toutefois, pour parvenir, en 2000, à un tel constat, il aura fallu que la situation se dégrade depuis bien longtemps. Et il faudra attendre encore neuf ans pour que ce rapport trouve une traduction législative digne de ce nom, avec la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Ce texte a incontestablement représenté un progrès, dans la mesure où il a doté la France d’une loi fondamentale du service public pénitentiaire. Auparavant, les normes régissant les droits et obligations des détenus étaient principalement issues de dispositions réglementaires, de circulaires et de notes administratives. La loi de 2009 a instauré un droit à un minimum de revenus, un droit au travail et à l’insertion par l’activité économique, notamment avec l’acte d’engagement professionnel, un droit à la vie familiale, etc. Pour autant, les choses ont-elles fondamentalement changé sur le terrain ? Non, ou du moins insuffisamment, si l’on en croit le rapport d’information de nos collègues Jean-René Lecerf et Nicole Borvo Cohen-Seat du 4 juillet dernier, qui en dresse le bilan. La loi de 2009 serait insuffisamment appliquée et par trop incantatoire. Cette situation est pour le moins insatisfaisante, mais elle n’a, hélas, rien d’étonnant. En effet, de quoi parle-t-on lorsque l’on évoque les droits sanitaires et sociaux des détenus ? Le champ de la question est extrêmement large : il couvre les deux grands domaines que sont la garantie et le respect des droits et libertés fondamentales en prison et l’accès des détenus à une réinsertion socioprofessionnelle. À lui seul, le premier de ces domaines est vaste. Il va du droit au respect de la vie privée au droit à la santé et à la sécurité, en passant par le droit à la famille, à la culture, à l’information et au culte. Le second est moins vaste, mais tout aussi décisif : il s’agit du droit pour tout détenu à une formation et à un exercice professionnel au cours de sa détention. Puisque l’on ne peut parler de tout en un temps si contraint, je me focaliserai sur ce second point. Il est déterminant, car si les détenus ne peuvent accéder dans de bonnes conditions à une formation et travailler durant leur détention, leur réinsertion sur le marché du travail sera particulièrement problématique à leur sortie. Or, aujourd’hui, l’accès des détenus à une réinsertion socioprofessionnelle demeure malheureusement l’une des grandes faiblesses de l’institution pénitentiaire. L’accès à la formation, c’est pour commencer la lutte contre l’illettrisme et l’analphabétisme. Un rapport de 2006 du Conseil économique et social – avant que celui-ci ne devienne aussi environnemental – remis par M. Donat Decisier, souligne l’étendue des besoins en la matière et les lacunes du système. Il y a six ans, 18,3 % des détenus étaient en situation d’illettrisme et 13,9 % d’entre eux rencontraient des difficultés pour la lecture. Or, à cette époque, le repérage de l’illettrisme auprès de la population carcérale n’était pas systématique et la loi de 2009 n’a pas abordé cette question pourtant majeure. Par conséquent, monsieur le ministre, où en sommes-nous aujourd’hui ? Par ailleurs, les efforts déployés pour développer l’activité professionnelle en prison sont encore insuffisants. Alors que l’obligation d’activité constituait l’un des grands axes de la loi pénitentiaire, d’ailleurs introduit par le Sénat, son bilan est décevant : l’emploi et la formation ne concernent encore qu’une minorité de personnes détenues. Le taux d’activité global s’élève – le chiffre vient d’être cité – à 39,1 %. Encore n’est-il qu’un trompe-l’œil au regard de l’objectif final de la réinsertion socioprofessionnelle, puisque la notion d’activité est ici très largement définie. Parmi ces activités, combien sont suffisamment qualifiantes pour aider l’ancien détenu à réintégrer le marché du travail une fois sa peine purgée ? Environ la moitié seulement des 39 % des détenus occupés exerceraient de telles activités. Ainsi, 80 % des détenus ne bénéficient pas aujourd’hui d’une formation ou d’une activité professionnelle susceptible de favoriser leur réinsertion socioprofessionnelle. Les limites du système sont connues et très bien analysées par le rapport Lecerf-Borvo. Elles sont tout d’abord juridiques : la notion d’activité est trop largement définie, l’acte d’engagement n’est pas encore mis en œuvre, la rémunération à un taux horaire préfixé demeure problématique. Néanmoins, elles sont aussi financières : à l’heure où les marges de manœuvre sont partout contraintes, bien sûr, une telle politique réclame des moyens. Monsieur le ministre, le développement d’une véritable formation professionnelle des détenus constituera-t-il un axe prioritaire de l’action du Gouvernement ? La question est d’autant moins anodine que, plus généralement, la formation professionnelle est sans doute le plus important des chantiers qu’il nous faut lancer de façon urgente en matière d’emploi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du groupe écologiste.)