Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Jean-Léonce Dupont 03/04/2013

«Proposition de résolution relative au respect des droits et libertés des collectivités territoriales»

M. Jean-Léonce Dupont

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 3 juillet dernier, lecture était faite au Sénat de la déclaration de politique générale du Gouvernement. À cette occasion, nous avons pu entendre : « Il est fini le temps où l’État imposait ses décisions à des collectivités territoriales qu’il considérait comme de simples satellites, chargés d’exécuter sa volonté... Nous ouvrons la porte à une évolution profonde, un bouleversement inédit. Je demande à chacun d’en prendre la mesure. » Ou encore : « Je crois à la nécessité d’un État stratège, garant de la cohérence des politiques publiques et de la solidarité entre les citoyens et les territoires. » J’ai pris bonne note de cet engagement solennel. Puis, lors de la séance de clôture des états généraux de la démocratie territoriale, le Président de la République nous a annoncé vouloir un acte III de la décentralisation sans aucune simplification administrative, mais avec près de 1,5 milliard d’euros de ressources en moins. Au mois de janvier, nous avons appris que la facture serait sans doute davantage de l’ordre de 5 milliards d’euros, avec en prime le transfert de compétences nouvelles sans simplification préalable des normes... Alors, mes chers collègues, malgré les efforts de communication et d’annonce qui sont déployés, la politique gouvernementale me désappointe, car le malaise est grand. C’est pourquoi la présentation de la proposition de résolution de Jean-Claude Gaudin et de ses collègues n’intervient pas à un moment anodin. Certes, le mois de mars est celui d’un double anniversaire, celui de l’acte I et de l’acte II de la décentralisation. Alors que nous avons célébré l’an dernier le 30e anniversaire de la loi Deferre du 2 mars 1982 et que nous célébrons cette année le 10anniversaire de la révision constitutionnelle de mars 2003, chère au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, on peut mesurer le chemin parcouru. Telle qu’enseignée dans les facultés de droit, la décentralisation semble limpide. La loi de 1982 a jeté les fondements politiques et administratifs de notre nouvelle organisation administrative, quand le cycle législatif de 2003 introduisait le principe de l’autonomie financière et consacrait constitutionnellement la forme décentralisée de la République. La distance est pourtant grande entre ce qui est enseigné et ce que nous vivons sur le terrain. De la théorie à la pratique, il n’y a pas un pas, il y a désormais un fossé. Pourquoi rappeler aujourd’hui les grands principes constitutionnels et l’organisation qui régissent nos territoires ? Le constat est partagé : excessif enchevêtrement des compétences, nombre trop important et morcellement des structures d’administration territoriale et nécessaire réforme des finances locales, dans un contexte marqué par une augmentation substantielle des dépenses des collectivités locales et par une stagnation, quand ce n’est pas par une diminution, de leurs recettes. Outre une organisation administrative trop complexe, les collectivités et leurs élus souffrent d’asphyxie normative et d’asphyxie financière. L’asphyxie normative est un sujet d’actualité. Tous les médias l’ont évoqué ces derniers jours à l’occasion de la remise du rapport de MM. Lambert et Boulard, qui pointent plusieurs normes irrationnelles. Toutefois, ce énième rapport ne recommande de supprimer que 23 normes sur les 400 000 qui pèsent sur les collectivités locales… (M. Gérard Larcher acquiesce.) Les gouvernements successifs ont annoncé et parfois présenté des projets de simplification administrative et d’allégement des normes. Des parlementaires ont également déposé des textes en ce sens. Les dernières initiatives sont venues de M. Warsmann à l’Assemblée nationale et de M. Doligé au Sénat, mais, pour que leurs propositions de loi soient discutées, le parcours du combattant a été tel que l’on en vient à se demander si la volonté de simplification du Gouvernement est bien réelle. Mercredi dernier, le Président de la République a promis un « choc de simplification administrative » pour les entreprises. Très bien ! Attendons la concrétisation de cette promesse supplémentaire, mais j’appelle aussi de mes vœux un choc de simplification normative pour les collectivités. En tant qu’élus, nous dénonçons tous l’excès de normes et ses conséquences : charges financières insupportables pour les collectivités, situations de blocage ou d’absurdité, inégalités entre citoyens du fait de l’application ou de la non-application des normes, inégalités entre les territoires et frein au développement économique de ces derniers. Les rapports se succèdent, des constats sont dressés, mais, hélas ! sans qu’aucune suite ou presque ne leur soit donnée. Pour ma part, je trouve intéressante l’idée de l’instauration d’un principe de proportionnalité des normes et de leur possible adaptation à la situation financière des collectivités comme aux réalités locales. La loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées de 2005 est un exemple de ces textes inspirés par de bonnes intentions qui, sur le terrain, posent des difficultés techniques et financières considérables, notamment aux petites communes. Nous avons la chance de vivre dans un pays doté d’un riche patrimoine. L’accessibilité de tous les lieux publics aux personnes handicapées dès 2015 est un bel objectif, mais un véritable casse-tête pour bon nombre d’élus ! Il ne s’agit pas de plaider pour un retour en arrière ou pour le non-respect de la loi, mais un peu de souplesse me paraît indispensable si l’on ne veut pas enrayer l’action locale, déjà très contrainte. Quant à l’asphyxie financière, nos concitoyens n’en ont pas réellement conscience, mais elle constitue le plus grand danger qui menace les collectivités territoriales. Dans son Rapport d’information portant contribution à un bilan de la décentralisation, M. Hervé pose cette question cruciale : que valent les principes constitutionnels relatifs à la décentralisation ? Proclamer l’autonomie financière des collectivités, c’est très bien, mais, sans l’autonomie fiscale, l’autonomie devient un leurre, une « illusion constitutionnelle ». Avec la diminution de l’autonomie fiscale, qu’accentue encore la réforme de la taxe professionnelle, la portée du principe de libre administration des collectivités territoriales se trouve réduite. Or l’autonomie locale se mesure aux moyens dont dispose la collectivité, à son champ de compétences, à l’indépendance de ses décideurs et aux prérogatives de ces derniers en matière d’intervention, à la nature de ses liens avec l’État. L’autonomie fiscale de la région est aujourd’hui de moins de 10 %, celle du département de 16 %, celle de l’ensemble des communes et des EPCI de l’ordre de 40 %. Ces chiffres illustrent la marge de manœuvre de plus en plus ténue des collectivités. Certains départements n’ont-ils pas craint la cessation de paiement du fait de la compensation très insuffisante des dépenses sociales obligatoires, qui plombent leurs budgets, surtout dans les plus ruraux d’entre eux ? Alors que l’État se désengage chaque jour un peu plus pour ce qui est de l’investissement public comme de l’exercice de nombreuses compétences, il garde la main sur des ressources qui devraient normalement financer les nouvelles missions des territoires. Pour résumer – de manière un peu caricaturale, je vous l’accorde –, l’État transfère certes des ressources fiscales, mais des ressources archaïques et peu dynamiques, en décalage avec les véritables besoins de financement des politiques publiques locales. Dans ce contexte, je ne peux que soutenir la proposition de résolution de M. Gaudin. C’est un rappel opportun en forme de signal d’alarme au moment où s’annonce un acte III de la décentralisation. Les avant-projets ont été décriés au sein de tous les groupes et certains ont qualifié le projet de loi de texte fourre-tout, anachronique, monstrueux, plaçant les collectivités en situation de servitude… Avant l’examen au Sénat de ce texte, que nous examinerons avec une extrême vigilance, il reste quelques jours au Gouvernement pour affiner sa copie ou, devrais-je dire, ses copies. Il doit présenter des textes d’orientation clairs et respectueux de la libre administration des collectivités, afin qu’elles demeurent le premier investisseur public en France, avec des budgets équilibrés et une dette publique locale plus de dix fois inférieure à la dette de l’État, et qu’aucune collectivité ne puisse exercer demain de tutelle sur une autre, fût-ce par l’artifice de la présence de l’État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)