Les interventions en séance

Environnement et développement durable
Chantal Jouanno 03/04/2013

«Proposition de loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte»

Mme Chantal Jouanno

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis notre dernière discussion, le contexte a malheureusement assez peu changé. En revanche, les sollicitations sont de plus en plus nombreuses pour mettre en place une protection des lanceurs d’alerte et aller vers une harmonisation les protocoles d’expertise. De fait, l’absence d’accord sur les protocoles d’expertise alimente aujourd’hui de nombreux débats. À ce sujet, je souhaiterais évoquer le rapport de la mission commune d’information du Sénat sur les pesticides, présidée par Sophie Primas et dont le rapporteur était Nicole Bonnefoy. Il y est clairement indiqué qu’il est nécessaire de mettre en place une procédure de protection des lanceurs d’alerte. Dans un rapport paru très récemment, l’Agence européenne de l’environnement insiste sur la nécessité de détecter rapidement les signaux précoces. Avec vingt nouvelles études de cas concernant l’empoisonnement au mercure industriel ou les problèmes de fertilité causés par les pesticides, il montre bien que notre incapacité à détecter les signaux précoces a été, et sera encore à l’avenir, à l’origine de graves problèmes de santé publique. Le texte s’inscrit donc dans le droit fil de ce qui a été acté lors du Grenelle de l’environnement. Madame Didier, la loi votée alors à la quasi-unanimité, en effet, prévoyait l’élaboration d’un rapport sur cette question. Finalement, ce rapport n’a pas été fait – mea culpa –, mais la loi ne prévoyait que cela. La haute autorité envisagée a donc laissé place à une commission nationale, à la suite d’un travail parlementaire intéressant, marqué – il faut le reconnaître – par la volonté de rechercher autant que possible le consensus, loin de certaines déclarations très polémiques, que j’estime parfaitement inutiles. Aujourd’hui, il est de notre devoir de parlementaires de donner un cadre éthique au progrès ― et, pour cela, de fuir comme la peste ceux qui ne l’envisagent que comme un facteur de suspicion ―, de créer les conditions de détection des signaux faibles et de nous accorder sur la question de l’expertise. Cette proposition de loi est donc importante. Elle a fait l’objet d’un important travail de réécriture à l’Assemblée nationale. À cet égard, j’ai même entendu que, maintenant qu’elle était « limitée », on pouvait l’adopter… Il s’agit pourtant d’un problème central de santé publique. S’agissant des grandes épidémies auxquelles la France est confrontée – le diabète de type 1, l’obésité, le cancer, notamment les cancers infantiles, et les maladies neuro-dégénératives –, les facteurs environnementaux, dont les perturbateurs endocriniens sont l’un des éléments centraux, sont suspectés dans la plupart des cas relevant. Nous sommes aujourd’hui incapables, avec notre propre expertise, de croiser ces données et de détecter ces facteurs. Quant aux études de cohorte, elles sont malheureusement très longues et n’interviennent que bien après la détection desdits facteurs. Telle est bien la question centrale. Je le dis en toute amitié à mes collègues, j’espère que la réécriture de ce texte par l’Assemblée nationale ne l’a pas vidé de son ambition. Je ferai, de façon schématique et sommaire, un bilan des points négatifs et positifs de cette proposition de loi. En ce qui concerne les points négatifs, je commencerai par soulever de nouveau une question que j’ai déjà posée : ce texte nous permettra-t-il de nous accorder à l’avenir sur des lignes directrices concernant l’expertise ? C’est là, monsieur Bizet, la question centrale s’agissant des OGM. Nous ne sommes pas d’accord sur les lignes directrices de l’expertise, et c’est ce qui crée la polémique. De plus, serons-nous réellement capables, demain, de détecter les signaux faibles ? Ensuite, et vous êtes là directement concernée, madame la ministre, vous vous étiez engagée lors de la première lecture – notre groupe a une bonne mémoire ! – à nous expliciter précisément les mesures de rationalisation que vous alliez prendre pour que la création de cette nouvelle commission ne se traduise pas par une inflation du nombre d’instances et, surtout, par de nouvelles demandes budgétaires. Vous deviez nous apporter des réponses en deuxième lecture : nous y voilà ! Enfin, l’Assemblée nationale a supprimé du texte l’engagement de confidentialité des alertes, au motif que cela serait incohérent avec la publicité de l’alerte. Il s’agissait pourtant – et je m’adresse à vous, monsieur le rapporteur, car vous aviez utilisé cet argument en première lecture – d’un point fort de la proposition de loi. Cela devait contribuer à éviter les lancements abusifs d’alerte. En effet, même si des dispositions relatives à la diffamation ou à l’exigence de bonne foi ont été prévues, le laps de temps qui peut s’écouler entre le lancement d’une alerte et l’engagement éventuel d’une procédure judiciaire peut être extrêmement préjudiciable à certains acteurs, notamment économiques. Pour autant, ce texte contient plus d’aspects positifs que négatifs. D’abord, il apportera un progrès global, car la mise en place des registres d’alerte, auxquels les agences sont très favorables, et le croisement de ces registres permettront sans doute de détecter des failles dans notre système et certains signaux faibles. Par ailleurs, ce texte permettra de supprimer la confusion entre l’alerte et l’expertise, que nous avions signalée en première lecture, et de clarifier le rôle des CHSCT, limité à l’environnement et à la santé, ce qui peut faire débat. Pour finir, si la nouvelle organisation qu’il met en place fonctionne bien, ce texte apportera des précisions utiles quant aux règles de déontologie et d’indépendance de l’expertise. Par conséquent, la grande majorité du groupe UDI-UC s’abstiendra avec bienveillance, tandis qu’un certain nombre d’entre nous, dont Vincent Capo-Canellas, Henri Tandonnet et Nathalie Goulet, voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)