Les interventions en séance

Affaires sociales
02/06/2010

«Projet de loi relatif au Défenseur des droits»

M. Nicolas About

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec le projet de loi organique qui nous est soumis aujourd’hui, nous franchissons une étape supplémentaire dans la mise en œuvre des nouvelles dispositions importantes issues de la dernière révision constitutionnelle. Ce texte fait partie des quelques dispositions législatives d’application de la révision de 2008 non encore examinées par le Parlement. Je saisis l’occasion qui m’est donnée pour rappeler qu’un important texte d’application n’a toujours pas, à ce jour, été déposé sur le bureau du Parlement, près de deux ans après l’adoption de la révision constitutionnelle. Comme le soulignent les membres du comité de réflexion présidé par M. Édouard Balladur dans leur récent rapport La réforme institutionnelle deux ans après, le projet de loi sur le référendum d’initiative partagée n’a toujours pas été déposé sur le bureau du Parlement. J’en viens aux textes que nous examinons aujourd’hui. C’est sur l’initiative du président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, que l’appellation « Défenseur des droits » a finalement été retenue et non celle de « Défenseur des droits des citoyens », comme le prévoyait le projet initial de loi constitutionnelle. Ainsi, l’article 71-1 de la Constitution crée un Défenseur des droits, auquel toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public pourra adresser une réclamation. Le Défenseur prend la suite d’une institution née en 1973, le Médiateur de la République, dont le succès ne s’est jamais démenti. Il est aujourd’hui incontestable que cette institution a contribué à l’amélioration des relations entre les administrations et les citoyens. Durant toutes ces années d’activité, elle a traité plus de 750 000 réclamations et a émis plus de 750 propositions de réformes. Parmi celles qui ont abouti en 2010, on peut citer la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dont nous débattions dans cet hémicycle il y a à peine quelques mois. Il était important de rappeler ce succès, et plus généralement la popularité de cette institution, pour mieux mesurer l’importance de celle qui doit la remplacer, d’autant plus que le Défenseur des droits est une institution qui a vocation à aller bien au-delà de ce qu’était le Médiateur de la République. En 2008, le Constituant a fait le choix de regrouper des autorités administratives indépendantes dont les missions étaient voisines, afin de consolider leurs attributions en les confiant à une autorité constitutionnelle dotée de pouvoirs renforcés. Comme l’a rappelé notre excellent rapporteur, la commission des lois de notre assemblée a continué sur cette voie, allant plus loin que ce que prévoyait le texte déposé par le Gouvernement : elle a en effet décidé que le Défenseur des droits devrait reprendre l’intégralité des pouvoirs dévolus à la HALDE. Ainsi, le Défenseur des droits sera compétent pour connaître de toutes les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié par la France. Je me félicite de l’initiative proposée par notre rapporteur concernant la HALDE. Je suis persuadé que ce rattachement ira dans le sens d’un renforcement de la lutte contre les discriminations. Je me permets toutefois, monsieur le rapporteur, de regretter que la CADA ne fasse pas partie des autorités intégrées. Pour quelle véritable raison s’oppose-t-on à ce que ses missions soient reprises dès maintenant par le Défenseur des droits ? Je souhaite revenir sur l’un des points important de la réforme : la saisine directe du Défenseur des droits. L’article 4 du projet de loi organique permet à toute personne, physique ou morale, qui s’estime lésée dans ses droits et libertés par le fonctionnement d’une personne publique ou par une personne investie d’une mission de service public, de saisir le Défenseur. Ce dernier peut également connaître d’agissements de personnes privées lorsque ceux-ci sont de nature à mettre en cause la protection des droits d’un enfant ou qu’ils constituent un manquement aux règles de déontologie dans le domaine de la sécurité. On constate ici une autre différence par rapport au Médiateur : le Constituant a souhaité étendre le champ de compétence du Défenseur à la sphère privée. Par conséquent, la mission qui lui est confiée par la Constitution lui permet de traiter des réclamations mettant en cause des personnes privées. La mise en place d’une saisine directe a pour objet de supprimer le filtre parlementaire obligatoire, dont chacun reconnaît qu’il est devenu obsolète au fil des ans. L’article 7 dresse la liste des autorités publiques qui peuvent être amenées à saisir le Défenseur des droits par des voies de saisine complémentaires. Parmi celles-ci, certaines ont une réelle légitimité, d’autres apparaissent superflues, voire en contradiction avec la saisine directe. Il me paraît utile que les membres du Parlement puissent, de leur propre initiative, saisir le Défenseur des droits d’une question. De même, il est légitime que le président de l’Assemblée nationale ou celui du Sénat puisse transmettre au Défenseur toute pétition dont l’assemblée a été saisie. En revanche, qu’un député ou un sénateur puisse continuer à transmettre au Défenseur une réclamation individuelle alors que le texte instaure une saisine directe m’apparaît problématique. Comment ne pas craindre de voir apparaître, dans les faits, deux types de réclamations, de poids différents, avec, d’un côté, les réclamations simples et directes et, de l’autre, celles qui sont présentées par un parlementaire ? D’autant que la commission a souhaité préciser que le Défenseur serait tenu d’informer les parlementaires des suites données à leurs transmissions : une telle modalité ne fait, à mon sens, que renforcer un peu plus le poids des réclamations transmises par un parlementaire par rapport à celles qui seraient adressées par voie directe. Cette voie de saisine complémentaire ne me semble pas apporter de réelle plus-value. Elle risque, au contraire, de dévaloriser la saisine directe du Défenseur. Pour toutes ces raisons, je vous présenterai un amendement visant à supprimer la possibilité pour un parlementaire de transmettre au Défenseur une réclamation individuelle pour un tiers, ce qui ne l’empêchera pas, bien entendu, d’en déposer une en son nom propre. Le deuxième point sur lequel ce texte me paraît critiquable concerne le Défenseur des enfants, qui a été institué par la loi du 6 mars 2000. Le projet de loi organique prévoit son absorption par le Défenseur des droits. Or sa suppression risque d’avoir des conséquences néfastes, au regard tant des engagements internationaux de la France que de l’efficacité et, cela me semble plus important, du niveau de protection des droits des enfants. La dilution du rôle du Défenseur des enfants dans celui du Défenseur des droits affecterait l’accessibilité ainsi que la lisibilité de l’institution aux yeux de ceux qui me sont les plus chers, les enfants. Aujourd’hui, le Défenseur des enfants est une autorité parfaitement identifiée et accessible directement aux enfants, qui ont ainsi un interlocuteur visible, reconnu, spécialement chargé de la défense et de la promotion de leurs droits. Le Défenseur des enfants serait désormais remplacé par un simple adjoint, placé sous l’autorité directe du Défenseur des droits et n’ayant aucune autonomie d’initiative et de décision. Je constate que nombre des pays qui ont conféré un rang constitutionnel à un ombudsman général, et cela depuis longtemps, ont, malgré tout, conservé un défenseur chargé des droits des enfants. J’ai défendu cette position durant des années au Conseil de l’Europe. C’est pourquoi il m’a semblé indispensable, par souci de cohérence et par conviction, de présenter un amendement visant à sortir le Défenseur des enfants du périmètre de la nouvelle entité qu’est le Défenseur des droits. Pour finir, je tiens à saluer le travail réalisé par notre rapporteur, Patrice Gélard, qui a su apporter de nombreuses améliorations de fond à ce texte de mise en œuvre de la dernière révision constitutionnelle. Je terminerai mon propos en rappelant l’une d’elles : le texte adopté par la commission des lois intègre une disposition prévoyant que le Défenseur des droits devra établir un règlement intérieur et un code de déontologie. Cette innovation, dont je me félicite, aura notamment pour objet d’éviter tout conflit d’intérêt et reflète, une fois encore, la qualité du travail réalisé par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)