Les interventions en séance

Droit et réglementations
Yves Détraigne 02/02/2011

«Projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité»

M. Yves Détraigne

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd’hui avait suscité, lors de son examen par les députés, des débats souvent passionnés, parfois caricaturaux. Souhaitons que la Haute Assemblée puisse être le lieu d’un débat serein et constructif sur des questions d’une telle importance. Le projet de loi que nous examinons a d’abord pour objet de transposer dans notre droit trois directives européennes créant un cadre juridique pour une politique européenne de l’immigration. Pour l’essentiel, il est la conséquence du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté à l’unanimité des vingt-sept États membres de l’Union européenne le 16 octobre 2008. Mais il va bien au-delà d’une transposition. Il comporte aussi des dispositions qui traduisent des choix politiques propres à la France. Il en va notamment ainsi des mesures relatives au droit de la nationalité et au contrat d’accueil et d’intégration. L’immigration est un sujet complexe, qui s’articule autour de deux principes : rechercher une pleine intégration des étrangers en situation régulière, et lutter contre l’immigration illégale. Les moyens mis en œuvre pour respecter ces deux principes, qu’ils soient juridiques ou matériels, se doivent d’être équivalents. Il convient de garder cette notion à l’esprit tout au long de l’examen du présent texte, afin de s’assurer que ce dernier respecte cet équilibre. Est-ce le cas ? Certainement, puisque le projet de loi contient, outre des moyens favorisant une intégration accrue des étrangers que nous accueillons sur notre territoire, de nouveaux outils permettant de renforcer l’indispensable lutte contre l’immigration clandestine. Cela étant, ce renforcement des moyens de répression se doit également de respecter les principes généraux du droit. Or, sur certains points, j’estime que nos collègues députés sont allés un peu trop loin. Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple de l’article 37, relatif à la saisine du juge des libertés et de la détention en vue de prolonger une mesure de rétention. J’ai bien compris que la finalité de cette mesure était de renforcer l’efficacité des procédures d’éloignement, à travers une meilleure articulation de l’intervention des juges administratif et judiciaire. Le texte, dans sa rédaction issue de l’Assemblée nationale, fait passer de quarante-huit heures à cinq jours le délai à l’expiration duquel le juge des libertés et de la détention doit être saisi, à compter de la décision de placement en rétention. À ce stade du débat, il me paraît indispensable de rappeler l’article 66 de la Constitution aux termes duquel « l’autorité judiciaire [est] gardienne de la liberté individuelle ». Or, en l’espèce, il s’agit précisément du juge des libertés et de la détention : il est donc légitime de s’interroger sur la constitutionnalité d’une intervention si tardive, même si elle a été ramenée de sept à cinq jours. En la matière, le Conseil constitutionnel a posé deux bornes.
Tout d’abord, rappelant « que la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible », il a estimé qu’une disposition prévoyant un régime de rétention administrative dans lequel le juge judiciaire n’intervenait qu’après sept jours n’était pas conforme à la Constitution. Les Sages ont, par la suite, validé le principe d’une saisine du juge judiciaire au terme d’un délai de quarante-huit heures. Autrement dit, cette institution a décidé qu’il était conforme à la Constitution de saisir le juge dans un délai de quarante-huit heures, mais pas dans un délai de sept jours. D’aucuns ne manqueront pas de faire remarquer que cinq jours, c’est moins que sept... Certes ! Pour autant, il me semble que la commission des lois a pris une sage décision en remettant en cause ce délai de cinq jours, au vu du risque non négligeable d’inconstitutionnalité qu’il présentait. Au-delà du travail qu’elle a mené sur ce point important du projet de loi, la commission – son rapporteur en particulier – a réalisé un travail considérable et bienvenu, que je tiens à saluer dès à présent. Ainsi, les aménagements proposés et adoptés par la commission en matière de déchéance de nationalité vont dans le bon sens. Toutefois, considérant qu’il serait préférable d’être plus exigeant pour ce qui concerne les conditions d’attribution de la nationalité française plutôt que de retirer celle-ci à une personne qui l’a légitimement acquise, les membres du groupe de l’Union centriste ne voteront pas cette disposition, qui aboutirait à créer des différences de traitement entre personnes ayant la même nationalité. Comme l’a rappelé tout à l’heure notre collègue Yvon Collin, le Conseil constitutionnel a posé le principe selon lequel, « au regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité française, et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation ». Nous ne voulons pas créer deux catégories de Français ! Pour ce qui concerne les dispositions relatives aux zones d’attente, la commission a approfondi le travail de précision amorcé par l’Assemblée nationale. Il était notamment important d’insister sur le caractère temporaire que devaient avoir ces zones. De même, je salue la suppression de l’article 12 du projet de loi, qui aurait interdit d’invoquer une irrégularité pour la première fois en appel. Une telle mesure irait effectivement à l’encontre du principe de l’effet dévolutif de l’appel, comme l’a rappelé tout à l’heure M. le rapporteur. Un mot, enfin, au sujet de la carte de séjour « étrangers malades », créée par la loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile, la loi RESEDA du 11 mai 1998, et délivrée à un étranger dont l’état de santé nécessite « une prise en charge médicale [...], sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire ». Pour appliquer cette disposition, le Conseil d’État vérifiait, dans un premier temps, l’existence, ou non, de soins appropriés à la pathologie dans le pays d’origine. Dans deux arrêts du 7 avril 2010, la plus haute juridiction administrative a fait évoluer cette jurisprudence : désormais, avant de se prononcer sur la délivrance du titre de séjour, l’autorité administrative est tenue de vérifier, non seulement l’existence d’un traitement adéquat dans le pays d’origine, mais également la possibilité effective pour l’étranger malade d’y accéder. Pour autant, les députés ont craint qu’une telle évolution de jurisprudence ne fasse peser une charge déraisonnable sur le système de soins français. C’est pourquoi ils ont souhaité revenir au droit antérieur. Cette solution semble peu opportune, sur la forme comme sur le fond. Sur la forme, je regrette, à l’instar de nombreux collègues de la commission, que ces dispositions aient été introduites dans le projet de loi par voie d’amendements déposés à l’Assemblée nationale, ce qui a, malheureusement, dispensé le Gouvernement d’en évaluer l’impact. Sur le fond, je partage les préoccupations de la commission quant aux effets que pourrait avoir cette modification sur la santé publique. En conclusion, je souhaite de nouveau saluer le travail réalisé par François-Noël Buffet sur ce texte. Sur de nombreux points importants, il a su revenir à une position plus raisonnable et plus en accord avec les principes généraux du droit que celle que les députés ont adoptée, tout en favorisant une meilleure maîtrise des flux migratoires, condition essentielle de la sauvegarde de nos valeurs. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP. - M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois, applaudit également.)