Les interventions en séance

Budget
Catherine Morin-Desailly 01/12/2011

«Projet de loi de finances pour 2012 - Mission « Recherche et enseignement supérieur » »

Mme Catherine Morin-Desailly

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous, parlementaires, sommes bien placés pour connaître le contexte financier particulièrement difficile dans lequel s’inscrit le débat budgétaire aujourd’hui. Aussi, la stigmatisation systématique de l’État accusé de désengagement ne me semble très sincèrement ni honnête ni responsable. S’agissant des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », on peut observer qu’un effort particulier a été fait pour préserver le secteur, comme l’a noté M. Plancade dans son rapport écrit ; il l’a d’ailleurs réaffirmé en conclusion de son intervention ici-même à cette tribune. Tant pour la recherche que pour l’enseignement supérieur, la légère augmentation des crédits de la mission traduit donc la priorité donnée par le Gouvernement au financement des dépenses d’avenir, dans la droite ligne de la stratégie de Lisbonne. Il est en effet indispensable de soutenir la montée en puissance des réformes engagées par le Gouvernement, même si, contexte oblige, cela se fait moins vite et moins intensément que prévu. Cette montée en puissance se traduit en termes financiers par des crédits en hausse de 9 milliards d’euros par rapport à 2007. La commission des finances les a, quant à elle, évalués à 5,6 milliards d’euros. Cela se traduit aussi par un fléchage de 60 % des investissements d’avenir ouverts par la loi de finances rectificative de 2010 sur la recherche et l’enseignement, ainsi que par l’augmentation du crédit d’impôt en faveur de la recherche. Au-delà des finances, le secteur a fait l’objet de réformes structurelles d’importance. Les interlocuteurs ne remettent d’ailleurs pas vraiment en cause le principe de ces réformes qui étaient indispensables. Je pense notamment à la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi LRU, aux pôles régionaux d’enseignement supérieur et de recherche et pôles de compétitivité. Bien sûr, les objectifs visés par la LRU ne sont pas aujourd’hui complètement réalisés. Il faut donner du temps pour que les nombreux acteurs qui concourent à sa réussite adaptent leur gestion ou leur activité à ce nouveau cadre. Je pense notamment aux huit établissements universitaires visés par le rapport de notre collègue Jean-Pierre Plancade, qui rencontrent des difficultés financières pour la deuxième année consécutive. Il faut donc veiller, monsieur le ministre, malgré les contraintes budgétaires, à mieux ajuster les dotations des universités par rapport à l’inflation, sans quoi l’autonomie de gestion sera vouée à l’échec ! Ces ajustements, comme ceux qui ont été proposés dans le rapport d’information de 2009 de nos collègues Jean-Léonce Dupont et Philippe Adnot, doivent impérativement être opérés par le ministère pour pouvoir maintenir le cap de la réforme des universités, afin que le paquebot que constitue l’université française ne prenne pas les vagues de face. C’est ainsi qu’il pourra trouver son rythme de croisière… Au-delà des aspects techniques de l’autonomie des universités, la LRU vise à combattre le fort taux d’échec des étudiants. Aussi sommes-nous attentifs à l’exécution du plan « Réussir en licence » dont vous pourriez, monsieur le ministre, nous donner un état des lieux. La loi prévoit aussi qu’on investisse davantage dans le domaine de l’insertion professionnelle des étudiants. Elle a clairement confié aux universités une mission « d’orientation et d’insertion professionnelle », notamment en les obligeant à créer un « bureau d’aide à l’insertion professionnelle des étudiants ». Il s’agit malheureusement trop souvent de coquilles vides où ni les étudiants ni le monde socio-économique ne sont intégrés. Quant à l’appréciation de l’insertion professionnelle, on constate certes que 91,4 % des diplômés de master trouvent un emploi dans les trois ans – heureusement ! –, mais on n’a pas d’éléments d’appréciation qualitative de cette mesure, notamment les niveaux de salaires, les types de contrats, l’adéquation de l’emploi par rapport à la formation. Aussi, monsieur le ministre, nous restons attentifs aux analyses qualitatives sur l’insertion professionnelle. La reprise économique et l’attractivité de la France passeront indubitablement par la capacité de l’État et des universités, désormais autonomes, à créer des passerelles entre l’enseignement et le monde de l’entreprise. Je tiens à rappeler à cet égard ce que l’on doit à notre collègue anciennement rapporteur Jean-Léonce Dupont, qui, au moment de la LRU, avait dû fortement batailler pour que les conseils d’administration s’ouvrent à des personnalités qualifiées dans ce domaine. Pour répondre à cet enjeu de la création de passerelles entre ces deux mondes, le moyen de l’alternance semble le plus adéquat pour conjuguer formation et insertion professionnelle. Au niveau de la formation, l’alternance permet de confirmer ou d’infirmer les choix d’orientation. Au niveau de l’insertion, l’alternance semble le seul moyen de renverser la tendance haussière du chômage des jeunes ou encore les très nombreuses « surqualifications » des diplômés sur le marché du travail. L’alternance généralisée, qui a fait ses preuves dans les formations techniques, ou encore l’immersion précoce dans le milieu hospitalier des étudiants en médecine ne pourraient-elles pas gagner nos universités de droit, de langues, d’économie et de sciences ? Ce devrait être en tout cas l’objectif numéro un de la formation. En ce sens, des expérimentations pourraient être menées par des universités. C’est précisément la présence de professionnels dans les conseils d’administration des universités qui peut permettre un premier rapprochement entre ces deux mondes. Enfin, je ne doute pas que l’employabilité de nos diplômés des universités pourrait être encore améliorée si le niveau de langue, notamment en anglais, était renforcé. Ce n’est pas seulement l’ancien professeur d’anglais que j’ai été qui vous parle ! En effet, monsieur le ministre, force est de constater que l’économie et l’emploi ne connaissent pas de frontières, encore moins au sein de l’Union européenne. La maîtrise et l’approfondissement d’une langue étrangère doivent donc constituer un enseignement obligatoire à chaque étape du cursus universitaire. S’agissant de l’enseignement supérieur, reste à évoquer l’accompagnement de la vie étudiante. Si on ne peut que se réjouir de l’octroi d’un dixième mois de bourse pour les étudiants, dont j’avais déjà souligné l’opportunité l’année dernière, il faut garder à l’esprit que cette mesure ne suffit hélas pas à résoudre le problème de la paupérisation des étudiants. Disposant d’un budget extrêmement contraint, les étudiants sont conduits à négliger leur santé : en effet, 15 % d’entre eux tendent à renoncer à des soins pour des raisons financières, et 180 000 d’entre eux ne sont inscrits auprès d’aucun organisme de sécurité sociale alors qu’il s’agit d’une obligation. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous détailler les pistes que vous envisagez de poursuivre afin de répondre à cette préoccupation majeure des associations étudiantes ? Tout aussi préoccupante, la question du logement constitue une contrariété qui s’aggrave sous l’effet conjugué de la hausse des loyers et de la baisse de l’offre de logements, de nombreux bailleurs témoignant leur réticente ou proposant des logements insalubres à des étudiants désarmés. Dans ce contexte, on ne peut que saluer l’expérimentation menée dans les académies de Lille et Lyon, permettant, grâce au « passeport étudiant », de garantir les loyers du parc locatif privé et d’avancer la caution, par un fonds abondé de 1 million d’euros, géré par la caisse des dépôts en partenariat avec des banques privées. Au-delà du parc locatif privé, il est indispensable de poursuivre les efforts destinés à étendre le parc social de logements étudiants afin d’atteindre l’objectif du plan Anciaux : disposer d’une capacité d’accueil de 185 000 chambres à horizon 2016, contre 161 500 aujourd’hui. Voilà, mes chers collègues, les préoccupations dont je souhaite me faire l’écho concernant l’enseignement supérieur. La poursuite, l’ajustement et l’approfondissement de l’autonomie des universités me semble constituer un enjeu déterminant, favorisant la dynamique universitaire et les expérimentations dont l’université a besoin ; la vie étudiante doit également mobiliser toute notre attention, car la croissance économique et la cohésion sociale nécessitent une jeunesse bien formée, dans des conditions de vie qui lui permettent de se consacrer pleinement à leur apprentissage. Enfin, je formulerai deux remarques concernant la recherche, sujet que j’ai brièvement évoqué au début de mon intervention. Premièrement, les études l’attestent, le numérique constitue aujourd’hui un important gisement de croissance, d’emplois et d’innovation. De nouvelles opportunités s’ouvrent dans tous les domaines pour les acteurs les plus entreprenants et les plus innovants de notre pays. Aussi les investissements de l’État dans ce domaine sont-ils plus que jamais stratégiques. Il faut absolument poursuivre et renforcer le programme issu du grand emprunt, maintenir le crédit d’impôt recherche, inciter au développement de pôles de compétitivité dans ce domaine également, en rapprochant les étudiants, les chercheurs et les entreprises innovantes. Deuxièmement, les membres du groupe UCR apprécient l’effort consacré au secteur de la recherche et de l’innovation ces dernières années : ils saluent tant les budgets en hausse, les crédits du grand emprunt que le crédit d’impôt recherche. Certes, il est légitime de souhaiter toujours mieux, chers collègues. Toutefois, j’observe que notre pays n’a jamais consacré autant de moyens à la recherche : Jean-Pierre Plancade le souligne d’ailleurs dans son rapport. (M. Daniel Raoul s’exclame.) Monsieur Raoul, je ne fais que citer les conclusions de notre rapporteur, qui a conduit des travaux au sein de notre commission ! Il est légitime de mentionner son nom. Mes chers collègues, la France se situe au cinquième rang mondial pour les dépenses intérieures de recherche et développement derrière les États-Unis, le Japon, la Chine et l’Allemagne. Mais, monsieur Daunis, s’il est un sujet majeur aujourd’hui, il s’agit à nos yeux de la mobilisation des acteurs français au niveau européen.  Une fois de plus, face aux défis qui nous attendent, dans la perspective d’une Europe plus intégrée, c’est à cette échelle – en articulant efficacement le programme-cadre de recherche et développement ainsi qu’EUREKA aux programmes nationaux – que la France pèsera réellement au niveau mondial. C’est également en investissant massivement dans des recherches d’avenir, tels les nanotechnologies, les énergies renouvelables, la médecine ou encore le numérique, que notre pays s’imposera à l’avenir dans des projets industriels de dimension européenne sur les marchés internationaux. Plus et mieux d’Europe, voilà ce dont la France a réellement besoin ! Telle est la conclusion de mon intervention. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)