Les interventions en séance

Affaires sociales
01/06/2011

«Proposition de loi relative à la modernisation du congé maternité »

Mme Roselle Cros

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi aborde un sujet qui nous concerne tous, particulièrement les femmes. Dans cet hémicycle, nul ne saurait remettre en cause la nécessité d’adapter le congé de maternité aux évolutions du milieu du travail, qu’il s’agisse de l’accroissement du taux d’activité des femmes ou de l’allongement généralisé des temps de transport, notamment dans la région d’Île-de-France, comme en témoigne la résolution de la Haute Assemblée du 15 juin 2009 portant sur ce thème ou la position exprimée par la France dans le cadre de la révision de la directive de 1992. Sur l’initiative des institutions européennes, voulant non seulement garantir un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, mais aussi mieux protéger les travailleuses enceintes, la Commission européenne a proposé une directive tendant à allonger et à encadrer la durée du congé de maternité, à améliorer l’indemnisation de celui-ci et à renforcer la protection juridique des femmes enceintes. La directive prévoit aussi l’assouplissement des rythmes et horaires de travail et le renversement de la charge de la preuve en cas d’infraction de l’employeur. Si le processus de colégislation européen est avancé, aucun accord définitif n’est encore intervenu et aucune position commune n’a été adoptée sur ce texte. À l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, on me permettra d’observer que l’intervention européenne mérite davantage notre approbation quand elle a un objectif social de protection, surtout lorsqu’elle tend vers une harmonisation par le haut, que quand elle consiste à édicter des normes techniques contraignantes dont le citoyen ne comprend pas souvent l’intérêt… La présente proposition de loi, dont nous ne pouvons qu’approuver les objectifs, s’inscrit dans ce contexte européen et dans le cadre d’une politique familiale et de santé. Bien qu’aucune corrélation ne soit établie entre la générosité du dispositif d’un pays donné et le dynamisme de sa natalité, le congé de maternité est un outil de la politique démographique de la France, à l’instar du développement des modes de garde pour la petite enfance. Si les intentions qui sous-tendent ce texte sont louables et méritent donc d’être débattues, nous ne jugeons pas, en revanche, que toutes les mesures proposées soient des plus pertinentes. L’article 1er vise à porter de seize à vingt semaines la durée du congé de maternité, soit un allongement de quatre semaines. Comme le montre très bien le rapport, la France ne figure pas, il est vrai, au nombre des pays les plus généreux de l’Union européenne en la matière. Cependant, un passage brutal de seize à vingt semaines poserait nombre de problèmes pratiques et financiers. En effet, s’il convient de permettre à la mère d’accueillir son nouveau-né dans les meilleures conditions, il ne faut pas pour autant perdre de vue l’impératif de sa réinsertion professionnelle et de son retour à l’emploi après une longue coupure. Une logique de protection qui ne laisse aucune souplesse aux femmes, notamment pour répartir leurs congés avant et après l’accouchement, ne tient pas suffisamment compte de la réalité du milieu professionnel, ni des contraintes du monde du travail. C’est particulièrement vrai pour les femmes qui occupent des postes à responsabilités, qui exercent une activité indépendante ou, tout simplement, qui choisissent de consacrer tous leurs congés à leur nouveau-né. On observe aussi que beaucoup de femmes, et pas seulement des cadres, veulent maintenir un lien avec leur travail et leurs collègues durant leur congé de maternité, pour ne pas perdre le fil et préparer leur retour. C’est la raison pour laquelle nous serions favorables à un allongement du congé de maternité de deux semaines seulement, pour le faire passer de seize à dix-huit semaines, ce qui serait, du reste, conforme à la position exprimée par la France à l’échelon européen. En tout état de cause, cette disposition ne saurait faire, à elle seule, une loi, et il serait évidemment très prématuré de se prononcer maintenant sur tous les autres aspects du texte, alors que le Conseil n’est pas parvenu à définir une position commune. Au titre de la transposition de la directive européenne dans notre droit interne, nous pourrions nous trouver contraints de revenir sur un texte que nous viendrions tout juste d’adopter. À l’article 2, est prévu le maintien intégral du salaire pendant le congé de maternité, en remplacement du système actuel. Aujourd’hui, le congé de maternité n’est indemnisé, dans la limite du plafond de la sécurité sociale, qu’à hauteur du salaire journalier brut, diminué de la part salariale des cotisations sociales et de la contribution sociale généralisée. Il s’agit d’une mesure dont le financement n’est pas assuré et dont le coût serait de 1 milliard d’euros pour l’assurance maladie si la durée du congé de maternité était portée à dix-huit semaines. Est-il opportun d’accroître les déficits en ces temps difficiles pour nos finances publiques ? Nous souscrivons donc pleinement à la position de sagesse défendue par le Gouvernement à l’échelon européen, selon laquelle une indemnisation à hauteur de 100 % du salaire est envisageable, mais dans la limite d’un plafond défini par chaque État membre. L’article 5 vise à étendre aux femmes qui exercent une activité non salariée les droits accordés aux femmes salariées en matière de congé de maternité. L’intention est certes généreuse, mais peu réaliste ! Prenons un exemple que je connais bien, celui des femmes exploitantes agricoles. Tout le monde connaît les difficultés rencontrées par les agriculteurs qui veulent se faire remplacer pour prendre simplement une ou deux semaines de congés annuels : comment imaginer un remplacement de dix-huit semaines ? Le problème est toujours le même : en créant des droits de façon très générale, sans tenir compte des spécificités des métiers ou des secteurs professionnels, on finit par créer des inégalités. Avant de légiférer, une large concertation, s’appuyant sur des négociations collectives par secteur, serait souhaitable. Enfin, l’article 6 tend à créer un congé d’accueil de l’enfant au bénéfice du conjoint, du concubin ou du partenaire de PACS de la mère. L’objectif, louable, est d’adapter le droit à l’évolution de la société. Toutefois, le dispositif manque de clarté juridique, il ne vise pas les parents adoptants, ce que l’on peut regretter, et son coût n’est pas chiffré. Pour toutes ces raisons, les membres du groupe de l’Union centriste estiment que ce texte ne peut pas être adopté en l’état aujourd’hui, même s’ils comprennent l’initiative de Mme Campion et de ses collègues, saluent la qualité du travail accompli et reconnaissent l’importance du sujet. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)