Les débats

Droit et réglementations
Nathalie Goulet 30/06/2014

«Débat sur le bilan annuel de l՚application des lois»

Mme Nathalie Goulet

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ennui vient de l’uniformité !
Le bilan annuel de l’application des lois, c’est un peu comme le patinage artistique sur France 2 un dimanche après-midi : il y a les figures obligées et les figures libres ; donc, après les figures imposées exécutées par les présidentes et présidents des commissions, place maintenant aux figures libres ! (Sourires.)
Si le rapport annuel de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois est riche et dense, surtout dans sa deuxième partie, je remarque tout d’abord qu’il est entaché des vices mêmes qu’il dénonce, puisqu’il nous est parvenu seulement le 26 juin dernier, ce qui est un peu tard pour préparer efficacement les débats… En fait, le problème fondamental est que cette commission semble faire double emploi avec les commissions permanentes. Le premier alinéa de l’article 22 de notre règlement est formel sur ce point : le suivi de l’application des lois est une compétence des commissions permanentes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les présidentes et des présidents des commissions permanentes sont toutes et tous venus nous exposer leur avis. Dès lors, pourquoi nous encombrer de ce chapitre X bis de l’instruction générale du Bureau pour donner un semblant de légitimité à cette commission ? Je crois que nous serions bien avisés de revoir l’existence de cet article et, par là même, de cette commission. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Souffrez, chers collègues, que j’use de mon droit de parole ! D’ailleurs, puisque nous parlons de commissions et de délégations, je ferai remarquer que le président du Sénat s’est opposé à une demande émanant de l’ensemble des membres de la commission chargée d’examiner les problèmes d’évasion fiscale, sur l’initiative de notre excellent rapporteur Éric Bocquet, de création d’une délégation permanente pour suivre les problèmes d’évasion et de fraude fiscales. Quoi qu’il en soit, depuis un an, le Gouvernement nous sollicite régulièrement pour l’habiliter à prendre des ordonnances de simplification des normes réglementaires. J’ai d’ailleurs le bonheur et le privilège de représenter un département, l’Orne, qui est présidé par Alain Lambert, lequel nous parle tous les jours de l’avalanche de normes qui nous accable. Nous nous trouvons donc dans une situation assez singulière, où, d’un côté, on veut supprimer des normes, et où, de l’autre, celles qui sont nécessaires ne sont pas appliquées. Tous ces problèmes me semblent liés à deux questions fondamentales : celle de la qualité de la loi et celle de son application effective. Je commencerai par la question de la qualité de la loi. C’est un sujet qui est cher à l’excellent président de la commission des lois, notre collègue Jean-Pierre Sueur, qui vient d’ailleurs de présider un colloque sur l’écriture de la loi ; le Conseil constitutionnel nous rappelle aussi très souvent les conditions à respecter pour que la loi soit de bonne qualité. Néanmoins, tout cela ne nous empêche pas de sombrer dans de véritables naufrages législatifs. À titre d’exemple, j’évoquerai le récent texte sur l’aide au développement, qui n’avait de loi que le nom et qui, si notre commission des affaires étrangères ne s’en était pas mêlée, aurait été un texte exclusivement bavard, aucunement normatif et sans le moindre intérêt, sauf à transformer notre assemblée en relais inefficace de mère Térésa. (Mme Corinne Bouchoux sourit.) Je le dis avec d’autant plus de conviction qu’il a fallu se battre en commission mixte paritaire pour maintenir les procédures d’évaluation qui avaient été demandées par notre commission et que le Sénat avait adoptées. Le problème de la rédaction de la loi revêt donc une grande importance. J’en viens maintenant au problème de l’application de la loi. Entre 2012 et 2013, sur les trente lois qui ont été promulguées, cinq décrets d’application sont au point mort, notamment celui qui porte sur l’interdiction du Bisphénol A dans les produits alimentaires – nous en avons parlé tout à l’heure. Le problème, nous dit-on, est qu’il n’est pas conforme aux réglementations européennes. Certes, mais, en attendant, il crée un problème sanitaire ! Près de 11 % des mesures réglementaires de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 n’ont toujours pas été prises, alors que nous allons peut-être aborder le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative pour l’année 2014. Nous constatons le même phénomène en matière de lois de finances, puisque sept mesures d’application du collectif de décembre 2012 ne sont jamais sorties, notamment les dispositions réglementaires concernant la traçabilité du tabac, un sujet pourtant relativement important, et je ne parle pas de la réforme essentielle des lanceurs d’alerte. Sur cette question, non seulement notre réglementation est éparse, non seulement nous n’avons pas de définition précise du lanceur d’alerte, non seulement le dispositif n’est pas efficace, puisque certains lanceurs d’alerte viennent encore d’être licenciés, mais les décrets d’application ne paraissent pas. Avant de terminer, madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais vous parler de l’action de groupe, que nous avons eu beaucoup de difficulté à imposer. En tant que vice-présidente de la commission commune d’information sur le Mediator, j’estime que cette action de groupe permettrait tout de même de faciliter un certain nombre de procédures pour ceux qui n’ont pas les moyens de poursuivre individuellement des groupes, notamment pharmaceutiques, car les victimes, vous le savez, rencontrent des difficultés en raison du coût de la justice. Mes chers collègues, chacun vient ici apporter son petit lot de lamentations liées à ses propres préoccupations. Toutefois, très franchement, cette action de groupe doit, enfin, pouvoir être intégrée à notre droit positif. J’en viens à la question des conventions internationales. Celle-ci se pose à la marge. Toutefois, ceux qui ont siégé à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le savent parfaitement, le prestige et la reconnaissance de la France dans les institutions internationales supposent, outre de donner des leçons et d’illuminer la planète, de respecter les conventions internationales. Si nous ne les ratifions pas, cela soulève des problèmes ! Or certaines conventions sont dans les limbes entre l’Assemblée nationale et le Sénat, voire entre le Quai des brumes et chacune des deux chambres du Parlement depuis plus de onze ans ! À ce propos, je suis en possession d’une liste, et si vous êtes intéressés, mes chers collègues, je pourrai vous la communiquer. Pour conclure, je dirai que, parfois, quand les parlementaires demandent des rapports, ils savent très bien pourquoi ils le font. Monsieur le secrétaire d’État, vous qui avez été parlementaire, vous n’ignorez pas que, depuis 2007, je me bats pour résoudre le problème totalement inintéressant des ambassadeurs thématiques, au sujet duquel nous n’avons toujours pas obtenu le rapport que nous appelons de nos vœux. Non seulement le coût de ce dispositif nous est inconnu, mais les nominations continuent. Nous nous heurtons donc toujours au phénomène permanent du recyclage des amis en mal d’exotisme, des obligés alimentaires de la République dont notre pays ne peut plus supporter le coût. En revanche, comme l’a mentionné M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, votre collègue Jean-Yves Le Drian a remis à la commission des affaires étrangères un rapport sur la mise en place de la loi de programmation militaire. Ce rapport est remarquable et tout à fait utile à nos travaux. Nous pourrons ainsi suivre, je l’espère, la progression de l’application de cette loi, en évitant les gels et les surgels dont nous pouvons éventuellement craindre qu’ils ne l’affectent. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)