Les débats

Economie et finances
Yves Pozzo di Borgo 28/02/2012

«Débat préalable au Conseil européen des 1er et 2 mars 2012-Débat interactif et spontané»

M. Yves Pozzo di Borgo

Le 20 février dernier, à l’occasion d’une visite du Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, à son homologue britannique, David Cameron, douze pays de l’Union européenne ont cosigné une lettre ouverte à Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, et à José Manuel Barroso, président de la Commission européenne. Quoi que vous en disiez, monsieur le ministre, cette lettre dessine un très ambitieux « plan pour la croissance en Europe ». Ce plan, fondé sur huit priorités majeures, la France et l’Allemagne ne l’ont pas signé. Il s’agit notamment de réformer à l’échelon européen nos législations en matière de droit du travail, de financer des clusters européens tournés vers la recherche en matière environnementale et de soutenir nos entreprises hors de l’Union européenne. Bien sûr, ces propositions doivent être interprétées à la lumière des négociations européennes sur le prochain Pacte budgétaire. Ce plan est d’inspiration libérale en ce qu’il repose principalement sur l’idée d’une dérégulation nationale et européenne au profit d’un éventuel renforcement des normes prudentielles internationales. Il semble avoir pour vocation de servir de réponse politique à la prépondérance prise par l’Allemagne et la France dans la gestion régulière et intergouvernementale de la crise des dettes souveraines. Tout à l’heure, monsieur le ministre, vous avez fait à M. Yung une réponse rapide, expliquant qu’il s’agissait d’une initiative uniquement anglaise. Je trouve cette vision un peu caricaturale. À mes yeux, cette lettre exprime un mouvement beaucoup plus profond. Et je rappelle que douze pays européens l’ont signée ! Je souhaite donc que vous vouliez bien exposer la position du Gouvernement français de manière plus étoffée. Puisque vous avez l’air, monsieur le ministre, de rejeter cette lettre d’un revers de la main, j’aimerais aussi savoir quels sont, selon vous, les ressorts la croissance européenne et s’il existe un plan alternatif qui ne revienne pas finalement à arroser inutilement nos déficits avec les deniers publics.  

Réponse du ministre

M. Jean Leonetti, ministre. Comme vous l’avez dit, monsieur Pozzo di Borgo, ce plan est d’essence extrêmement libérale. Parmi les propositions des douze États, certaines sont positives, comme l’ouverture du capital-risque aux PME et la simplification pour celles-ci de l’accès aux marchés publics. Figure également la possibilité d’ouvrir l’ensemble des marchés, dès lors qu’ils ne concernent pas le domaine social, le domaine culturel et les marchés publics de proximité. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) Il va de soi que la France, pour sa part, est opposée à la dérégulation de l’ensemble des services sociaux dans nos villes et à leur ouverture à la concurrence. Nous sommes attachés à la préservation d’un service public à la française, ainsi qu’à la notion de délégation de service public, qui prévoit une négociation sur les appels d’offres. De même, nous refusons qu’on dérégule toutes les professions sous prétexte de créer, artificiellement et de manière temporaire, des emplois, au risque de déstabiliser toute une organisation sociale. Telles sont les raisons pour lesquelles la France n’a pas signé cet ensemble de propositions. Je rappelle que, dans la négociation de la directive du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, nous avons obtenu des garde-fous pour conserver l’organisation de nos services publics, à laquelle je suis sûr que l’ensemble des collectivités territoriales et nos concitoyens sont attachés. Mais il est aussi logique de chercher à identifier les facteurs susceptibles de stimuler la croissance et l’emploi. C’est ainsi que les mesures proposées pour les PME, l’apprentissage et la mobilité des jeunes me paraissent très positives pour la croissance de demain. De même, orienter l’ensemble des budgets vers l’innovation, la recherche, l’économie verte et le numérique est un facteur de croissance et d’emploi. Il reste que ces mesures, monsieur Pozzo di Borgo, ne vont pas dans le sens que vous avez évoqué : celui de la dérégulation et de la libéralisation totale de l’ensemble des marchés. Vous comprenez bien que cette politique tue complètement l’idée française de la réciprocité puisqu’elle implique que tous les autres pays du monde puissent pénétrer le marché européen en pratiquant le dumping et sans respecter aucun critère social, écologique ou d’innovation. Certaines des propositions faites par les douze pays sont donc bonnes. Mais il y en a d’autres auxquelles la France n’adhère pas, raison pour laquelle elle n’a pas signé la lettre ouverte.