Les débats

Aménagement du territoire
26/04/2010

«Débat portant sur la désindustrialisation»

 M. Claude Biwer

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme des onze mois au cours desquels se sont déroulés ses travaux, la mission est en mesure de présenter aujourd’hui un diagnostic précis et argumenté sur la désindustrialisation. En effet, en dix ans, le secteur a perdu plus de 500 000 emplois, pertes que l’on a essayé d’enrayer par une intervention renforcée de l’État et des collectivités territoriales. Entre 2008 et 2009, en Lorraine, le secteur industriel a représenté 20 % des baisses d’emploi. Nous constatons que c’est bien l’Asie, et notamment la Chine, qui est aujourd’hui l’usine du monde, elle qui dispose par ailleurs d’un marché en pleine expansion. Pour autant, l’Europe n’est pas mise au ban de l’industrie mondiale, comme le montre l’exemple de l’Allemagne. Ce pays a réussi à maintenir un tissu industriel fort, reposant sur l’excellence de ses formations, la valeur ajoutée de ses produits à forte dimension technologique, dans la chimie comme dans l’électronique, par exemple. La Chine jouit d’une réelle culture industrielle et peut compter sur un réseau dense de PME de taille critique pour exporter. L’industrie française a bien sûr, elle aussi, ses fleurons dans les secteurs de l’agroalimentaire et de l’aéronautique par exemple, mais son réseau industriel manque peut-être de diversité et d’efficacité, du fait du nombre insuffisant d’entreprises de taille intermédiaire, capables, elles, d’exporter sur les marchés dynamiques. Ce sont avant tout nos petites entreprises sous-traitantes de grands groupes industriels, étrangers parfois, qui sont les plus exposées à la désindustrialisation et vers qui il faut axer nos efforts. En outre, dans notre pays, l’État, monsieur le ministre, n’est pas un bon industriel. On ne lui demande pas de l’être, d’ailleurs ; on attend seulement de lui qu’il crée les conditions permettant aux industries de grandir. Pour cela, il faut des politiques publiques stables et non des campagnes de communication au cours desquelles on promet à tort que l’État empêchera la fermeture, pourtant inéluctable, d’un site, comme ce fut le cas d’Arcelor-Mittal en Lorraine. Le Gouvernement aurait les moyens d’activer des leviers pour favoriser l’environnement industriel. À la place, il met en place des dispositifs d’aides directes non durables, fortement administrés et lourds, entraînant des effets d’aubaine qui les rendent moins efficients. Ayant moi-même créé une toute petite entreprise dans l’hôtellerie-restauration, j’ai eu l’occasion, avant même l’ouverture de mon établissement, de mesurer le poids des difficultés administratives et financières. J’ai un peu regretté d’avoir choisi de rester dans mon village : si je m’étais installé quinze kilomètres plus loin, en Belgique ou au Luxembourg, j’aurais probablement été accueilli différemment et j’aurais peut-être eu la possibilité d’aller plus vite plus loin. Par ailleurs, je constate que l’on a abaissé cette année le taux du crédit d’impôt recherche de 75 % à 50 % ; il est prévu de le réduire à 25 % l’année prochaine. Comment peut-on soutenir l’innovation alors que, en quatre ans, les dispositifs fiscaux en faveur des industries innovantes ont été supprimés ou que les conditions d’éligibilité sont sans cesse plus restrictives ? L’interventionnisme direct dans l’entreprise par le biais de subventions et le centralisme en France ne sont pas des leviers efficaces pour soutenir l’industrie. Il vaut mieux, à l’instar de ce que fait l’Allemagne, favoriser les conditions d’un développement réussi des entreprises en soutenant la recherche et en favorisant une culture industrielle, via l’apprentissage et l’harmonisation européenne en matière de dépôt de brevets. En revanche, toutes les propositions – des vœux pieux ! – visant à renforcer les moyens des structures administratives existantes ou à favoriser l’interventionnisme de l’État dans l’entreprise elle-même me semblent vaines, car elles sont inadaptées aux attentes des entreprises de taille intermédiaire. En outre, il nous faut renforcer l’ancrage territorial de nos entreprises. Les pôles de compétitivité, et parfois les pôles d’excellence rurale, constituent à ce titre un instrument efficace et pertinent. Les entreprises, complémentaires les unes des autres, se constituent naturellement en réseau, essaiment sur le territoire et permettent le dialogue interentreprises. Pour ma part, je ne crois plus à l’efficacité, par exemple, des services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la DIRECCTE. L’ancrage territorial de nos entreprises passera par une responsabilisation sociétale de ces mêmes entreprises, telle qu’elle est prévue dans la norme ISO 26000 : engagement de formation des salariés, maillage du territoire, accords de méthode, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, revitalisation économique des territoires par anticipation, c’est-à-dire avant qu’un site ne procède à un plan social. Plutôt que de dépêcher à la hâte des commissaires à la réindustrialisation, pompiers souvent sans lances à incendie pour éteindre le feu de la désindustrialisation, il nous faut anticiper et inciter les entreprises à prendre des mesures, afin de permettre à la France de se réindustrialiser, comme l’a dit M. le rapporteur, et de retrouver son rang à l’échelon mondial. Parmi les difficultés que rencontre notre pays, ne perdons pas de vue le coût horaire de la main-d’œuvre française, dû partiellement à l’excellente protection sociale dont nous bénéficions, mais aussi, il faut le rappeler, aux effets des 35 heures (Protestations sur les travées du groupe socialiste), qui nous placent au plus bas dans la compétitivité industrielle mondiale. Chers collègues socialistes, mes propos vous déplaisent ? J’en ai entendu bien d’autres tout à l’heure que je désapprouvais tout autant, mais j’ai eu, moi, la courtoisie de vous écouter ! Dans notre pays, les entreprises n’ont pas intérêt à avoir besoin d’un dépannage urgent entre le jeudi soir et le mardi matin. Le « stock zéro » de pièces détachées, qui est devenu la règle, rend impossible tout dépannage avant le mardi, à condition toutefois qu’il n’y ait pas de problème de transport ! Si je fais cette remarque, c’est parce que j’observe que nombre d’entreprises de mon département frontalier se tournent hors de nos frontières pour s’approvisionner, voire pour s’équiper. Si toutes les entreprises implantées dans des zones situées à moins de 100 kilomètres de la frontière faisaient de même, c’est le tiers de notre production nationale qui serait abandonné au profit de nos voisins directs, par exemple les Allemands, les Belges, les Espagnols ou, pourquoi pas ?, les Italiens. Cela concerne les équipements, le dépannage, mais également – j’ai eu l’occasion de le constater personnellement – les travaux initiés et orchestrés par nos collectivités territoriales. Les fuites de capitaux, dont nous parlons parfois en France, limitent fortement nos capacités d’investissement et paralysent la consommation. Mais elles ne concernent pas seulement les grandes fortunes. Il y a aussi une multitude de petits porteurs qui franchissent nos frontières, et on n’en parle pas suffisamment. Je ne suis donc pas de ceux qui pensent que l’État doit toujours faire plus et qu’il faut toujours en rajouter. Je rêve simplement de voir l’État français éviter toutes ces erreurs de stratégie et prendre les mesures administratives pour permettre à chaque Française et Français de retrouver l’instinct de nationalisme positif, afin d’aider et de participer au renouveau économique dont notre pays a besoin. Pour cela, il faut redonner le goût au travail et l’espoir du lendemain, non pas par des promesses, mais par des actions simples permettant une relance avant tout « psychologique », préalable nécessaire à la réindustrialisation de notre pays. La mission d’information a bien pointé du doigt les anomalies et difficultés dont souffre l’économie française. Nous devons à présent être plus inventifs sur les actions à mener, en nous situant plus en amont qu’à l’accoutumée et au plus proche de l’entreprise et du territoire, de préférence sans politiser le débat. Nous devons faire preuve de courage pour prendre les bonnes mesures et démontrer notre volonté de nous unir sur toutes les travées de cette assemblée, et même au-delà, afin de mettre les bonnes idées en application, avec l’envie de réussir et de servir l’entreprise et le territoire !