Les débats

Catherine Morin-Desailly, Olivier Cadic, Michèle Vullien 25/10/2017

«Débat : "Intelligence artificielle, enjeux économiques et cadres légaux"»

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Mme Catherine Morin-Desailly . - Lors de son audition par notre commission, le président de l'Inria a déclaré : « pendant que la France fait des rapports, les autres pays investissent ». C'est significatif.

Au-delà tous les experts s'accordent à le dire : au niveau français comme européen nous n'avons ni l'ambition ni la stratégie appropriées au développement des nouvelles technologies. Les cerveaux fuient aux États-Unis qui ont fait depuis longtemps preuve de volontarisme dans ce domaine, permettant ainsi le développement de géants technologiques tels que Tesla, l'entreprise d'Elon Musk. Pas une technologie de l'iPhone n'a été développée sans aide active de l'État américain, y compris par des exemptions fiscales.

L'État doit absolument innover et faire évoluer la règlementation européenne de la concurrence, contre-productive. Tel est l'enjeu à un moment clef où nous mesurons le potentiel et les risques liés à l'intelligence artificielle.

Comment comptez-vous nous faire demeurer dans la compétition mondiale ? 

Réponse de M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - M. Villani a bien conscience qu'il ne doit pas nous faire un énième rapport mais nous proposer des orientations concrètes. Jusqu'à présent, nous nous sommes contentés de photographier la réalité dans des rapports. Il est temps de développer une véritable stratégie d'action. Relations avec les grands groupes compétitifs à l'export, financement : tels sont notamment les principaux enjeux.

En matière d'intelligence artificielle ou de cybersécurité, nous n'avons pas de pilotage national et nous manquons d'un regard stratégique. Je sais pouvoir compter sur le Sénat pour y travailler ; vous pouvez aussi compter sur moi.


M. Olivier Cadic . - Quelle sera la place de l'intelligence artificielle dans le marché du travail ? Visions malthusienne et schumpetérienne s'affrontent. Selon la première, il n'y aura plus de destruction créatrice : la moitié des emplois aux États-Unis seront remplacés à terme par des machines, ce qui justifie la théorie du revenu universel. Ce n'est pas la mienne. Certes les métiers changeront. Les cols blancs seront remplacés - comme jadis les cols bleus - par la creative class, comme on dit à l'université de Columbia.

Ils seront remplacés par les cols d'or. Selon Laurent Alexandre, les métiers de demain devront être complémentaires de l'intelligence artificielle. Il y a là un fantastique gisement pour l'avenir. Le défi, pour la puissance publique, est de les identifier, pour informer et pour former. Comment notre pays s'y prépare-t-il ? 

Réponse de M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Vous opposez deux visions. Nous voulons que chacun adapte ses compétences, sa formation pour créer des entreprises compétitives sur tout le territoire, dans des conditions de juste concurrence. 

Comment éviter la création de méga-monopoles, monstres économiques et démocratiques, dirigés par des « cols de diamant » qui évoluent dans un ordre nouveau ? Serons-nous légitimes aux yeux de leurs salariés-citoyens, quand certaines entreprises emploieront un million de salariés sur des îles flottantes dans les eaux internationales ? À nous de préciser l'avenir, d'investir dans nos valeurs, pour éviter un tel monde qui oublie la moitié de l'humanité. 

M. Olivier Cadic. - En 1995, le ministère de l'industrie avait publié un livre sur les cent technologies clés pour l'an 2000. Il ne citait nulle part Internet... Il s'agit donc bien d'identifier correctement les nouveaux métiers.


Mme Michèle Vullien . - L'intelligence artificielle est une chance pour l'organisation du territoire, mais il faut remettre l'homme au centre du débat. De quoi nos concitoyens ont-ils besoin ? Quelle qualité d'usage ?

En matière de transport publics, les navettes autonomes peuvent être une formidable opportunité pour mailler le territoire, en centre-ville ou dans la ruralité, où les transports à la demande fonctionnent mal. Elles permettraient une continuité du service public dans l'espace mais aussi dans le temps, en horaires atypiques, en apportant des réponses aux 20 % qui ont besoin d'autres solutions. 

Il existe déjà de telles navettes, comme les Navly dans le quartier de la Confluence, à Lyon. Mais la réglementation actuelle ne permet pas aux collectivités locales d'expérimenter librement. Comment les Assises de la mobilité et le projet de loi d'orientation qui en découlera prendront-ils en compte ces évolutions technologiques ? Les collectivités ont besoin d'un droit à l'expérimentation, voire d'un droit à l'erreur. Tout ne sera pas facile. Mais, comme on dit à la métropole de Lyon : aimons l'avenir ! 

Réponse de M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - On ne peut qu'aimer cette devise. Chaque territoire, chaque usage aura besoin de solutions différentes, personnalisées, ce qui nécessite la multi-modalité du transport, intelligente, adaptative et personnalisée. Le transport des personnes en situation de handicap, des malades, des collégiens et lycéens est imparfait, coûteux et incomplet. L'innovation sera un facteur de mieux-être pour ces publics. Ainsi le taxi médical en zone rurale pourrait être remplacé par des solutions plus adaptées.

Aujourd'hui, les véhicules autonomes ne sont autorisés que sur des espaces d'expérimentation restreints ; demain, avec la maturité de la technologie, ce sera des espaces sécurisés ouverts au public, puis des territoires entiers d'expérimentation - en zone rurale je l'espère.

Les technologies ne valent que si elles sont utiles ; c'est ainsi que l'on crée la confiance.