Les débats

Famille
25/05/2011

«Débat sur l’état de la recherche en matière d’obésité»

Mme Anne-Marie Payet

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Europe ne cesse de s’américaniser, pour le meilleur et pour le pire. En l’occurrence, puisqu’il est question d’obésité, ce n’est certainement pas pour le meilleur. Le développement de l’obésité en France est une réalité de plus en plus préoccupante. Comme l’a très bien rappelé notre collègue Brigitte Bout, les chiffres parlent d’eux-mêmes et sont frappants. La France compte aujourd’hui 16,9 % d’adultes obèses, avec une augmentation de la prévalence de l’obésité de presque 6 % par an ; 3,5 % des enfants sont obèses, soit quatre fois plus qu’en 1960, tandis que 14,3 % des enfants sont en surpoids. Et encore ne s’agit-il là que de statistiques globales qui ne disent rien des écarts observables au sein de la population française : écarts entre les sexes – l’obésité touche deux fois plus les femmes que les hommes – ; écarts entre catégories socioprofessionnelles, bien sûr ; écarts géographiques, aussi. C’est la raison pour laquelle le problème me tient très à cœur : l’obésité touche l’outre-mer et surtout la Réunion, dont je suis élue, de manière particulièrement forte. En effet, l’île de la Réunion ne fait pas exception à l’épidémie mondiale de l’obésité, considérée par l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé, comme « l’épidémie du siècle ». Dans les différentes études réalisées localement, on observe une différence nette entre les sexes. La fréquence du surpoids est plus élevée dans la population masculine : près de 40 % contre 33 % chez les femmes. En revanche, les prévalences de l’obésité sont sensiblement plus élevées chez les femmes, contrairement à ce qui est observé dans les différentes enquêtes nationales. Ainsi, les prévalences locales de l’obésité sont respectivement d’environ 10 % chez les hommes et de 20 % chez les femmes. En métropole, elles avoisinent 11 % chez les hommes comme chez les femmes. Je m’inquiète particulièrement de l’obésité chez l’enfant. En effet, la surcharge pondérale touche 15 % à 20 % des enfants à la Réunion et la prévalence de l’obésité infantile a quintuplé en moins de vingt ans. Les trois quarts de ces enfants resteront obèses à l’âge adulte et connaîtront les complications liées à l’obésité. La Réunion a subi une évolution rapide des modes de vie qui définit un contexte propice à la prise de poids et par conséquent au développement de maladies liées à la nutrition : diabète et hypertension artérielle, ou HTA, notamment dont l’obésité est l’un des facteurs de risque bien identifiés. Le retentissement de l’obésité est ainsi important en matière de mortalité et de morbidité. Le taux standardisé de mortalité due au diabète et à ses complications est de 62,8 pour 100 000 habitants en Guadeloupe, 63,3 en Martinique, 65,7 en Guyane, 108,3 à la Réunion, contre 32 pour 100 000 habitants en métropole. Ainsi, tous les Français ne sont pas égaux face à l’obésité. L’obésité est un phénomène dont l’impact néfaste est multiple : impact psychologique pour les personnes obèses qui ont du mal à s’accepter, impact social pour les victimes d’une maladie qui sont souvent stigmatisées, impact de santé publique, évidemment. Les pathologies liées à l’obésité sont en effet connues et nombreuses : diabète, risques cardiovasculaires, stéatose hépatique, certains cancers aussi. L’impact de l’obésité est aussi financier, évidemment : l’obésité représente un coût de plus en plus considérable pour l’assurance maladie. Dans ces conditions, on le comprend, prévenir et traiter l’obésité doit être une priorité absolue de santé publique. Cela n’a pas échappé au Président de la République, qui a créé en octobre 2009 une commission pour la prévention de l’obésité dont les recommandations ont imprégné le programme national nutrition santé. Mais combattre efficacement la maladie suppose bien sûr de la comprendre. D’où l’enjeu clé de la recherche. Je félicite au passage notre collègue Brigitte Bout pour l’excellent rapport qu’elle a rendu public le 8 décembre dernier au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, à la suite de la saisine de cet office par notre commission des affaires sociales sur ce thème. Ce rapport a l’immense mérite d’éclairer pour la première fois le dossier de l’obésité sous l’angle absolument déterminant de la recherche. Le présent débat est la suite logique de ce travail inédit. Et, compte tenu de l’enjeu, c’est tout à l’honneur de notre assemblée de s’en saisir de la sorte. Alors, à l’aune des informations rassemblées et mises en perspective par le rapport Bout, quelles conclusions tirer sur l’état de la recherche en matière d’obésité ? Nous avons beaucoup avancé, mais nous n’avons pas encore suffisamment avancé. Nous avons beaucoup avancé parce que nous savons désormais que l’obésité doit être considérée comme une maladie à part entière, une maladie chronique à la fois complexe et grave. Ses principaux mécanismes physiologiques ont été mis au jour, même si nous avons toujours du mal à appréhender ses causes et leurs interactions, qui sont nombreuses et varient en fonction des individus. Ce constat positif me donne l’occasion de saluer l’extraordinaire travail effectué, dans des conditions parfois bien difficiles, par les chercheurs, auxquels je tiens à rendre hommage. En revanche, il nous reste encore du chemin à parcourir parce que la recherche n’a pas encore réussi à élaborer des thérapies permettant de guérir cette maladie. Cela a été rappelé, tous les médicaments visant à réduire la prise alimentaire ont été retirés du marché compte tenu de leurs effets secondaires, alors que les médicaments jouant sur la mauvaise absorption des nutriments sont peu efficaces. À ce jour, seule la chirurgie bariatrique – essentiellement le by-pass gastrique – a un effet spectaculaire à la fois en matière de perte durable de poids et de diminution de la mortalité. Mais la chirurgie bariatrique demeure une solution qui peut être très éprouvante sur le plan psychologique. Fort de ce constat global, une conclusion s’impose : il nous faut aujourd’hui mettre l’accent sur la prévention. Ce n’est qu’à ce stade de l’analyse que je me permettrai de faire entendre une voix un peu différente par rapport aux conclusions du rapport Bout. Le rapport fait état des résultats modestes donnés par les actions ciblées qui ont été jusqu’à présent conduites. En conséquence, il préconise une approche beaucoup plus globale visant à réduire les inégalités dans les domaines de l’emploi, du logement, de l’éducation, de la santé et des transports, qui sont les leviers les plus puissants pour lutter contre l’obésité. C’est l’évidence même. Il me semble que nous ne nous sommes pas donné les moyens de nos ambitions en matière de prévention ciblée de l’obésité, autrement dit en matière d’éducation nutritionnelle. S’attaquer aux distributeurs de boisson et imposer des messages publicitaires constituent certes un premier pas encourageant, mais nous devrions aller au cœur du problème. Nous devrions nous servir des vertus pédagogiques de l’école pour apprendre aux enfants à se nourrir. Ne rien faire c’est laisser se perpétuer l’inégalité face à l’obésité. Par nature, l’école a vocation à enrayer ce type d’inégalité. Ainsi, nous pensons que l’éducation nutritionnelle scolaire est une voie à fortement privilégier pour lutter activement contre l’obésité. (Applaudissements.)