Les débats

Europe
23/06/2014

«Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 26 et 27 juin 2014»

M. Aymeri de Montesquiou

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « coordonner pour concrétiser », c’est le sens du semestre européen. Les injonctions de la Commission européenne sont claires ; où en est-on de leur mise en application ? Placée sous mécanisme d’alerte, la France fait l’objet d’un bilan approfondi et d’une surveillance particulière en raison de ses déséquilibres macroéconomiques chroniques. Si les mesures prévues par le Gouvernement sont globalement conformes aux recommandations pour 2013, leur mise en œuvre est dramatiquement insuffisante. La Commission européenne doute, comme la Cour des comptes, de notre capacité à atteindre l’objectif de ramener notre déficit public à 3 % du PIB à l’horizon 2015. Elle met en cause la politique que nous menons et souligne notre déficit de croissance. À ses yeux, la pression fiscale demeure beaucoup trop élevée, le ratio impôt/PIB étant de 45,9 %. C’est pourquoi elle insiste sur la nécessité de baisser les taux nominaux de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés, préconise le renforcement de l’efficacité de la TVA et s’inquiète du maintien en 2015 de la surtaxe sur les grandes entreprises au niveau extravagant de 38,1 %. Le coût du travail en France reste l’un des plus élevés de l’Union, et l’importance des charges fiscales sur le travail réduit la rentabilité des entreprises. Les PME peinent à atteindre la taille adéquate pour pouvoir exporter et innover. Des enquêtes internationales alertent sur la détérioration de l’environnement des entreprises en France, et le choc de simplification apparaît notoirement insuffisant. Quelles suites sont données au rapport dont l’auteur est devenu secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification ? La Commission européenne pointe des distorsions dans la structure des salaires et l’absence de flexibilité de ces derniers, dans un marché du travail beaucoup trop segmenté et en voie de détérioration. Elle estime que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, ne profite pas aux entreprises qui exportent et manque par conséquent un objectif essentiel. Dans quelle mesure les conclusions des assises de la fiscalité, saluées par le Conseil, sont-elles mises en œuvre par le Gouvernement ? Le rapport de la mission commune d’information sénatoriale sur la réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises sera remis sous peu : quel accueil le Gouvernement lui réservera-t-il ? Lors de sa déclaration de politique générale devant le Parlement, le Premier ministre a pris de très importants engagements au travers du pacte de responsabilité. Or, dans son architecture actuelle, ce pacte ne permet pas de réduire la dépense publique de 50 milliards d’euros. En réalité, il tend à fiscaliser une large part de la protection sociale, à hauteur de 30 milliards d’euros, en finançant à recettes constantes les baisses de charges annoncées. Il ne propose donc que 20 milliards d’économies nettes en trois ans, c’est-à-dire moins de 7 milliards d’euros de réduction du déficit public chaque année : c’est très nettement insuffisant ! De plus, les collectivités territoriales et les administrations de la sécurité sociale seront également mises à contribution. Dès lors, l’économie nette de 20 milliards d’euros sur trois ans pour le budget de l’État devient très difficile à retracer. La Commission européenne attend de notre pays une véritable réforme administrative visant à simplifier les échelons et à éliminer les chevauchements de compétences. Dans son récent rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des comptes doute de la faisabilité du pacte s’il ne s’accompagne pas d’une importante baisse des effectifs des collectivités territoriales et des administrations de la sécurité sociale. Elle fixe un objectif de 30 000 postes en moins par an. Allez-vous mettre en œuvre ces préconisations, comme cela est nécessaire pour faire baisser une dépense publique dramatiquement élevée ? Le projet de loi de finances rectificative sera discuté au Sénat le 7 juillet prochain. Vous devez mettre en place des instruments budgétaires en phase avec nos engagements européens : un service public rénové, un marché du travail fluidifié et des retraites alignées sur la moyenne européenne. Monsieur le secrétaire d’État, votre poste, extrêmement important au regard de ce que devrait être la place de la France dans l’Union européenne, va être très difficile à tenir si vous maintenez les positions que vous défendiez en tant que premier secrétaire du parti socialiste, lorsque vous exigiez le maintien de la retraite à 60 ans et l’embauche de 60 000 enseignants, fût-ce à effectif de la fonction publique globalement constant : c’est là l’exact contre-pied des recommandations de la Commission européenne. Ce qui me rend perplexe, c’est la schizophrénie française : vous savez que si vous persistez dans cette quasi-inertie au regard des engagements pris par la France, notre pays risque, ultime humiliation, d’être placé sous protocole ! Les engagements pris à l’égard de l’Union ne sont pas le seul motif devant nous pousser à entreprendre des réformes structurelles vitales pour la France : c’est dans notre propre intérêt ! Depuis mai 2012, notre endettement est passé de 1 700 milliards à 1 890 milliards d’euros et nous comptons 370 000 chômeurs de plus ; en outre, seulement 320 000 logements neufs ont été construits, au lieu des 500 000 annoncés. L’économie est étouffée par l’impôt. Vous expliquez avoir augmenté les impôts de 30 milliards d’euros comme le gouvernement Fillon. Je vais tenter, en recourant à une allégorie que vous trouverez peut-être audacieuse, de vous faire comprendre comment les Français ressentent la situation. Imaginez une voiture avec deux chauffeurs qui se relaient ; vous êtes le second. Des gendarmes vous arrêtent pour avoir roulé à 150 kilomètres à l’heure sur une route où la vitesse est limitée à 90 kilomètres à l’heure. Votre prédécesseur admet avoir roulé, pour sa part, à 120 kilomètres à l’heure : on va lui retirer six points, mais vous, vous allez perdre votre permis de conduire. La situation est analogue en matière de fiscalité et de charges pénalisant notre économie. Le Premier ministre a raison de baisser les charges et les impôts, mais pourquoi étaler ces mesures dans le temps ? Coupez tout de suite dans les dépenses ! Mettez en œuvre le programme présenté par M. Valls lorsqu’il était candidat à la primaire socialiste : il allait jusqu’à demander la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et des 35 heures. Il me semble enfin difficile de ne pas vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur le contentieux entre BNP Paribas et les États-Unis. Je rappelle que le règlement européen 2271/96 interdit aux entreprises et aux personnes physiques de faire droit aux injonctions américaines contraires au droit international en matière d’extraterritorialité. Allez-vous faire appliquer le droit européen, afin que l’Europe se fasse respecter en tant que puissance internationale ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)