Mme Nathalie Goulet
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en tant que membre de la commission des affaires étrangères, ayant également été vice-présidente de la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires, dont je salue le président, Martial Bourquin (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.), il n’y a rien de surprenant à ce que je sois particulièrement attentive à la place de nos PME-PMI à l’international.
Chaque année, avec régularité et obstination, j’évoque des pistes pour améliorer notre dispositif lors de l’examen des budgets des ministères en charge des PME-PMI et du commerce extérieur. La configuration politique de cette année m’ayant privée de cet exercice, je profite de ce débat particulièrement opportun, dont je remercie l’UMP (Ah ! sur les travées de l’UMP.) – une fois n’est pas coutume ! –, pour faire quelques observations, en espérant bénéficier d’une écoute plus attentive que les années précédentes.
Vous aurez donc droit à la version actualisée de mon texte, qui, vous l’aurez compris, est centré sur la place de nos PME-PMI à l’international, car le sujet proposé par nos collègues de l’UMP sur la place des petites et moyennes entreprises dans notre économie ne me limite pas aux frontières de la France.
Alors que nos ambassadeurs devraient être les chefs de file incontestés des dispositifs économiques, il n’est pas rare que l’équipe France marche en ordre dispersé, parfois même avec des joueurs qui marquent contre leur camp, et je vais vous en fournir quelques exemples.
L’attractivité de nos territoires, dont vous avez la charge, madame la ministre, commence à la porte de nos consulats. Que dire de cette politique absurde des visas, dénoncée dix fois par notre ancien collègue Adrien Gouteyron ? Alors que la demande de visas est en forte croissance – 2,5 millions de visas ont été accordés cette année –, nous sommes un modèle de décalage entre l’étendue de notre réseau diplomatique et consulaire et nos moindres performances en termes de diplomatie économique.
Notre réseau, qui compte 92 consulats et consulats généraux, et 135 sections consulaires d’ambassades, est sous tension : cet été, le consulat de Shanghai a tiré la sonnette d’alarme. Face à une demande de visas qui explose, dans une circonscription qui représente le quart du PIB chinois, nos capacités trop étroites créent un goulot d’étranglement. Notre consulat ne compte en effet que seize agents ; il faut huit semaines pour avoir un rendez-vous et 10 000 demandes sont rejetées avant examen, faute de capacité à les traiter. Tous les autres pays se renforcent dans la compétition afin d’attirer des touristes, lesquels dépensent en moyenne 1 200 euros par voyage. Les Américains, et désormais les Britanniques, sont à soixante-dix personnes. Même les Italiens font mieux que nous !
C’est là un manque à gagner considérable. En effet, les touristes chinois contribuent pour un tiers au chiffre d’affaires des grands magasins parisiens. On estime le coût d’opportunité d’un emploi non créé au consulat à 340 000 euros de recettes perdues chaque année pour le budget de l’État et à 8 millions d’euros pour l’économie française. Il en est de même à Moscou, en Australie, aux Émirats arabes Unis ou au Qatar. À cet égard, je vous renvoie au rapport budgétaire que nous n’avons pas pu examiner en séance.
Une fois franchi le seuil de nos ambassades, il y a les missions économiques. Vaste sujet ! On y trouve peu d’agents parlant la langue du pays. Ces missions, qui facturent des prestations et bénéficient de financements publics, n’ont aucune obligation de résultat.
Les missions Ubifrance, que nous avons dénoncées à plusieurs reprises, ne sont souvent absolument pas compétentes. En tout cas, leurs résultats ne sont jamais mesurés. Un outil d’évaluation et un contrôle externe puissant font ici incontestablement défaut.
Comment doit-on comprendre le budget d’Ubifrance ? Ce budget s’élève à 104,2 millions d’euros au titre de l’action n° 7 du programme 134, auxquels s’ajoutent 216 millions d’euros de ressources propres, soit plus de 320 millions d’euros. Si l’on y ajoute les fortes augmentations de frais de personnel, lesquels sont passés de 70 millions d’euros à plus de 83 millions d’euros, on arrive à un ratio de cinq entreprises aidées par agent. Encore faut-il se donner la peine de faire la division…
Les bureaux d’Ubifrance sont installés non pas là où il faudrait aider les entreprises à être présentes à long terme, mais là où des prestations peuvent être vendues rapidement. En voulant vendre au maximum son expertise, Ubifrance communique plus sur ses services que sur l’intérêt des marchés. Cette attitude n’aide pas les entreprises à avoir une démarche réfléchie sur leurs priorités à l’international, comme le soulignait notre collègue Jean-Yves Leconte l’année dernière.
Mais nous avons noté les annonces du Gouvernement, notamment les propositions 14 et 15 du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi du 6 novembre 2012.
Les acteurs, notamment les plus parisiens d’entre eux, doivent se rendre accessibles sur le terrain et ne pas attendre d’être sollicités. C’est à Ubifrance d’aller à la rencontre des acteurs de terrain, si préoccupés par leur quotidien que l’exportation leur fait peur.
Je vous le dis depuis des années : il faut des outils de proximité qui viennent à eux afin de les encourager à faire ce chemin, d’autant que la culture entrepreneuriale en France ne conduit pas spontanément les PME à se projeter à l’international. À cet égard, je vous renvoie au très bon rapport du Conseil économique, social et environnemental.
À ce stade, plusieurs impératifs s’imposent.
Tout membre d’une mission économique ou d’Ubifrance et de ses déclinaisons devrait obligatoirement avoir une très bonne connaissance de l’anglais et de la langue du pays dans lequel il est implanté. Vous allez sourire, madame la ministre, mais c’est un minimum ! Savez-vous que moins de la moitié de nos ambassadeurs dans les vingt-deux pays de la Ligue arabe parlent l’arabe ? C’est juste un constat.
Je vous suggère également d’instaurer une obligation de résultat. Il est absolument inconcevable que des agents chargés de notre développement économique ne soient pas soumis à ces obligations, telles qu’elles existent dans les ambassades allemandes ou italiennes.
Il faut en outre aider les investissements et les prises de participation dans nos entreprises, car il n’est pas douteux qu’une partie de leur croissance ne peut se faire qu’à l’international.
Optimiser le suivi des réseaux des étudiants, mais aussi des personnes ayant réalisé des stages ou ayant fait un apprentissage en France, est un objectif qu’il conviendrait de se fixer. Cela ne peut vous laisser insensible, madame la ministre, vous qui êtes aussi chargée de l’économie numérique, d’autant que les mesures que je suggère ne coûtent rien, ce qui, en cette période de disette budgétaire, est plutôt intéressant.
Une fois qu’ils ont étudié en France, les jeunes ne font pas l’objet de suivi. Comment, dès lors, constituer ou animer un réseau ? Aujourd’hui, personne en France n’a d’idée précise du nombre ni de la qualité des stagiaires qui sont venus étudier dans notre pays.
Quand un industriel français veut se rendre à l’étranger, il ne dispose même pas de la liste des personnes qui, dans son secteur d’activité, ont travaillé ou ont été formées en France, bien souvent d’ailleurs grâce à des bourses ou des programmes d’échanges. Les ambassades ne disposent pas non plus de ces listes. La valeur ajoutée créée par la France n’a ainsi aucun effet sur son économie.
Nos partenaires anglais et allemands parviennent, quant à eux, à rester en contact, via une adresse électronique, avec 70 % de leurs anciens stagiaires. Le taux de suivi, chez nous, est d’un peu moins de 10 %. Il est effectué sur la base du volontariat et par courrier postal. Je pense que, en la matière, la marge de progrès est relativement importante.
J’en viens à la coopération décentralisée. Sur ce sujet, de nombreuses régions devraient s’inspirer de l’Alsace ! (M. André Reichardt sourit.)
Au total, 4 754 collectivités territoriales françaises mènent près de 12 000 projets dans 139 pays. Je dirais qu’il s’agit, pour le moins, d’une légère dispersion de notre action ! La région Basse-Normandie a une coopération avec le Fujian, qui compte 38 millions d’habitants. Les responsables de cette région chinoise semblent avoir du mal à comprendre pourquoi la Haute-Normandie, elle, mène une coopération avec le Zhejiang, qui en compte 51 millions. Nous retrouvons à l’international les aberrations de notre système local. Il est vrai, cependant, que les régions sont pressenties pour être associées à part entière et de plein exercice au nouveau dispositif pour favoriser l’exportation. Un partenariat État-région allant en ce sens a d’ailleurs été signé le 18 septembre dernier. C’est une bonne nouvelle.
Je veux maintenant dire un mot de la diplomatie parlementaire, sujet qui m’est cher.
Contrairement à ce qui se passe au Royaume-Uni, en Allemagne, en Turquie et dans les pays de culture anglo-saxonne, les parlementaires ne sont pas assez utilisés pour appuyer et soutenir le développement à l’international de nos entreprises.
Les parlementaires en mission sont regardés par les administrations comme des touristes qui voyagent sur argent public. Une suspicion de principe prévaut. Bien entendu, les règles déontologiques doivent s’appliquer à eux. J’ai également conscience des risques de conflits d’intérêts que leur implication pourrait entraîner. Cependant, en tant que parlementaires, nous connaissons mieux que personne notre terrain industriel ou artisanal. Nous pouvons le défendre et assurer sa promotion dans des conditions claires et transparentes.
De ce point de vue, les annonces faites par Laurent Fabius, portant sur la diplomatie économique, font naître l’espoir de voir notre ambassadeur être le vrai chef d’orchestre du réseau France, assisté des parlementaires, des élus des collectivités locales, au premier rang desquelles les régions, des réseaux consulaires et des chambres de métiers.
Madame la ministre, je conclurai mon intervention par une dernière proposition, partant du principe que, finalement, on n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Ainsi, je vous annonce que je suis candidate à toute mission que vous pourriez me confier, afin d’étudier dans quelles conditions les parlementaires peuvent venir à l’appui de nos entreprises dans les opérations internationales. (Marques d’amusement sur diverses travées.) Nous sommes quasiment entre nous ce soir, nous pouvons donc nous parler. (Sourires.)
Vous n’aurez pas trop de cinq ans, avec vos collègues du Gouvernement, dont notre ancienne collègue Nicole Bricq, dont chacun ici connaît les compétences, la volonté et l’expérience, pour mettre bon ordre dans ce secteur d’activité. Les premières mesures annoncées vont dans le bon sens. Néanmoins, le travail est important. Les mauvaises habitudes sont tenaces et le manque d’outils d’évaluation fiable, à ce jour, constitue un handicap qu’il faudra surmonter.
Nous sommes très nombreux sur ces travées – je pense que c’est le cas de la totalité des parlementaires présents ce soir – à souhaiter que l’équipe France gagne, dans l’intérêt de nos territoires, que nous sommes, au Sénat, bien décidés à défendre. Dans cette entreprise, vous pourrez compter sur mon entier soutien. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)