Les débats

Affaires étrangères et coopération
22/06/2011

«Débat préalable au conseil européen des 23 et 24 juin 2011»

M. Denis Badré

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été dit, le Conseil européen qui s’ouvrira demain est stratégique. Une nouvelle fois, sa capacité à décider va être rudement mise à l’épreuve. Il doit absolument montrer qu’il sait où il veut aller. Les difficultés rencontrées doivent être présentées non pas comme des occasions de sombrer, mais comme autant d’exigeantes chances d’approfondir la construction européenne. Il faut retrouver un discours européen tonique, tourné vers l’avenir, portant sur l’essentiel. Le Conseil va traiter de l’adhésion de la Croatie. Réjouissons-nous avant tout que l’Union continue à attirer, spécialement dans des régions du continent aussi éprouvées que les Balkans, où l’on sait bien que l’Europe est, d’abord et essentiellement, « pardon et promesse », pour reprendre l’une des plus belles définitions que je connaisse. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre la mondialisation : l’universalité et l’instantanéité qui caractérisent notre époque sont des données. C’est clairement le cas pour les marchés financiers. La crise économique et financière dont nous voulons sortir est non pas européenne, mais mondiale. L’existence de l’Union n’est pas à l’origine de la crise, et l’euro n’en est pas la cause. J’ai été a contrario frappé par la réflexion d’un responsable d’un pays ayant récemment rejoint l’Eurogroupe : pour lui, ce qui protégeait son pays, c’était, bien plus que l’euro lui-même, l’effet des réformes engagées en vue de la qualification pour l’euro. Si la crise n’est pas imputable à l’euro, elle n’est pas non plus une crise de l’euro. Nous devons simplement déplorer le fait que l’euro soit toujours une monnaie « orpheline d’État », pour reprendre une expression chère à Jean Arthuis. Tout ce que le Conseil pourra faire pour donner une famille à notre monnaie sera donc bienvenu. Plus vite et plus loin on ira en matière de gouvernance économique, et mieux cela vaudra ! Si la mutualisation entre les États de l’Union vaut pour les ambitions, elle vaudra évidemment aussi pour les risques, ainsi que pour les secours. Notre soutien à la Grèce doit donc être sans faille. Si tel n’était pas le cas, les marchés financiers ne le feraient pas payer à la seule Grèce, ils nous entraîneraient tous vers l’abîme. Ils ne doivent pas douter de notre détermination, même si vivre la démocratie à vingt-sept États peut rendre parfois difficile l’expression de cette détermination. Les choix opérés, les décisions prises sont capitaux ; la fermeté du discours également ! Notre solidarité ne doit plus être mise en doute. Les jugements de valeur portés sur la situation grecque laissent supposer que nous accordons notre soutien avec réticence et qu’il pourrait s’interrompre. Il faut être très ferme : la mutualisation des secours ne peut se concevoir sans mutualisation de la surveillance et des contrôles. Il vaut mieux d’ailleurs être sous le contrôle de ses pairs que sous celui d’un syndic de faillite. Dorénavant, nous devrons tout naturellement parler de mutualisation des disciplines. C’est tout le sens du « trimestre européen ». Il appartient aux parlements nationaux de jouer pleinement leur rôle en la matière. Les budgets nationaux resteront évidemment votés par ces derniers. Les États ne sont pas sous la tutelle de l’Union : il s’agit ici non pas d’une conception « communautaire », mais de l’exercice conjugué de compétences nationales, placées sous des contraintes communes mutuellement acceptées. Au demeurant, le budget de l’Union ne prévoit pas, pour l’instant, de possibilité d’emprunter. À la marge de manœuvre de 40 millions d’euros dont dispose la Commission près, ce sont les parlements nationaux qui ont été appelés à se prononcer afin de constituer, chacun pour une tranche, la réserve commune de garantie des dettes souveraines. C’est un peu compliqué, peut-être, mais rempli de sens en ces temps de tempête où les solidarités les plus durables, car les plus exigeantes, peuvent se forger. Incontestablement, le débat suivi d’un vote que nous avons eu fin avril sur le projet de programme de stabilité européen participe de ce mouvement. Je ne peux que m’en réjouir. Il fallait, tant à l’égard de Bruxelles qu’au plan intérieur, que ce programme nous engage tous. La résolution européenne que notre commission des finances a adoptée ce matin confirme le bien-fondé de cette procédure. Le Sénat y souligne que les programmes de stabilité doivent reposer sur des hypothèses de croissance correspondant à la croissance potentielle de l’économie, que la France doit impérativement déplacer sa charge fiscale du travail vers la consommation et l’environnement, que le recours aux niches fiscales n’est pas de bonne pratique et que des mesures supplémentaires doivent être présentées pour renouer avec l’équilibre dès 2013. C’est exactement ce que la commission des finances demande depuis des mois. Nous soulignons simplement une nouvelle fois qu’il reste du chemin à faire pour que la recommandation de la Commission et les réflexions de notre commission des finances puissent porter tous leurs fruits ! J’en viens à l’autre grand sujet inscrit à l’ordre du jour du Conseil, l’immigration. Gardons-nous d’adopter une approche trop sécuritaire de ce thème ; elle ne préparerait pas l’avenir. L’actualité de la question a été ravivée par l’extraordinaire élan qui traverse aujourd’hui les pays arabes. Le cas de la Tunisie, sur lequel j’intervenais hier soir à Strasbourg devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, est à ce titre emblématique. En Tunisie, une révolution de la faim s’est transformée en révolution pour la liberté. Les deux vont de pair parce que, pour avoir le droit de voter, il faut avoir celui de manger. Ce sont des difficultés économiques et sociales qui ont provoqué le soulèvement : il ne faut pas que des difficultés de même nature viennent entraver la démocratisation en marche de la société tunisienne. La Tunisie se heurte à d’immenses difficultés. La grave crise économique qu’elle connaît pousse à l’exil une jeunesse pourtant indispensable au pays, tant sur le plan économique que sur le plan politique. Lampedusa ne peut être notre seule réponse : nous devons, en priorité, accompagner sur le plan économique la transition démocratique tunisienne. Pour ce faire, il convient de mobiliser de nouvelles aides au redressement du pays. Le G20 s’y est engagé à l’occasion de son sommet de Deauville. Il convient de rechercher tous les canaux de financement possibles. L’imagination étant mise à contribution, je m’interroge sur la possibilité de gager de nouvelles aides sur les fonds gelés de la famille Ben Ali, actuellement bloqués dans des établissements financiers pour la plupart européens. Ces fonds sont d’un niveau autrement plus important que ceux qui ont pu être dégagés jusqu’ici et devraient permettre de lancer vraiment en Tunisie les investissements porteurs d’avenir qu’attendent les jeunes de ce pays. Il sera probablement démontré, mais plus tard, que ces fonds appartiennent bien aux Tunisiens. Est-il vraiment exclu de trouver, tout de suite, une solution pour les « dégeler », pour les utiliser, au moins dans un premier temps, afin de garantir des prêts ou de mobiliser les produits financiers qu’ils génèrent ? Est-ce plus difficile et moins immédiatement efficace que de remettre les accords de Schengen en chantier ? Monsieur le ministre, je vous livre cette idée qui a rencontré un écho certain hier à Strasbourg. Avec encore un effort d’imagination en matière de procédure, nous pourrons peut-être la mettre en œuvre. C’est aujourd’hui que les Tunisiens nous attendent : ne les décevons pas ! L’Union doit investir dans la démocratie, avez-vous dit à l’instant, monsieur le ministre. Vous visiez la politique de voisinage « sud » de l’Union européenne. Je vous rappelle que si nous voulons être efficaces et bien utiliser les moyens disponibles, il faut laisser agir ceux qui savent, sans doubles emplois. Nous devons faire jouer en parfaite complémentarité l’Union européenne et le Conseil de l’Europe dès lors qu’il est question de démocratie, d’État de droit ou de droits de l’homme. Monsieur le ministre, cela doit vous rappeler un rapport que j’ai eu récemment l’honneur de remettre au Premier ministre ! De même que, dès 1990, le Conseil de l’Europe avait su donner immédiatement un statut d’invité spécial aux pays d’Europe centrale et orientale qui retrouvaient la liberté, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a inauguré hier le nouveau statut de « partenaire pour la démocratie » dont j’avais personnellement proposé la création dans un rapport sur l’Euro-Méditerranée. Ce statut a été offert au parlement marocain, qui l’a accepté, en présence des présidents de ses deux chambres. Pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, cette initiative est d’une importance historique comparable à celle des efforts qui avaient été déployés au début des années quatre-vingt-dix au bénéfice des pays d’Europe centrale et orientale. Nous retrouvons ainsi la possibilité de susciter un grand élan, qui devrait permettre de proposer à nos jeunes le projet européen qu’ils attendent avec confiance ! (Applaudissements au banc des commissions.)