Les débats

Energie
Chantal Jouanno 21/05/2014

«Le climat et l՚énergie en Europe»

Mme Chantal Jouanno

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier ceux qui sont à l’initiative de ce débat, organisé un an et quelques mois avant la prochaine conférence sur le climat, qui se tiendra en France. Je rappelle que l’objet de ce débat est le climat et l’énergie en Europe, et non pas seulement l’énergie en France. Même s’il ne se trouve pas ici de « climatosceptiques », il me paraît utile de revenir sur ce que nous dit la science. La science nous dit qu’il ne faut pas dépasser un réchauffement de 2 degrés Celsius par rapport à l’ère préindustrielle.
Elle nous dit aussi – le dernier rapport du GIEC l’a clairement confirmé – que nous avons déjà un « acquis » de 0,8 degré et que nous nous situons aujourd’hui sur une trajectoire conduisant à une argumentation de 4 degrés à la fin du siècle.
Elle nous dit encore que, durant l’ère glaciaire, la température moyenne ne se situait que 4,5 degrés au-dessous de la moyenne actuelle.
En d’autres termes, nous sommes aujourd’hui engagés sur une trajectoire dangereuse.
Dangereuse, elle l’est sur le plan économique : dans une région donnée, un réchauffement de 1 degré correspond à une baisse de la croissance économique de l’ordre de 1,3 point. Ce n’est pas une assemblée de chevelus à sandalettes qui l’écrit, c’est la Banque mondiale dans son dernier rapport, intitulé Turn down the heat !
Cette trajectoire est également dangereuse en termes de sécurité ; cela, c’est le dernier rapport du GIEC qui le dit.
En Afrique, c’est avant tout la question de l’approvisionnement en eau qui va se poser, quand l’Europe, elle, subira des inondations et des épidémies liées au changement climatique. Des millions de personnes seront déplacées à travers le monde, sans que nous ayons encore réfléchi à un statut de « déplacé environnemental ». Le problème des ressources halieutiques va en outre se poser. Il faut savoir que 12 % de la population mondiale dépend de ces ressources pour vivre. Alors que le pH des océans n’avait jamais varié depuis 100 millions d’années, le surplus des émissions de gaz à effet de serre entraîne depuis quelque temps une augmentation de l’acidité des eaux océaniques.
Et nous ne savons absolument pas comment ce milieu s’adaptera à cette évolution…
Nous avons donc un problème fondamental qui se pose en termes économique et en termes de sécurité – et il s’agit bien d’un sujet régalien en soi puisqu’il revient aux États de traiter ces questions – avec, en face, une communauté internationale qui discourt, et une Europe qui fait plutôt figure de précurseur en la matière, qui vote et qui s’engage. Toutefois, les résultats attendus ne sont pas tous là. Certes, en Europe, nous sommes assez bons, mais d’autres continents, qui évoluent très vite, risquent de nous donner assez rapidement des leçons dans certains domaines. Je vous renvoie au rapport de la Cour des comptes sur la mise en œuvre du paquet énergie-climat : il est marqué par un certain scepticisme sur l’efficacité des différents instruments. Je m’étonne que, face à tout cela, on ait pu voter, au sein de l’Union européenne, un budget en baisse, tout particulièrement en ce qui concerne l’innovation. Le budget consacré à l’environnement et au changement climatique, de l’ordre de 400 millions d’euros par an, est dérisoire… Nous devrions faire strictement l’inverse et « mettre le paquet » sur l’innovation en conjuguant nos moyens de recherche, notamment sur les secteurs d’avenir : les énergies marines, le stockage de l’énergie, la gestion de l’énergie et les ressources stratégiques qui nous seront demain nécessaires. Notre première conviction – nous l’avons proclamée en particulier dans notre programme pour les élections européennes – est que cette politique doit être la nouvelle ambition de l’Europe. De même que l’on a créé l’Europe autour de la CECA – Communauté européenne du charbon et de l’acier –, considérant à l’époque que le charbon et l’acier étaient des ressources stratégiques, on devrait aujourd’hui constituer l’Europe autour des énergies du futur, mutualiser nos moyens de recherche et dégager dans le budget européen des ressources propres qui seraient orientées vers ces secteurs. Nous n’entendons pas imposer le choix du nucléaire à quiconque : certes, le débat n’est pas seulement écologique, mais l’on doit respecter les arbitrages différents faits dans d’autres pays. Il reste que l’Europe doit être un pôle de développement de toutes ces énergies du futur. Or je ne vois aujourd’hui que la Chine investir massivement dans ces secteurs... C’est qu’elle est tout à fait consciente que celui qui maîtrisera et le solaire et le stockage de l’énergie sera demain, si j’ose dire, le « roi du pétrole » ! (Sourires.) Ce débat, il faut arrêter de le présenter comme celui du nucléaire versus les énergies renouvelables et les énergies du futur ; c’est indispensable si l’on entend se tourner vraiment vers l’avenir et songer avant tout au développement de nos pays. Notre deuxième conviction, c’est que l’on doit relever le défi avec l’Afrique. En Europe, nous sommes finalement les seuls à ne pas voir qu’à côté de chez nous un continent est en train d’exploser, tant sur le plan démographique qu’en termes de croissance. Si nous n’arrivons pas, avant la Conférence sur le climat de Paris, à élaborer un projet de développement Europe-Afrique, nous aurons du mal à emmener les autres pays ! Notre troisième conviction, c’est que l’Europe doit réformer en profondeur son système économique et fiscal. Si l’on ne bascule pas la fiscalité pesant sur le travail vers une fiscalité pesant sur la pollution, il n’y aura pas d’innovation écologique. Ce n’est rien d’autre que du green washing que d’affirmer que la modernisation écologique est possible sans une fiscalité écologique. Ainsi, nous plaidons pour que l’Europe se dote d’un prix du carbone. Notre quatrième conviction est que l’Europe doit doublement réviser ses objectifs. D’abord, en ce qui concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre, un objectif de 50 % constitue une ambition réaliste à l’horizon 2030 – c’était plus difficile à court terme. Si, à plusieurs égards, je partage le point de vue de Ronan Dantec, je ne suis pas du tout d’accord avec lui lorsqu’il dit que l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre doit être un troisième objectif. Non, c’est bien le premier objectif, et il doit assurément le rester. Ensuite, nous devons prendre en compte non pas tant la réduction des émissions de gaz à effet de serre que celle de l’empreinte carbone. On peut se vanter, en France, d’avoir réduit depuis 1990 nos émissions de gaz à effet de serre au-delà de ce que nous imposait le protocole de Kyoto ! C’est formidable, n’est-ce pas ? Mais on oublie de préciser que cela est en grande partie lié à la désindustrialisation et que l’empreinte carbone, elle, ne cesse de croître… Il est donc un peu hypocrite de ne pas mettre cette question de l’empreinte carbone sur la table, car la planète ne gagne absolument rien à la désindustrialisation de la France. Nous plaidons donc pour que ces objectifs soient clairement libellés en termes d’empreinte carbone, avec pour corollaire la mise en place d’une contribution carbone aux frontières de l’Europe sur les produits importés. Enfin, notre cinquième conviction est que l’échelle d’action la plus pertinente après l’Europe n’est pas l’État, mais la région et les territoires. Nous sommes donc favorables à un transfert de la politique de l’énergie aux régions, qui doivent être dotées d’une véritable compétence d’expérimentation. Elles sont placées au mieux pour résoudre le problème de la précarité énergétique et elles doivent pouvoir expérimenter de nouveaux modèles, qu’ils soient coopératifs ou collaboratifs – je suis assez convaincue par le système des coopératives énergétiques, dans certains secteurs. Voilà, rapidement exposées, cinq convictions qui débouchent sur autant de propositions. Mais nous avons en tout cas une certitude : après le charbon et l’acier, l’agriculture, le marché commun, le prochain projet européen devrait être, justement, ce secteur des énergies du futur et de l’innovation écologique. (Bravo ! et applaudissements.)