Les questions

Collectivités territoriales
Françoise Férat, Hervé Maurey 20/05/2014

«Le reversement aux intercommunalités du fonds d՚amorçage de la réforme des rythmes scolaires»

 

Mme Françoise Férat

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’excuser mon collègue Hervé Maurey, retenu dans son département de l’Eure par les obsèques de Denis Régnier, maire de Fourges, dont il tient particulièrement à saluer la mémoire, car l’objet de cette question lui tenait à cœur. Au nom de mon collègue, j’attire une nouvelle fois votre attention, monsieur le ministre, sur l’épineuse question de la réforme des rythmes scolaires. Pas plus tard que samedi dernier, Hervé Maurey se trouvait devant la préfecture de l’Eure aux côtés de nombreux élus, parents d’élèves et enseignants réunis pour exprimer leur mécontentement. Je ne reviendrai pas ce matin sur la genèse de cette réforme, décidée dans la précipitation et l’impréparation la plus complète, mais je me concentrerai uniquement sur son financement. En effet, les aménagements que vous avez engagés le 7 mai dernier ne règlent nullement le problème du financement. Comment financer la mise en place de cette réforme, qui coûtera de l’ordre de 200 euros par enfant, avec des ressources moindres ? La baisse des dotations de 11 milliards d’euros d’ici à 2017 équivaudra vraisemblablement à une baisse de 30 % de la dotation globale de fonctionnement, la DGF. Dans ce contexte, il est tout simplement inacceptable, mais aussi irréaliste, d’imposer de telles charges nouvelles aux collectivités locales. J’ai pris note de votre engagement à prolonger le fonds d’amorçage pour la rentrée scolaire 2015-2016. Toutefois, vous indiquez que cette prolongation bénéficiera aux communes les plus en difficultés sans que l’on sache ce que cela signifie à ce stade. Il est pourtant clair, monsieur le ministre, et vous le savez aussi bien que moi, que la situation financière des communes rend indispensable la pérennisation de ce fonds. Malgré leur sens des responsabilités et leur bonne volonté pour répondre au mieux aux intérêts des enfants et de leur famille, les élus se heurtent à des difficultés réelles en termes de locaux, de personnels et de moyens financiers, difficultés que le Gouvernement refuse de prendre en compte. Cette réforme, monsieur le ministre, semble avoir été bâclée. J’en veux pour preuve supplémentaire les conditions de reversement par les communes aux intercommunalités des sommes perçues au titre du fonds d’amorçage. Celles-ci témoignent, si cela était encore nécessaire, de l’impréparation de cette réforme et de la nécessité de la revoir dans son ensemble. Conformément à l’article 67 de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République et à son décret d’application du 2 août 2013, les communes perçoivent les sommes versées par le fonds d’amorçage. Cependant, le décret prévoit qu’elles peuvent les reverser à un établissement public de coopération intercommunale, ou EPCI, mais seulement si ce dernier exerce conjointement les compétences relatives aux activités périscolaires et au service des écoles. Or la plupart des EPCI n’exercent que la compétence concernant les activités périscolaires. Dans de tels cas, alors que l’organisation des activités périscolaires et leur financement sont à la charge des EPCI, les communes membres perçoivent les aides versées par le fonds d’amorçage mais ne peuvent pas les reverser, quand bien même elles le souhaiteraient. Vous conviendrez que cette situation est aberrante et témoigne, une nouvelle fois, de l’impréparation de cette réforme décidée sans concertation. Monsieur le ministre, quelle solution concrète entendez-vous apporter à ce problème ? Quels engagements votre gouvernement prêt est-il à prendre quant à la pérennité des financements ?

Réponse de M. Benoît Hamon, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Madame la sénatrice, je vais essayer de répondre le plus précisément possible à la question que vous m’avez posée en lieu et place de M. Hervé Maurey.
Vous vous faites l’interprète de la préoccupation de votre collègue quant au manque de préparation et de concertation qui aurait caractérisé la réforme des rythmes scolaires. Permettez-moi de vous le rappeler, cette réforme se fonde sur un consensus dégagé lors du précédent quinquennat, sous les auspices de Luc Chatel, autour du constat de journées de classe trop longues. En matière d’apprentissages fondamentaux, notre école est devenue si inégalitaire qu’elle est devenue championne d’Europe en matière de poids de l’origine sociale dans le destin scolaire des enfants. Telle est la réalité ! Cette réalité appelait des réponses qui, aux yeux de tous – syndicats d’enseignants, organisations de parents d’élèves, élus locaux, chronobiologistes –, supposaient d’alléger le temps travaillé par les enfants et surtout de leur offrir une matinée supplémentaire. C’est la raison pour laquelle la réforme des rythmes scolaires a retenu le principe d’une organisation de la semaine en neuf demi-journées. Le décret pris le 7mai dernier rappelle que, en cas de dérogation, à ce principe, il est impératif de conserver cinq matinées travaillées, pour mieux apprendre le français et les mathématiques, afin que les enfants ne soient pas en situation de décrochage dès la fin du CM2, comme c’est actuellement la situation pour 15 % d’entre eux. Telle est notre ambition. Cela posé, quelles sont les prérogatives des collectivités locales et celles de l’État ? Je tiens à rappeler solennellement tout d’abord qu’il revient à l’État de fixer l’organisation du temps scolaire et qu’aucune commune ne saurait lui disputer cette compétence. Toute commune qui refuserait d’appliquer la réforme des rythmes scolaires à la prochaine rentrée serait donc dans l’illégalité. Par ailleurs, il revient aux communes et aux EPCI d’organiser les activités périscolaires. En tant que représentant de l’État, il ne m’appartient pas de leur contester cette prérogative. C’est la raison pour laquelle la réforme des rythmes scolaires prévoit que l’organisation des activités périscolaires est facultative. L’État verse, par l’intermédiaire du fonds d’amorçage, 50 euros par enfant, mais l’organisation de ces activités reste facultative. Néanmoins, la plupart des élus partagent la volonté de construire un projet éducatif cohérent et ambitieux pour favoriser l’épanouissement de tous les enfants, c’est pourquoi ils s’impliquent dans ce projet. J’insiste cependant sur le caractère facultatif de l’organisation de ces activités. Le fonds d’amorçage est destiné à accompagner l’effort réalisé par les collectivités locales : il est ainsi prévu que leur soient versés 50 euros par enfant, auxquels s’ajoutent 40 euros supplémentaires dans les zones urbaines ou rurales en difficulté. Par ailleurs, les caisses d’allocations familiales peuvent allouer jusqu’à 54 euros d’aide par enfant, dans le cadre de l’accueil de loisirs sans hébergement. Le montant total des aides versées aux communes pour financer les activités périscolaires peut donc s’élever jusqu’à 144 euros par enfant. Vous avez souligné une réalité, madame la sénatrice. Les aides du fonds d’amorçage sont allouées aujourd’hui aux communes dans lesquelles sont situées les écoles. Les communes doivent reverser ces sommes aux EPCI, dès lors que ceux-ci exercent la double compétence « service des écoles » et « activités périscolaires ». Lorsqu’une seule compétence est transférée, les communes conservent la faculté de reverser les aides perçues, si elles le souhaitent. J’y insiste, la réforme porte sur l’organisation des temps scolaires. Concentrons-nous donc sur les rythmes biologiques et d’apprentissage des enfants. Il est important d’organiser des activités périscolaires, mais celles-ci restent facultatives, je le répète. Le Gouvernement, à commencer par le ministre chargé de l’éducation nationale, veut se concentrer sur l’essentiel : faire en sorte que, à la sortie de l’école primaire, les enfants sachent parler le français, lire, écrire et compter correctement, ce qui est de moins en moins en le cas depuis quelques années. Cette réalité nous préoccupe tous légitimement et cette réforme vise à y répondre aujourd’hui. J’espère que vous serez tous au rendez-vous d’une rentrée scolaire réussie dès le 2 septembre prochain, puisque c’est la date à laquelle tous les écoliers de France feront leur rentrée.

Réplique de Mme Françoise Férat

Monsieur le ministre, excusez ma prétention, mais j’estime avoir jusqu’à présent réussi toutes les rentrées scolaires avec les moyens qui m’étaient accordés ! Vous engagez aujourd’hui une réforme qui ne va pas améliorer la situation et c’est la raison pour laquelle nous réagissons. Et de grâce, épargnez-nous l’argument de l’héritage, que vous avez encore invoqué ce matin, nous finissons par nous en lasser !
Cela étant, vos réponses ne m’ont pas convaincue. Nous sommes tous d’accord sur le constat, mais la réforme des rythmes scolaires ne règle pas les difficultés relevées. C’est la raison pour laquelle la mission commune d’information du Sénat à laquelle j’appartiens n’a pas adopté de rapport final. Pour compléter votre information, je précise que je n’ai pas été influencée. Si vous en doutiez, monsieur le ministre, lisez le compte rendu des auditions : je fais les mêmes constats et je pose les mêmes questions depuis le début des travaux de la mission. Quoi qu’il en soit, dans mon département, je rencontre les mêmes problèmes que ceux qui ont été évoqués par Hervé Maurey dans sa question. Les maires, notamment ceux qui sont nouvellement élus, sont totalement démunis et inquiets dans la perspective de la prochaine rentrée. À cela s’ajoute la fusion parfois difficile de certaines intercommunalités. Le caractère aberrant des modalités de fonctionnement du fonds d’amorçage n’en prend que plus de relief. Avec tous ces rafistolages, vous vous éloignez de l’idée initiale, à savoir répondre au problème de l’échec scolaire, point sur lequel nous sommes d’accord. Vous perdez également de vue la priorité de l’intérêt de l’enfant. Monsieur le ministre, il faut différer la généralisation de la réforme, faire de la prochaine année scolaire une année d’expérimentation, procéder à l’évaluation de celle qui s’achève, avant d’en passer par la loi. (M. Jean Boyer applaudit.)