Les questions

Affaires étrangères et coopération
Yves Pozzo di Borgo 19/06/2014

«L՚intolérance religieuse et la violence anti-chrétienne»

M. Yves Pozzo di Borgo

Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargée du développement et de la francophonie. Des Philippines à l’Afrique, en passant par la Chine, le Pakistan, l’Iran, l’Irak et l’Arabie saoudite, on a l’impression qu’une sorte d’hiver chrétien s’est abattue sur une partie du globe. En 2013, on a dénombré 2 123 assassinats de chrétiens – ce ne sont que les assassinats connus –, dont la plupart ont été perpétrés dans l’aire arabo-musulmane. Les chiffres de 2014 risquent d’être encore plus importants, compte tenu des tensions entre sunnites et chiites. On pourrait considérer qu’il s’agit d’une accumulation de faits divers qui touche toutes les religions ; témoin l’assassinat d’un jeune musulman hier dans l’Essex, en Angleterre. Cependant, quand on voit les chrétiens d’Orient quitter en masse des terres sur lesquelles ils vivaient depuis toujours, on ne peut que s’interroger. En Irak, on comptait 1,5 million de chrétiens en 2003 ; il semblerait que nous nous dirigions aujourd’hui vers les 150 000. En 1950, on dénombrait jusqu’à 20 % de chrétiens dans ces zones ; ils pourraient ne plus représenter que 3 % à 4 % de la population en 2025. J’en viens à la situation de l’Afrique. L’ONG Portes ouvertes a établi un classement des cinquante pays du monde où la persécution chrétienne est la plus remarquée. Le continent africain y est représenté par dix-sept pays. Nous avons tous en mémoire l’enlèvement de 200 lycéennes nigérianes par la secte islamiste Boko Haram le 14 avril dernier ; ces lycéennes sont menacées à cause de leur foi chrétienne, dans un pays où l’intolérance a entraîné de nombreux assassinats l’année dernière. Après une vaste campagne de sensibilisation, le silence s’est installé. Nous avons tous été frappés, dans cet hémicycle, par l’atrocité du sort de Meriam Yahia Ibrahim Ishag, jeune Soudanaise de vingt-sept ans convertie de l’islam au christianisme, qui a été condamnée à mort pour apostasie il y a un peu moins de deux semaines, alors qu’elle était enceinte, et dont on attend qu’elle ait fini d’allaiter pour la pendre. Comment ce genre de situation peut-il exister dans le monde au XXIe siècle ? Où en est l’action du Gouvernement sur ces deux dossiers ? Nous savons que des initiatives ont été prises. Plus généralement, tous de ces faits doivent-ils être relativisés parce qu’ils se déroulent dans des pays où la tension est forte, ou participent-ils d’un phénomène plus global et plus marquant ? Quelle est la réaction de la diplomatie française, notamment vis-à-vis de pays avec lesquels nous avons des relations très étroites ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

Réponse de Mme Annick Girardin, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargée du développement et de la francophonie

Monsieur Pozzo di Borgo, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence du ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, qui est en ce moment à l’Élysée, où se tient un conseil restreint de défense sur l’Irak.
Je veux rappeler ici que la France, république laïque, défend partout dans le monde la liberté de religion ou de conviction. Concrètement, elle intervient lorsque ce principe est menacé pour rappeler les États concernés à leurs devoirs : assurer le libre exercice des cultes pour tous les citoyens et éliminer toutes les discriminations fondées sur la religion ou la conviction. Notre politique envers les communautés chrétiennes d’Orient s’inscrit dans ce cadre. Elle inclut le respect des droits des personnes appartenant aux minorités religieuses et prend en compte les liens spécifiques hérités de l’histoire, notamment au Liban, en Irak, en Égypte, en Turquie, en Syrie ou en Israël et dans les territoires palestiniens. Nous connaissons les inquiétudes des chrétiens d’Orient en cette période cruciale. Nous sommes vigilants quant à leur situation. Le Président de la République a évoqué ce sujet avec le pape François au Vatican le 24 janvier dernier. En Centrafrique, nous soutenons l’action de réconciliation des responsables religieux catholiques, protestants et musulmans. Ceux-ci ont compris que le conflit actuel n’était pas et ne devait pas devenir une guerre de religion. Leur tâche est essentielle : il s’agit de permettre le retour à la paix civile. La force africaine et la force française protègent toutes les populations, quelles que soient leurs confessions et leurs origines. Concernant le Nigéria, la France a condamné avec fermeté le terrorisme de Boko Haram, notamment l’enlèvement de 200 jeunes écolières. Le 17 mai dernier, le Président de la République a organisé à Paris un sommet qui a permis – on peut s’en féliciter – d’intensifier la coopération régionale pour lutter contre le terrorisme. J’ai personnellement participé, le 12 juin dernier, à la réunion de suivi organisée à Londres, qui a permis de maintenir la mobilisation, ce qui est important. Au Nigéria, chrétiens et musulmans veulent dans leur immense majorité vivre en paix. Ils sont conjointement victimes du terrorisme ; il faut le rappeler. Enfin, la France a condamné la décision de la justice soudanaise d’infliger la peine de mort à une jeune femme pour apostasie. Nous appelons les autorités soudanaises à garantir la liberté de religion ou de conviction, conformément au pacte international relatif aux droits civils et politiques, qu’elles ont ratifié. Monsieur le sénateur, nous serons attentifs aux suites de la procédure judiciaire visant cette jeune Soudanaise, en lien étroit avec nos partenaires européens. Cette décision qui heurte les consciences suscite une émotion totalement légitime. Voilà, monsieur le sénateur, ce que fait la France, fidèle à ces valeurs fondatrices que sont la liberté de conscience et la laïcité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste.)