Les débats

Santé
Chantal Jouanno 15/10/2013

« Débat sur les conclusions de la commission d՚enquête sur l՚efficacité de la lutte contre le dopage»

Mme Chantal Jouanno

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom du groupe UDI-UC dans une position un peu ambiguë. En effet, madame la ministre, j’ai exercé vos responsabilités, et j’ai eu le plaisir d’être membre de cette commission d’enquête. Je me souviens d’un certain sentiment d’impuissance quand j’occupais votre place, car depuis 1998 et le scandale Festina, la question du dopage a toujours sali le cyclisme, de manière quelque peu injuste, dans la mesure où ce sport est l’un des plus contrôlés, tous les sports sont concernés, comme l’a très bien montré cette commission d’enquête et la France est, il faut le rappeler, un des pays les plus engagés dans la lutte contre le dopage. Mais nous échouons souvent. C’est pourquoi je ne peux que me réjouir, avec l’ensemble des membres du groupe UDI-UC, de voir que le Sénat, à travers notre commission d’enquête, s’est emparé de cette question, avec la volonté partagée d’engager un débat aussi objectif et dépassionné que possible. On ne peut empêcher la survenue de quelques hérésies médiatiques, mais tel a bien été le souhait de chacun au sein cette commission d’enquête. Celle-ci a abouti de fait à un constat, que vous connaissez : concernant le sport, on est toujours confronté à un paradoxe. En effet, face à ce monde toujours plus traversé, voire secoué, d’enjeux financiers, d’enjeux médiatiques, de demandes de performances toujours plus importantes – le Paris-Saint-Germain, cher Jean-Vincent Placé, en est un bon exemple –, et donc à un appétit pour le spectacle, la société demande toujours plus de lutte contre le dopage, de transparence, d’éthique, voire de morale. Le parti pris de la commission, qui est en fin de compte un choix politique, a été de ne pas souhaiter que le sport s’oriente toujours vers le sport spectacle. Nous considérons fondamentalement, et de manière tout à fait unanime, qu’il s’agit d’un enjeu et d’une question de société. Pour avoir une vision objective du sujet, soyons clairs, la commission a dû dépasser le silence, voire l’omerta, qui frappe le monde sportif. Le rapport final, notamment dans son annexe relative aux auditions, illustre particulièrement bien le phénomène. À écouter les représentants des différentes fédérations, et on connaît bien le sujet, tous les sports semblent « naturellement » épargnés. L’escrime ou le judo, pour ne pas citer le karaté, bien évidemment (Sourires.), seraient trop techniques pour être concernés. Le tennis ou le football requerraient, quant à eux, trop d’intelligence du jeu, dans la majorité des cas… Bref, tout le monde s’accorde pour dire que le dopage ne concernerait finalement que le cyclisme, dont l’histoire récente a été en effet très agitée. Si ce mutisme, cette omerta est compréhensible du point de vue des fédérations – trop communiquer sur le dopage c’est aussi faire fuir des licenciés potentiels –, elle n’en est pas pour autant soutenable ou acceptable de notre point de vue, car le sport est une question de santé publique, d’éducation, d’éthique et donc, fondamentalement, une question de société, et par là même une question politique. Partant de cette idée, la commission est parvenue à dresser un tableau assez édifiant des pratiques, anciennes et nouvelles, qui tient en une phrase : Tous les sports sont concernés, tous les sportifs sont concernés. Tous les sports sont concernés, même si la commission a pu démontrer que les outils de mesure actuels sont insuffisants à donner l’ampleur exacte du phénomène. Les contrôles sont en effet trop rares, trop prévisibles et trop circonscrits. Pourtant, aucun sport n’est épargné. Tous les sportifs sont concernés, on n’insiste jamais assez sur ce point. La commission a dévoilé la partie immergée de l’iceberg. On ne connaît du dopage que ses manifestations les plus médiatiques, or la prolifération des pratiques dopantes est constantes chez les non-professionnels. Elle est même terrifiante parce qu’elle touche les plus jeunes. À ce sujet, si vous ne l’avez pas déjà fait, madame la ministre, je vous invite à lire le compte rendu de l’audition de Jean-Pierre Verdy, représentant de l’AFLD, qui nous décrivait une situation épouvantable : « Ce qui se passe chez les amateurs est très grave. Les produits utilisés sont les mêmes que chez les professionnels, mais ils le sont de manière anarchique et en quantité impressionnante : on a vu un père injecter à son fils deux à trois fois la dose d’EPO que reçoivent les professionnels. » L’OCLAESP faisait exactement le même constat. C’est d’autant plus grave que les circuits commerciaux, les circuits d’accès à ces produits dopants sont, ainsi que l’a montré la commission, extrêmement faciles à pratiquer. On peut se procurer des produits dopants bien évidemment sur Internet, auprès de certains pharmaciens, ou auprès de certains responsables de salle de sport. La commission considère donc unanimement le dopage comme un fléau social qui mine les fondements de la République. Il faut le dire : les sportifs et les sportives de très haut niveau sont des exemples pour la société et pour les jeunes, même s’ils adoptent des comportements violents, inadaptés, dopés. Un Franck Ribéry, un Nicolas Anelka ou un Lance Armstrong restent des exemples pour les jeunes, voilà le plus grave. Cela nous invite donc à considérer le dopage comme un fléau social et comme un fléau sanitaire. La commission a ainsi très bien montré que les produits dopants présentaient une dangerosité particulièrement lourde. La consommation d’anabolisants n’a bien sûr pas les mêmes effets que celle d’amphétamines, mais, pour autant, les risques sanitaires sont là : dépendance, agressivité, changement du comportement, risques cardiovasculaires, cancers prématurés, vous connaissez cela mieux que nous tous. L’avenir est angoissant, car, au-delà des produits que nous connaissons et que nous avons beaucoup de mal à détecter, arrivent sur le marché du dopage le dopage génétique et les biotechnologies, qui seront plus difficiles encore à identifier dans le cadre du système actuel qui tend à cibler les contrôles sur certains produits. C’est dire à quel point l’intelligence peut, hélas, être vénale. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les travaux de la commission ont non seulement lancé un signal d’alarme, mais également et surtout préconisé des mesures très précises. Au nom du groupe UDI-UC, je veux dire au président de la commission et au rapporteur que nous soutenons l’ensemble des propositions présentées, conçues, en outre, pour être mises en œuvre à coût budgétaire constant et qui sont donc potentiellement directement opérationnelles – je dis bien « potentiellement » car certaines d’entre elles concernent aussi les fédérations internationales. Je voudrais en évoquer quelques-unes. Une proposition phare porte sur la révélation du dopage, et donc sur la création de comités « vérité et réconciliation ». S’il faut vraiment, à travers le mécanisme qui les concerne, tendre la main aux repentis, donc aux sportifs qui vont s’exprimer, il faut, pour lever l’omerta, vraiment taper du poing sur la table vis-à-vis des fédérations, qui ne mettent pas toujours en œuvre les politiques de prévention que nous leur demandons. Notamment sur le plan médiatique, on cible beaucoup trop le sportif et pas suffisamment l’ensemble du système qui l’entoure et qui, parfois, le contraint à se doper. Je veux aussi revenir sur deux propositions majeures. La première est la généralisation du passeport biologique. C’est une nécessité afin de sortir du principe actuel de preuve matérielle pour aller vers le principe de faisceau d’indices de dopage. La mise en relation systématique des informations entre l’OCLAESP et l’AFLD est probablement un des points les plus importants pour aller vers ce faisceau d’indices. Un tel dispositif permettrait d’assurer une veille sanitaire individuelle des athlètes en temps réel, tout en permettant de mieux déterminer le moment le plus opportun pour un contrôle inopiné. La seconde proposition majeure sur laquelle je veux insister est la création d’une instance indépendante des fédérations qui soit en charge des sanctions. Ce n’est pas le plus simple, j’en ai bien conscience. Cependant, il n’y a pas d’autre moyen de lever cette suspicion permanente autour des sanctions, que nous avons encore connue l’été dernier, et de faire que la lutte antidopage devienne véritablement une affaire d’État. Car il s’agit bien de cela. Nous avons d’ailleurs pu constater que la plupart des circuits étaient directement liés aux circuits de drogue. C’est donc bien une affaire régalienne, au sens propre. Le consensus existe autour des propositions entre les membres de la commission, c’est vrai, et je doute qu’il soit rompu. Je n’exprimerai qu’une réserve : nous aurions aimé, comme le président de la commission l’a rappelé précédemment, débattre non pas des conclusions de la commission d’enquête, mais d’une proposition de loi ou d’un projet de loi. Si un texte doit être présenté au Parlement – et il y en aura un ! –, nous souhaitons vivement qu’il soit discuté en premier lieu au Sénat, ne serait-ce que pour s’inscrire dans la droite ligne des travaux qui ont été menés ici. Madame la ministre, j’espère que la présente discussion vous donnera l’occasion de prendre date pour un futur débat législatif sur la mise en œuvre effective des propositions formulées dans ce rapport. (Applaudissements sur les travées de l’UMP ainsi que sur certaines travées du RDSE. – MM. Michel Le Scouarnec et Jean-Jacques Lozach applaudissent également.)