Les débats

Agriculture et pêche
12/07/2012

«Débat sur la politique commune de la pêche»

M. Joël Guerriau, rapporteur de la commission des affaires européennes

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, MM. Bruno Retailleau et Serge Larcher ayant déjà parfaitement décrit l’objet de la réforme et les critiques que l’on peut lui apporter, j’aborderai pour ma part ce débat sous l’angle européen. Le sujet qui nous rassemble est emblématique à plusieurs titres. En premier lieu, cette séance est un parfait symbole de l’ancrage européen du Sénat. Le décret portant convocation du Parlement en session extraordinaire a prévu l’organisation de trois débats, dont deux concernent directement l’Union européenne. Dans le contexte d’un calendrier parlementaire particulièrement chargé, je tiens à saluer ceux qui, au Sénat, ont pris l’initiative de la présente séance, consacrée à un sujet européen. Il s’agit d’un débat général qui fait suite à deux propositions de résolution européenne. La première portait sur la réforme de la politique commune de la pêche, la seconde sur le cas particulier de la pêche outre-mer. Ces deux textes ont été examinés successivement par la commission des affaires européennes et par la commission des affaires économiques. Ces deux commissions ont travaillé en étroite collaboration. Le débat d’aujourd’hui donne une importance supplémentaire à ces initiatives et marque l’intérêt que le Sénat porte à la politique européenne de la pêche. C’est aussi l’occasion d’un dialogue avec le Gouvernement sur ce sujet. En second lieu, il me semble que la réforme annoncée est mal engagée. Elle n’a pas été mal préparée, bien au contraire ! Un Livre vert a été présenté et les consultations furent nombreuses. Mais ce qui ressort du travail de la Commission paraît parfois artificiel, comme mû par des a priori sans fondement. Cela ne serait d’ailleurs pas la première fois que cela arrive. On peut dire que la PCP est l’histoire d’une émancipation qui a mal tourné. Nous débattons aujourd’hui de la plus ancienne politique commune, puisqu’elle a été prévue dès le traité de Rome. À l’origine, elle était totalement liée à la politique agricole commune, la PAC, et son principe était le même : la régulation de l’activité et l’intervention sur les marchés. Très vite, les deux branches se sont séparées. La PAC s’est consolidée à travers un budget, tandis que la PCP s’est concentrée sur la réglementation du secteur. Comme la PAC, la PCP a été régulièrement réformée. La PAC est réformée tous les six ans, la PCP tous les dix ans. Une première réforme a eu lieu en 1983, une deuxième en 2002 ; c’est donc la troisième réforme qui est aujourd’hui engagée. Mais ces réformes furent toutes inabouties. Les avancées institutionnelles du traité de Lisbonne n’ont été que partielles. Tandis que les textes portant sur la PAC ont basculé sur la codécision, la PCP est soumise à trois procédures distinctes. Si la procédure législative ordinaire règle la majorité des questions touchant à la pêche, certaines mesures restent adoptées soit par le Conseil après avis du Parlement européen, comme c’est le cas de l’attribution des droits de pêche, soit par le Conseil après avis conforme du Parlement européen, comme c’est le cas des accords de pêche internationaux. Sur le fond, les réformes de la PCP sont également marquées par une longue hésitation. Réforme après réforme, la PAC s’est orientée vers la solidarité au travers des aides aux revenus, tandis que la PCP a suivi deux orientations contradictoires, voire opposées, passant d’une politique d’aides aux navires pour la modernisation de la flotte à l’aide à la casse des navires ! De plus, contrairement à la PAC, la PCP a été parfois détournée de son objet, dans un contexte de suspicion envers les pêcheurs. La PCP a toujours été vue et vécue comme un échec. Ce constat est partagé tant par les professionnels du secteur que par les observateurs plus ou moins bien attentionnés. La PCP réussit la prouesse d’unir un très large éventail d’opposants. Nos collègues d’outre-mer, à travers l’intervention de Serge Larcher, ont évoqué les incohérences entre les visées communautaires et les accords internationaux, qui ont pour résultat d’aider nos concurrents directs dans cette partie du monde. On peut craindre qu’il n’en soit de même cette fois encore. Nous avons l’impression que les mesures proposées sont inadaptées. Je prendrai quatre exemples : le rendement maximal durable, déjà abordé par Bruno Retailleau, les droits individuels transférables, l’interdiction des rejets de pêche, et les moyens budgétaires. Concernant le rendement maximal durable, il y a un accord général sur l’objectif de parvenir à organiser une pêche durable « en ramenant l’exploitation des stocks halieutiques à un niveau compatible avec la production maximale équilibrée », pour reprendre l’expression de la Commission. Il ne saurait être question de nier l’intérêt et même la nécessité de fixer une date butoir, accompagnée d’un échéancier. L’absence de planification offrirait trop de possibilités de dérapage. Néanmoins, fixer une date butoir générale en 2015, valable pour toutes les espèces, semble irréaliste. Il y a trop d’incertitudes scientifiques, trop d’aléas. (M. Philippe Darniche acquiesce.) Il convient de privilégier une approche pêcherie par pêcherie, espèce par espèce, de façon concertée avec toutes les parties prenantes, scientifiques et pêcheurs. Concernant les droits individuels transférables, l’opposition est forte et claire – cela a été dit par Bruno Retailleau –, et les retours d’expériences sont hasardeux. La gestion des espaces et de la ressource doit rester publique. La marchandisation du droit d’accès à la ressource présente tant d’effets pervers qu’il me paraît inutile d’insister sur ce point. D’ailleurs, il semble que cette initiative rencontre l’opposition de beaucoup d’États membres. Je ne crois pas, pour ma part, qu’elle ait de grandes chances d’aboutir, et tant mieux ! Il en va de même de l’interdiction des rejets. Personne ne nie que l’importance des rejets est un gâchis économique, écologique et alimentaire. La Commission propose en conséquence de les interdire, obligeant les navires à ramener à terre toutes les quantités pêchées. Là encore, l’objectif peut être partagé, mais la règle uniforme est inadaptée. L’importance des prises accessoires dépend beaucoup des modes et des types de pêche. Le chalutage profond présente plus de risques de prises accessoires que la pêche des poissons de la mer du Nord rassemblés en colonnes d’eau. Les prises accessoires peuvent concerner soit des poissons qu’il ne faut pas encore pêcher – les poissons sous taille –, soit des poissons qu’il ne faut plus pêcher parce que les quotas ont été dépassés. Les rejets sont tellement divers que les solutions doivent être adaptées à chaque catégorie de pêche. Comme l’avait indiqué M. Bruno Le Maire, « la solution de la valorisation systématique des prises, sous forme de farines de poisson, par exemple, n’a aucun sens pour la préservation de la ressource ». La solution passe moins par la norme que par l’amélioration des techniques, comme le serait une meilleure sélectivité des engins de pêche. Là encore, l’approche régionale par pêcherie est de toute évidence préférable à l’application d’une norme uniforme décidée à Bruxelles. Imposer la réutilisation des rejets aurait l’effet complètement inverse à celui que nous pouvons espérer d’une véritable politique de développement durable. Dernier exemple, la réforme de la PCP transforme le Fonds européen pour la pêche, ou FEP, en un nouveau Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, ou FEAMP. L’élargissement à la politique maritime de l’Union paraît opportun ; il faut cependant veiller à ce que le volet « pêche » ne soit pas cannibalisé par les dépenses portant sur le littoral et l’environnement. Tous ces arguments, parfaitement précisés par mes collègues, ont justifié le dépôt d’une proposition de résolution et son adoption unanime par la commission des affaires européennes. Cette proposition portant sur la réforme de la PCP s’est accompagnée d’une seconde proposition, portant sur la pêche dans les zones ultra-marines. Ce sujet a été le premier thème d’étude de notre nouvelle délégation sénatoriale à l’outre-mer, que notre collègue Serge Larcher vient d’évoquer. C’est avec le même enthousiasme que la commission des affaires européennes a émis un accord unanime sur la seconde proposition. L’Europe traverse une crise de confiance. Nous pouvons craindre que cette réforme, telle qu’elle est présentée aujourd’hui, ne soit l’illustration d’un échec annoncé, tant la confiance dans son succès, précisément, paraît ébranlée. Nous devons agir pour que les règles soient justes pour tous. Ayant participé avec Mme Odette Herviaux à des rencontres européennes, j’ai le sentiment qu’il existe un consensus possible entre tous les États membres. Encore faut-il en prendre le bon chemin. C’est le sens de ces deux propositions et de notre mobilisation aujourd’hui. (Applaudissements.)