Les débats

Affaires étrangères et coopération
Chantal Jouanno 12/06/2013

«Débat sur la pollution en Méditerranée : État et perspectives à l՚horizon 2030»

Mme Chantal Jouanno

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la pollution de la Méditerranée et ses perspectives à l’horizon 2030 n’est pas le premier du genre, et je crains qu’il ne soit pas non plus le dernier. Je me félicite toutefois que nous puissions débattre de ce sujet ce soir, car l’excellent rapport de M. Courteau constitue un véritable cri d’alarme. Il me semble qu’il a été entendu dans cet hémicycle. Ce rapport montre en quoi la Méditerranée pourrait être considérée, si cette catégorie existait, comme un bien public mondial, eu égard à l’immense richesse de sa biodiversité : alors qu’elle ne représente que 0,5 % du volume des eaux océaniques, elle abrite 8 % des espèces marines connues, dont un quart d’espèces endémiques. Ce souci de la biodiversité n’est pas une lubie de Parisienne ou l’apanage des chercheurs. Il s’agit vraiment d’une préoccupation fondamentale, car on sait que les plus grandes découvertes sont aujourd’hui fondées sur le bio-mimétisme. Je rappelle que plus de 5 000 molécules utilisées dans la pharmacopée ou en cosmétologie sont issues du milieu marin. La Méditerranée présente aussi un intérêt stratégique en termes de transport, de ressources halieutiques ou énergétiques. C’est en outre un espace géopolitique stratégique : la Méditerranée, c’est la rencontre entre l’Europe et la jeunesse du monde. Contrairement au National Intelligence Council américain, qui décrit cet espace comme un arc de fragilité démographique, je pense qu’il constitue une chance immense. Pourtant, comme vous le soulignez dans votre rapport, monsieur Courteau, on constate une profonde méconnaissance du milieu marin et une forme d’indifférence générale d’autant plus préoccupante que la Méditerranée, ce bien public mondial, est une mer fragile, du fait qu’elle ne se renouvelle qu’une fois par siècle. Jean-Louis Borloo avait tiré la sonnette d’alarme à l’occasion du Grenelle de la mer. Malheureusement, la disparition de la Comex n’a fait que confirmer les craintes qu’il avait exprimées : c’est une perte pour la France et pour l’Europe. Je ne parle pas là des recherches sur le calamar géant, qui sont au demeurant très intéressantes, mais de recherches sur des réalités qui concernent les élus. Je n’en prendrai que deux exemples. J’évoquerai en premier lieu les pollutions émergentes, notamment l’exposition aux produits chimiques, tels les PCB, les hydrocarbures, les perturbateurs endocriniens. Ce sujet est tout particulièrement suivi par la Surfrider Foundation. Où en sont les programmes de recherche sur ce thème ? Des recherches sur les rejets médicamenteux dans l’eau avaient été lancées : quel est l’état des connaissances sur l’exposition aux substances médicamenteuses ? Je parlerai en second lieu des espèces invasives, qui constituent une forme de pollution. Ainsi, la prolifération des méduses préoccupe les élus des communes touristiques. Vous avez évoqué la surpêche dans votre rapport, monsieur Courteau, notamment celle du thon. Un phénomène très intéressant s’observe actuellement sur les côtes de la Namibie, envahies par 12 millions de tonnes de méduses. Il existe un lien direct entre cette invasion et la surpêche des espèces pélagiques, tout particulièrement des anchois et des sardines. Monsieur le ministre, quelle est votre position sur le chalutage et la surpêche ? C’est à juste titre que vous dénoncez une indifférence à l’égard des enjeux du futur, monsieur Courteau. La France est plutôt bonne élève, voire leader, en ce qui concerne la protection de la Méditerranée. En matière d’assainissement, de grands progrès ont été faits. Sur la question de la prévention de la production de déchets, un pas supplémentaire sera franchi quand on interdira les sacs de caisse à usage unique. S’agissant des sanctions en cas de rejets volontaires d’hydrocarbures, notre pays est plutôt bien placé également. Enfin, nous avons progressé dans la protection de la biodiversité, en particulier avec la création du parc national des Calanques, qui, si elle n’a pas été simple, constitue incontestablement une avancée. Il convient aujourd’hui d’envisager ces différents sujets à une échelle plus large. Certes, l’Union pour la Méditerranée connaît des difficultés politiques, mais il ne faut pas pour autant abandonner ce beau projet. Votre idée de créer en son sein une agence de l’environnement me semble excellente, monsieur Courteau. Lors du dernier Forum mondial de l’eau, les négociations, qui étaient sur le point d’aboutir, ont achoppé à cause d’un désaccord sur un seul mot. Sur les sujets que nous évoquons, une planification stratégique de l’espace de la Méditerranée élaborée par l’ensemble des pays riverains est nécessaire. Elle devra notamment prendre en compte les problématiques du transport, des énergies marines propres du futur, de la biodiversité. Monsieur le ministre, le rapport souligne la forte progression du transport en Méditerranée et la course au gigantisme, dont l’inauguration récente du Jules-Verne a fourni une illustration. Nous avons besoin aujourd’hui d’une législation sur la traçabilité des conteneurs, afin de pouvoir établir les responsabilités en cas de perte et de savoir s’ils contiennent des produits chimiques, par exemple. Le défi de l’urbanisation du littoral a également été très justement mis en exergue par M. Courteau. Il n’existe pas d’harmonisation des lois littorales autour de la Méditerranée, ni même entre pays européens. Or l’urbanisation du littoral est extrêmement préoccupante au regard de la montée des eaux attendue en raison du changement climatique. On sait aujourd’hui que, malheureusement – tous les rapports le confirment –, l’objectif de limiter l’augmentation de la température à deux degrés Celsius ne sera en aucun cas respecté. Or, autour de la Méditerranée, les populations sont concentrées sur les rivages. Que se passera-t-il au Caire, par exemple, quand les eaux monteront ? Comment allons-nous gérer les migrations de populations ? Quid des innombrables décharges situées en bord de mer ? Je terminerai en évoquant le défi de la course aux énergies. Le rapport souligne la vétusté d’une soixantaine de plateformes pétrolières. Le moindre accident serait bien évidemment une catastrophe pour l’ensemble des pays riverains. Êtes-vous disposé, monsieur le ministre, à défendre l’instauration d’un moratoire sur l’installation de nouvelles plateformes en Méditerranée ? Quelle position prendrez-vous sur le projet de plateforme au large de la Catalogne ? Telles sont quelques-unes des réflexions que m’inspire ce rapport très riche. La biologie marine me passionne, et il suffit de plonger en Méditerranée pour mesurer les effets des politiques de protection de l’environnement : près des parcs naturels, on peut observer une flore et une faune d’une immense richesse ; en revanche, au large de Malte, pays où la surpêche est une pratique quotidienne et où l’on trouve des filets à quinze mètres du rivage, on ne voit plus aucune espèce de poisson. La Méditerranée est un espace stratégique pour l’avenir. Je me félicite donc de l’organisation de ce débat, qui ne concerne pas, loin de là, que les Méditerranéens ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste.)