Les débats

Europe
Yves Pozzo di Borgo 11/12/2013

« Débat préalable à la réunion du conseil européen des 19 et 20 décembre 2013»

M. Yves Pozzo di Borgo

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis l’échec de la Communauté européenne de défense, en 1954, et la création de la politique européenne de sécurité et de défense par le traité de Maastricht, en 1992, la défense est le parent pauvre de la construction européenne. Aussi, la tenue du prochain Conseil européen dédié à la défense doit donc être accueillie comme une bonne nouvelle. Je note que le ministre de la défense n’est pas présent ce soir. Certes, je n’ignore pas qu’il a été très pris par le projet de loi relatif à la programmation militaire et par le débat sur l’engagement des forces armées en République centrafricaine. Toujours est-il que je regrette qu’il ne prenne pas part à ce débat important, aux côtés du ministre des affaires européennes, aussi bon défenseur de l’Europe soit-il, et de la commission des affaires étrangères. Cela prouve que les questions de défense, bien qu’elles aient été inscrites à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, restent encore le parent pauvre de l’Europe.
J’assume ma part de responsabilité. En tant que vice-président de la commission, j’aurais dû insister pour qu’elle soit partie prenante à ce débat, ce que je n’ai pas fait. Il est vrai que nous avons été très occupés hier.
Les carences de l’Europe en matière de défense s’expliquent aisément. La pacification de notre continent, après la Seconde Guerre mondiale, puis la fin de la guerre froide, a mis un terme à l’idée que l’Europe était un champ de bataille permanent. Le risque stratégique n’en a pas été éradiqué pour autant. J’ai eu l’occasion de le rappeler au ministre de la défense lors de l’examen en première lecture du projet de loi relatif à la programmation militaire. Pourtant, l’Europe de la défense n’est pas un no man’s land institutionnel. La PESD existe bel et bien, mais elle cherche encore sa place entre une dimension symbolique importante, puisqu’elle est le témoignage vivant de la pacification de notre continent, et une dimension opérationnelle encore insuffisante, puisqu’elle apparaît très souvent comme un supplétif des opérations de maintien de paix de l’ONU. Nous n’avons jamais pu, ni su relancer un véritable processus politique d’intégration. Pourtant, je le rappelle, aux termes de l’article 24 du traité sur l’Union européenne, tel que modifié par le traité de Lisbonne, les États membres s’engagent dans « la définition progressive d’une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune ». En l’espèce, la dernière grande initiative européenne en matière de défense a été la publication des directives TIC et MDCS relatives au marché de la défense, que nous avons transposées en 2011. Depuis trois ans, presque rien n’a été fait. L’Europe demeure un nain de la défense dans un monde de géants. Ce Conseil européen est donc une chance de conclure un nouveau partenariat européen pour une défense politique, opérationnelle et autonome de notre continent. La France, avec le Royaume-Uni, est la première puissance militaire de l’Europe. C’est à elle, c’est à vous, monsieur le ministre, de soutenir l’ambition d’une défense intégrée, ce qui n’est pas facile. Nous avons un rôle historique à jouer pour inverser cette regrettable tendance. La défense de l’Europe a vécu. Notre commission a rendu au mois de juillet dernier un rapport rédigé par Daniel Reiner, Jacques Gautier, André Vallini et Xavier Pintat dans lequel elle plaide pour une véritable défense européenne. C’est à la France d’être l’aiguillon et le catalyseur de cet engagement. L’Europe, sauf de manière symbolique, a été absente des dernières grandes crises africaines. Elle était absente de Libye, même si elle nous a aidés et accompagnés ; c’est la France et le Royaume-Uni qui y ont mené les opérations. Elle était également absente du Mali ; c’est la France qui lutte contre la prolifération du terrorisme islamiste et met en péril ses frontières et ses intérêts directs. Qui intervient en République centrafricaine, sinon la France seule ? L’Europe en est également absente. Hier, le ministre de la défense a eu l’occasion de nous expliquer les motifs juridiques de cette absence de tout engagement européen lors du débat sur la situation dans ce pays. La France et le Royaume-Uni ne peuvent pas supporter seuls l’essentiel des efforts en la matière, qui doivent être partagés. Une juste répartition des tâches doit s’établir entre l’ensemble des pays européens. Chacun doit apporter sa pierre à la construction de ce nouvel édifice. Nous ne pouvons rester pas dépendants des évolutions annuelles de l’ordre du jour du Conseil européen pour aborder les questions de défense. Cela fait cinq ans qu’il n’y a pas eu de Conseil européen dédié à la défense. C’est aussi regrettable qu’insuffisant. Nous avons besoins de structures institutionnelles dédiées et d’un calendrier précis. C’est pourquoi les groupes centristes du Sénat et de l’Assemblée nationale vous proposent de défendre, parallèlement au semestre économique et budgétaire, la création d’un semestre européen consacré à la défense, qui pourrait s’appuyer sur la création d’un pôle de la défense européenne à Strasbourg. Ce semestre européen aura vocation à permettre la création d’un fonds européen dédié au financement mutualisé des opérations extérieures, les OPEX. Celles-ci bénéficient à la sécurité de tous les États, mais sont presque exclusivement financées et exécutées par deux États sur vingt-huit. Cette situation n’est plus tenable. Pourquoi les dépenses d’investissement en matière de défense, que supportent essentiellement deux pays, ne seraient-elles pas sorties du calcul du déficit au sens de Maastricht, comme c’est le cas pour les investissements d’avenir, et ne feraient-elles pas l’objet d’un traitement budgétaire particulier, afin de libérer des marges de manœuvre pour les États les plus en pointe sur ces questions ? C’est ce qu’avaient proposé un commissaire européen, ainsi que, me semble-t-il, Jacques Chirac. Au demeurant, le fonds de financement des OPEX pourrait également faire office de fonds de financement européen de la défense. Nous avons besoin d’un fonds de mobilisation tactique pour financer de coûteuses opérations de recherche. Ce matin, devant les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat, Jean-Yves Le Drian a eu l’occasion de nous faire part de ses projets relatifs aux commandes prochaines d’avions de ravitaillement. Il est également assez optimiste quant à l’évolution de l’industrie européenne du drone et quant à la volonté de certains pays de parvenir à l’élaboration d’un drone européen non plus seulement d’observation, mais de combat. C’est une bonne nouvelle, car nous étions assez inquiets, en particulier à la suite de l’achat des drones Reaper. Notre collègue Daniel Reiner faisait remarquer ce matin qu’on compte trois modèles d’avion de combat européen : le Rafale, qui le meilleur du monde, l’Eurofighter, qui est légèrement en dessous, et le Gripen, qui est au Rafale ce que la 2CV est à la Ferrari. Or que constate-t-on ? Aucun de ces trois avions n’a de successeur potentiel, même à l’état de projet dans les bureaux d’études. Cela signifie tout simplement que l’Europe ne mène aucune réflexion stratégique sur l’avenir. Peut-être aurait-on intérêt à rédiger sans tarder un livre blanc de la défense européenne, comme on l’a fait pour la loi de programmation militaire. Nous avons besoin d’une réflexion stratégique à très long terme, à ce jour inexistante au niveau européen. Évidemment, nous ne sommes pas obligés de la mener à vingt-huit, mais nous pouvons très bien commencer à y réfléchir avec quelques autres pays, par cercles concentriques. C’est l’idée qu’avait avancée dans un rapport notre ancien collègue Pierre Fauchon, expliquant que l’Europe évoluerait par cercles concentriques. D’ailleurs, c’est ce que nous disait également le ministre de la défense ce matin. À tout le moins, engageons une réflexion stratégique, car cela fait actuellement défaut au niveau européen. Monsieur le ministre, telles sont les quelques réflexions d’ordre général dont je voulais vous faire part sur ce sujet complexe. En dépit de ma remarque liminaire, je vous remercie de vous impliquer comme vous le faites. L’opinion publique de notre pays doit prendre conscience de la nécessité d’une défense européenne. La France a toujours été à la pointe de ces combats. Vous avez une responsabilité particulière, car c’est la France qui doit donner le ton de la difficile construction de cette défense européenne. Je vous souhaite bon courage pour ce prochain Conseil européen. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)