Les débats

Education et enseignement supérieur
Jean-Léonce Dupont 11/06/2013

«Débat sur le bilan d’application de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités dite Loi LRU»

M. Jean-Léonce Dupont

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a six ans, à quelques semaines près, j’étais le rapporteur devant le Sénat du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités des universités. Ensuite, de 2008 à 2012, j’ai représenté notre assemblée au comité de suivi dont nous avions voté la création. C’est donc avec un grand intérêt que j’ai pris connaissance du rapport de nos collègues Dominique Gillot et Ambroise Dupont, chargés de dresser le bilan de l’application de la loi LRU. Ce débat se tient au moment même où nous allons entamer la discussion d’un nouveau projet de loi touchant à l’enseignement supérieur – une heureuse concordance des temps. Un temps que, précisément, on aurait envie d’implorer pour nos universités : « Ô temps ! suspends ton vol » ! De fait, l’autonomie, lorsqu’elle n’est plus seulement un mot mais devient une réalité, ne s’improvise pas ; elle s’apprend. Or tout apprentissage réclame du temps. Gardons à l’esprit que l’autonomie votée en 2007 a été mise en place progressivement, à partir de janvier 2009 pour les premiers établissements concernés. De sorte que, aujourd’hui, les universités pratiquent l’autonomie depuis quatre ans et demi au plus, voire depuis moins de trois ans. C’est infiniment peu pour une révolution culturelle – nos rapporteurs ont raison d’employer ce terme, parfois galvaudé, car c’est bien de cela qu’il s’agit. En définitive, nos universités ont relevé le défi avec courage, apportant ainsi la démonstration de leur vitalité. Elles ont mis en œuvre la réforme sans trop de temps de préparation, ni sans avoir réellement les moyens de recruter un personnel formé aux nouveaux métiers et aux nouvelles fonctions supports que représentent pour elles le management stratégique, le contrôle de gestion et le pilotage opérationnel – autant de termes qui, jusqu’alors, ne se prononçaient à l’université que dans les amphithéâtres des instituts d’administration des entreprises. De surcroît, elles l’ont mise en œuvre avec pour tout viatique un audit externe de quelques centaines de pages, dans une temporalité différente de celle des contrats d’établissement et dans un climat social que l’on dira sobrement peu réceptif au changement décidé par le gouvernement de l’époque. Sans compter que, au-delà du temps nécessaire pour que les équipes de direction maîtrisent leur responsabilité nouvelle, il faut faire la part du temps, non négligeable, dont toute institution a besoin pour s’adapter au changement. Accéder aux responsabilités et compétences élargies, pour employer la formule consacrée, c’est disposer d’un budget global et gérer directement la masse salariale de son établissement. Ce n’est pas rien : il faut prendre des décisions et arbitrer localement là où, auparavant, l’administration centrale tranchait. La situation antérieure était bien confortable : il suffisait de demander les dotations, puis de les recevoir et de les déplorer, de critiquer, de voter des motions et parfois de défiler. Exercer soi-même la responsabilité, c’est très différent ! En outre, les universités font cet apprentissage au pire moment : lorsque l’État n’a plus vraiment – c’est un doux euphémisme – les moyens matériels de leur venir en aide. C’est ainsi que presque toutes les universités se trouvent actuellement dans de sérieuses difficultés financières, sans réserves minimales de trésorerie ; certaines sont au bord du dépôt de bilan, si vous me permettez cette image. Sans doute le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a-t-il sa part de responsabilité dans une évaluation insuffisante des charges salariales et de leur évolution. Nous autres, élus locaux, connaissons bien le problème du transfert des compétences et des charges afférentes ; le rapport de nos collègues a su montrer que, à cet égard, l’accès des universités à l’autonomie n’était pas très différent de la décentralisation. Les établissements gravissent donc l’autonomie par sa face nord, l’apprenant dans sa dimension la plus difficile, la plus négative, la plus douloureuse : économiser, réduire, limiter, fermer, renoncer, sacrifier et, en définitive, compter chaque euro pour pouvoir assurer la rémunération des personnels à la fin de chaque mois. Au risque de provoquer, mais ceux qui me connaissent savent mon refus permanent de la facilité, j’ose soutenir qu’il y a là une chance pour l’université française ; et que cette chance offerte par la loi LRU, il ne faut pas la laisser passer ! De mon point de vue, ce n’est pas le moindre des aspects à prendre en compte à l’heure où nous dressons ce bilan. Pourquoi est-ce une chance ? Les décisions négatives que j’énumérais à l’instant sont des choix vitaux que les acteurs directs de l’établissement se trouvent dans l’obligation de faire pour eux-mêmes. Là est la chance : dans la faculté de prendre en main son propre destin. Permettez-moi de donner un exemple. Tous les rapports convergent sur ce point, et votre projet de loi, madame la ministre, s’en préoccupe légitimement : l’offre de formation est pléthorique et peu lisible, y compris dans les dénominations des multiples parcours de licence ou de master. Cela ne facilite pas l’orientation des étudiants et, partant, leur réussite, sur laquelle je reviendrai. Les mesures d’économie auxquelles les équipes s’attellent dans chaque université, pour chacune de leurs composantes – UFR, instituts, écoles – passent, notamment, par une remise en cause de l’offre de formation, obligeant à mesurer l’adéquation entre les moyens consacrés, les effectifs et les résultats, y compris en termes d’insertion professionnelle. Confrontées à des réalités qu’elles ont trop souvent négligées, les universités sauront décider avec intelligence, une qualité dont elles ne sont pas dépourvues. Sollicitées pour soutenir les établissements, les collectivités locales s’interrogent légitimement sur l’impact de la présence de l’université sur leur territoire. L’ancrage territorial se conquiert aussi dans la durée et l’ouverture. Or les contraintes financières pesant sur elles obligeront les universités à présenter à l’État et aux collectivités un projet d’établissement qui témoigne de cet ancrage. Trop longtemps, ce projet n’a été que le texte trop cosmétique d’intentions principielles servant d’écrin aux fiches actions auxquelles le ministère apportait un financement, au titre du contrat que certaines collectivités venaient compléter « à la carte ». L’autonomie, et ce n’est pas la moindre de ses vertus, appelle la soutenabilité du projet de l’université. Les remises en question qui résultent de cet exercice nouveau qu’est l’autonomie se font d’abord à l’échelle locale, au plus près de ceux, personnels et étudiants, qu’elles concernent. Mais elles doivent aussi se faire en regardant plus loin, sur un territoire plus large, ce qui contraint notamment à coordonner son offre de formation avec celle des universités voisines. La « rationalisation par nécessité absolue de survie », comme la subsidiarité obligée, aura, je le crois, des vertus que les prochains projets d’établissement refléteront sans nul doute. Là encore, le temps impose un rythme. Je veux dire ici que le remplacement des PRES, les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, prévu par le projet de loi qui nous sera bientôt présenté, soulève certaines questions. Ces pôles ne relèvent pas du débat de ce soir, car ils n’ont pas été créés par la LRU. Toutefois, il s’agit d’espaces encore fragiles, très jeunes, de collaboration entre établissements. Faut-il, alors que cette coordination, notamment entre universités, devient impérieuse, remettre en question un cadre juridique, qui, comme l’autonomie, n’a pas atteint sa vitesse de croisière ? Le temps de mettre en place les nouvelles structures sera de nouveau un temps mort préjudiciable. Il faut y réfléchir. On le voit, on le sait, l’autonomie est une démarche difficile, qui implique des remises en cause douloureuses. Choisir et non pas subir : c’est aussi l’avantage de l’autonomie. Cela suppose que les conseils d’administration des universités soient des instances stratégiques intervenant en soutien des équipes présidentielles. Nos collègues dans leur rapport soulignent que tel n’est pas encore suffisamment le cas. Là aussi, c’est un apprentissage et un changement culturel. On ne devient pas stratège en un jour quand on a une longue pratique de « chambre d’enregistrement » ou, osons aussi le dire, d’espace sanctuarisé d’expression syndicale ou corporatiste. La composition resserrée des conseils, comme l’obligation de représentation de tous les secteurs de formation de l’établissement, allait dans le bon sens. N’y renonçons pas ! L’autonomie n’est pas l’indépendance : les universités le savent et assument leurs responsabilités. Il revient à l’État, qu’il s’agisse de l’administration centrale ou des services académiques, de construire une nouvelle relation avec elles. Au prétexte d’un suivi et d’un accompagnement face aux difficultés financières rencontrées par les établissements, une tutelle insidieuse ne doit pas venir s’installer là où le contrôle de légalité doit prévaloir. Sur ce point également, le parallèle avec la décentralisation s’impose. Laissons aussi aux universités le temps d’apprécier l’intérêt de la diversification des sources de financement et de mettre en place les instruments utiles : la loi leur a ouvert la possibilité de recevoir des dons de particuliers ou d’entreprises via des fondations. Certes, la crise que traverse notre pays ne facilite pas leur développement, mais ne retirons pas aux universités cette possibilité de participation et de soutien des acteurs économiques, notamment locaux. Il y va aussi bien de l’ouverture des formations sur leur environnement que de celle des laboratoires et équipes de recherche pour la diffusion de leurs travaux. Dans la loi LRU, si la gestion de la masse salariale dans un budget global était une obligation pour les établissements dans un calendrier modulé, la dévolution du patrimoine immobilier restait une faculté. Celle-ci a été suspendue à la fin de l’année 2012, et c’est dommage. En effet, ces infrastructures sont au cœur de la gestion des établissements et font aussi partie des arbitrages à rendre. Seules trois universités ont à ce jour pris en main leur destin immobilier. Dans le cadre du comité de suivi de la loi LRU, j’ai rencontré leurs présidents. S’ils ne cachent pas les difficultés, ils mesurent là aussi l’importance et l’intérêt de « pouvoir décider en local ». L’immobilier éducatif se gère dans la proximité, nos collectivités le savent s’agissant des collèges et lycées. Les établissements avaient commencé à prendre en main la fonction de gestion immobilière, en élaborant des schémas pluriannuels de stratégie immobilière. À l’heure des remises en cause que je viens d’évoquer, ne renonçons pas à leur donner cet outil, dont l’usage s’inscrit dans le prolongement naturel de l’autonomie. Néanmoins, l’autonomie des établissements n’était pas la seule dimension de la loi LRU, qui devait être au service des missions de l’université, notamment de la formation, sur laquelle je souhaite m’arrêter quelques instants. La LRU avait pour objet d’améliorer l’orientation des étudiants et la réussite en licence. Le plan éponyme n’a pas globalement atteint cet objectif, et la Cour des comptes en a dressé un bilan corrosif. Toutefois, quel plan le pourrait-il ? Tous les moyens du monde, s’ils étaient mobilisés, le permettraient-ils ? L’orientation active n’a pas donné les résultats attendus. Imaginer que la construction de passerelles longues entre le lycée et l’université en donnera davantage me semble utopique. Le cycle de licence de l’université accueille nombre de jeunes qui s’y inscrivent par défaut, faute de projet personnel ou parce que les filières sélectives n’ont pas voulu d’eux, au vu de leur dossier scolaire trop fragile. Ce n’est pas dans ces établissements qu’ils trouveront la voie de leur future vie professionnelle. Notre pays refuse de lever le tabou de la sélection, ce que d’ailleurs, sans oser le dire trop haut, des enseignants-chercheurs de plus en plus nombreux appellent de leurs vœux. Combien de temps faudra-t-il attendre ? Au confluent de la gestion de l’établissement et de la formation des étudiants se trouve le dossier majeur et tout aussi tabou des droits d’inscription. Toutefois, leur relèvement – naturellement assorti d’aides sociales réformées – n’a pas de légitimité réelle à l’entrée de l’université si cette dernière offre l’échec comme seul horizon à trop d’étudiants. C’est un nœud gordien qu’il faudra bien trancher. Donner du temps et aller vite, ce n’est ni contradictoire ni incompatible. Donner du temps aux établissements pour qu’ils apprivoisent définitivement l’autonomie que la loi LRU leur a donnée et qu’ils n’ont pas du tout envie de perdre. Aller vite pour faire réussir notre jeunesse, parce que de la qualité de la formation dispensée dépend l’avenir de notre pays. Aller vite, aussi, pour éviter le décrochage de nos universités sur la scène internationale, notamment en matière de recherche. La loi LRU a su ouvrir la voie, mais l’exploration n’est pas encore complètement achevée. La responsabilité qui incombe à la future loi est lourde : décider si la voie restera ou non praticable. L’autonomie dans son principe n’est pas remise en question. C’est positif, pourvu qu’elle ne soit pas diluée dans le compromis et qu’elle demeure l’outil d’affirmation de l’excellence de nos universités. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)