Mme Nathalie Goulet
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adressait à M. le Premier ministre, mais je vois que c’est M. Moscovici qui me répondra.
En mars dernier, le Sénat a engagé, à la demande du groupe CRC, qu’il faut remercier, sous la présidence de Philippe Dominati et la houlette d’Éric Bocquet, excellent rapporteur, un travail remarquable, qui s’est soldé par la publication d’un rapport d’information de plus de 2 000 pages sur l’évasion et le fraude fiscales.
Nos auditions ont été largement médiatisées et nul ne pouvait ignorer nos conclusions, en particulier les soixante et une mesures préconisées pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales et contre les territoires non coopératifs, autrement dit, les paradis fiscaux.
C’est ainsi que certains d’entre nous ont tenté, mais sans succès, d’insérer quelques dispositions issues de ce rapport lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative de l’été, puis lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2013.
Lors du débat que nous avons eu sur ce sujet au Sénat le 3 octobre dernier, dans le cadre de la semaine de contrôle, c’est Mme Escoffier, remarquable ministre (Marques d’approbation sur les travées RDSE.), mais non rattachée au ministère de l’économie et des finances, qui était au banc du Gouvernement, preuve sans doute de l’intérêt que Bercy porte à nos travaux !
Aujourd’hui, l’affaire Cahuzac crée un climat maccarthyste qu’il ne faut à aucun prix alimenter par des mesures prises sous le coup de l’émotion.
La question de la fraude fiscale, amalgamée à celle de la moralisation de la vie publique, engendre un climat délétère, regrettable pour tous les élus qui, dans leur très grande majorité, ont le sens de l’État et de l’intérêt général, et dont l’activité est déjà très encadrée.
Ce n’est pas le cas de certaines banques ni de certaines entreprises, y compris celles dont l’État est actionnaire, qui usent et abusent de paradis fiscaux et de schémas d’optimisation fiscale en toute impunité.
De ce point de vue, les annonces du Président de la République vont dans le bon sens.
Monsieur le ministre, je souhaite simplement et légitimement vous interroger sur la qualité du travail accompli par la Haute Assemblée et le degré de frustration des membres de sa commission d’enquête, qui ont le sentiment de voir leur travail négligé.
Pourquoi n’avez-vous pas pris, depuis le mois de juillet, le temps de mettre en application certaines mesures que nous préconisons dans notre rapport ? Beaucoup d’entre elles sont du domaine réglementaire, de bon sens et peu onéreuses.
Un projet de loi est annoncé pour le 24 avril. Pouvez-vous nous en donner les détails et nous assurer qu’il prendra en compte le travail de la Haute Assemblée, marquant ainsi une volonté politique forte d’endiguer ce fléau qu’est l’évasion fiscale ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et sur certaines travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Réponse du ministre
M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Je vous remercie, madame Goulet, de ne pas contribuer à alimenter ce climat maccarthyste que vous décrivez, et qui peut en effet régner ici ou là.
Je m’associe aux compliments que vous adressez à Mme Escoffier, en tant que ministre, et au sénateur Éric Bocquet, qui a en effet accompli, avec Philippe Dominati, un travail absolument remarquable, dont M. le Premier ministre s’est d’ailleurs entretenu ce matin même avec les élus communistes.
Nous tirons bien évidemment les leçons de ces travaux. Il n’est pas exact de dire que le Gouvernement n’a pas agi, mais il est vrai de dire qu’il agira encore plus fort dans les temps qui viennent pour renforcer les outils de lutte contre l’évasion fiscale.
Je voudrais d’abord rappeler les mesures que nous avons prises, qui vont dans le sens de vos propositions.
Dans la loi de finances rectificative de la fin de l’année dernière, nous avons fait voter un paquet de mesures contre la fraude, par exemple la taxation d’office, à 60 %, des sommes détenues à l’étranger non justifiées, mais aussi l’accès facilité aux relevés bancaires des contribuables qui ont omis de déclarer des comptes bancaires ou des contrats d’assurance vie à l’étranger.
L’objectif assigné à toutes ces mesures est d’accroître de un milliard d’euros le rendement de l’action des services fiscaux.
Il faudra bien entendu aller plus loin, et vos propositions y contribuent.
Je pense à la lutte contre le blanchiment, qui me semble déterminante.
Dans le cadre de la loi bancaire – je me souviens d’ailleurs que vous avez largement participé au débat au Sénat, madame Goulet –, nous avons déjà pris une décision forte s’agissant des paradis fiscaux. Le Président de la République a annoncé hier qu’il souhaitait que cette mesure soit étendue à l’ensemble des entreprises.
Il faudra encore aller plus loin. Je pense aux révélations dites Offshore Leaks, qui montrent au passage que, contrairement aux affirmations d’un ancien Président de la République, les paradis fiscaux ne sont pas seulement un lointain souvenir. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Je veux aussi agir en ce sens au plan européen.
On voit bien que le secret bancaire, un sujet sur lequel la commission d’enquête du Sénat s’est également penchée, est en train de chanceler, qu’il est attaqué de toutes parts, à juste titre, d’ailleurs. Avec mes collègues ministres des finances des principaux pays de l’Union européenne, j’ai pris une initiative en la matière, laquelle a déjà reçu, entre autres soutiens, celui du commissaire chargé de ces questions, M. Semeta.
Je constate que des mouvements s’opèrent déjà dans des pays qui ont été extrêmement restrictifs par le passé, comme le Luxembourg ou l’Autriche. Tout cela débouche sur la proposition que j’ai faite d’un FATCA européen, c’est-à-dire un échange automatique d’informations.
Madame Goulet, mesdames, messieurs les sénateurs, nous tiendrons compte des travaux de la Haute Assemblée pour aller plus loin, beaucoup plus loin dans cette lutte contre l’évasion fiscale, qui doit être collective et unanime. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)