Les débats

Education et enseignement supérieur
10/06/2014

««Quel avenir pour les colonies de vacances?»»

M. Joël Guerriau

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le contexte économique, social et politique que nous connaissons, la tenue d’un débat sur les colonies de vacances peut surprendre. Est-il opportun, à la veille des vacances d’été, de s’interroger sur ce sujet alors que nos concitoyens attendent des réponses aux questions les plus urgentes liées à leur quotidien ? Autrement dit, la question première n’est-elle pas « comment boucler les fins de mois ? », plutôt que « où et comment partir en vacances ? ». De plus, à l’heure où l’on nous reproche un excès de lois et de réglementations et où une simplification se fait attendre, le législateur doit-il intervenir aussi sur le fonctionnement des colonies de vacances ?
Je pense que oui, aussi surprenant que cela puisse vous paraître, chère collègue (Sourires), tant les colonies de vacances sont d’un intérêt national. Elles sont un prolongement de l’éducation et une possibilité de nivellement des différences sociales pour les enfants dont les parents ne partent pas en congés. Un quart des enfants, cela a déjà été dit, ne partent pas en vacances. C’est le cas de 34 % des enfants d’ouvriers et de 50 % des enfants des familles les plus modestes.
Les colonies de vacances présentent un intérêt collectif double. D’une part, dans le prolongement de l’école, elles permettent un apprentissage privilégié de la vie en collectivité. Les séjours collectifs de mineurs apportent beaucoup aux enfants individuellement : une aération, une ouverture sur des activités nouvelles et de la sociabilité. D’autre part, et c’est fondamental, elles devraient constituer un temps de partage dans le cadre d’une mixité sociale. Toutefois, au XXIsiècle, les colonies de vacances ont bien changé. Elles ne sont plus forcément ce lieu et ce moment de brassage socioculturel, au contraire. Il semble ainsi que deux formes distinctes de colonies aient évolué : les unes, plus lucratives et thématiques, les autres de plus en plus réservées à un public social. Une autre réalité justifie notre action : l’érosion de la fréquentation des centres de vacances. Le taux de départ des jeunes âgés de cinq à dix-neuf ans en séjours collectifs de vacances de plus de cinq nuits n’excède pas 7 %, alors qu’il s’élevait à 14 % en 1995. Les comités d’entreprise se sont progressivement désintéressés de cette formule, tandis que les offres devenaient plus spécialisées, sur des thèmes assez variés, et de plus en plus chères. À cela s’ajoute la suppression des subventions qui compensaient les écarts de revenus en aidant les familles modestes. La mixité sociale n’est plus le point fort des colonies de vacances. Pour répondre aux attentes des clients, elles se sont spécialisées, et, en se spécialisant, elles ont segmenté l’offre et donc la fréquentation. L’essor des séjours thématiques provoque des tarifs élevés liés à la surenchère des offres. Par exemple, les séjours linguistiques sont hors de portée des enfants issus d’un milieu modeste. De leur côté, les familles aisées se détournent des colonies de vacances qui ne proposent pas un niveau d’activités répondant à leurs attentes. La conséquence est l’instauration d’un entre soi social des séjours, au détriment des enfants des classes moyennes, qui sont pourtant les garants de la mixité sociale. Autre problématique de taille sur laquelle repose le débat d’aujourd’hui : le statut de l’animateur. La remise en cause du modèle économique des colonies de vacances s’accompagne d’une hausse des tarifs, puisque le coût d’un animateur salarié n’a rien à voir avec les pratiques de rémunération traditionnelle. Le statut de l’animateur s’est professionnalisé, ce qui entraîne des obligations contractuelles générant obligatoirement une hausse des coûts pour les organisateurs et une augmentation du prix des séjours pour les parents, d’où une baisse de la fréquentation. Face à cette situation, trois propositions nous semblent prioritaires. La première a pour objectif de réinsérer la mixité sociale dans les colonies de vacances. Elle correspond aux cinq premières propositions du rapport du député socialiste Michel Ménard, qui est lui aussi nantais. Je tiens à rappeler que les colonies de vacances n’ont pas vocation à accueillir uniquement des publics segmentés. Pourtant, selon la puissance d’un comité d’entreprise ou les moyens d’une commune, le niveau des activités et la qualité des lieux d’accueil créent une hiérarchie sociale. Il me paraît donc primordial de faciliter l’accès du plus grand nombre, et notamment des classes moyennes, aux séjours collectifs. Même si, dans le contexte que nous connaissons, les marges de manœuvre financières restent faibles, il est de notre devoir de ne pas en faire supporter les conséquences aux jeunes générations. Michel Ménard propose de créer un fonds national d’aide au départ en vacances collectives financé par une nouvelle taxe sur l’hôtellerie de luxe. La question est de savoir si ce fonds servira réellement la cause des séjours des jeunes des classes moyennes ; espérons-le. Une autre piste, plus opérationnelle pour soutenir les départs en vacances, est l’adaptation des chèques-vacances. Le fait que les chèques-vacances soient maintenant accessibles à tous les salariés, y compris ceux des entreprises de moins de cinquante salariés, qui ne possèdent pas de comité d’entreprise, est encore trop méconnu. Une visibilité plus large de cette offre permettrait d’optimiser le financement des séjours des enfants de salariés. Négocier avec l’Agence nationale pour les chèques-vacances, la création d’un chèque spécifique aux séjours collectifs pour les mineurs me semble une piste intéressante. Une campagne nationale de promotion des colonies de vacances couplée à l’instauration de chèques-vacances dédiés permettrait de donner un nouvel élan à la mixité sociale et à la fréquentation des séjours collectifs. Le rapport de Michel Ménard propose également de demander à la SNCF de présenter une offre commerciale favorable au transport de groupes de mineurs plus adaptée aux contraintes des organisateurs de séjours. En tant que fils de cheminot ayant été à la fois colon et animateur, j’estime que la SNCF devrait en effet apporter sa pierre à l’édifice. Le rapport formule ensuite huit propositions pour réorganiser les trop nombreux acteurs du secteur dans un réseau plus dynamique, mutualisant les moyens et bénéficiant de labels. C’est un immense chantier de concertation, d’association et d’entente. Qui pourra coordonner ces travaux sans créer de contraintes nouvelles dans un secteur où tous les acteurs se connaissent déjà bien mais n’ont pas, jusqu’à ce jour, manifesté la volonté de se regrouper ? Se pose aussi le problème des infrastructures. Les associations, les comités d’entreprise et les municipalités peinent à entretenir et à garder aux normes leur patrimoine immobilier destiné à accueillir les jeunes. Ces « colos » du bord de mer ou de la montagne sont vieillissantes et deviennent au fil du temps de véritables friches de loisirs ; des exemples existent autour de nous. C’est toute la problématique des lois de mise aux normes concernant les bâtiments, l’accessibilité ou le littoral, qui engendrent des frais importants pour un usage saisonnier. Il est frappant de comparer les moyens des colonies privées avec ceux des colonies qui dépendent de la gestion publique. Parlons du coût pour les parents qui ne bénéficient pas d’un comité d’entreprise puissant et doivent faire le choix entre un départ estival familial et l’inscription de leurs enfants dans un centre de vacances. Pour les familles les plus modestes, l’intervention coordonnée des caisses d’allocations familiales, les CAF, et des centres communaux d’action sociale, les CCAS, reste très efficace et permet le départ du plus grand nombre. En Loire-Atlantique, le dispositif VACAF prend en charge une part non négligeable des coûts : pour un quotient familial de 475 euros, c’est 75 % de la facture ; pour un quotient familial compris entre 476 et 625 euros, c’est 65 %. Les municipalités et les comités d’entreprise ne répercutent pas entièrement le coût réel des prestations sur les usagers et modulent les participations en fonction de leurs quotients familiaux, mais les associations n’ont pas les moyens de procéder de la même façon. La deuxième proposition est la réintroduction des finalités éducatives au cœur des projets portés par les colonies de vacances. Il est avéré que les colonies de vacances relèvent d’une forme d’éducation active. En parallèle à la reconquête de la mixité sociale, la réhabilitation de la finalité pédagogique de ces séjours sera complémentaire avec l’offre commerciale qui se développe pour un autre public. Il semble pertinent d’engager une réflexion sur la complémentarité éventuelle entre les séjours collectifs des mineurs en période estivale et l’année scolaire, qui est désormais soumise aux activités pédagogiques périscolaires, lesquelles pourraient être regroupées lors de mini-camps. Concrètement, il faut soutenir les colonies de vacances qui mettent au cœur de leur projet des activités éducatives reconnues par l’État. Il est crucial de mettre en avant des activités qui répondent à l’objectif de favoriser le développement de l’enfant, comme l’apprentissage du vivre ensemble, les jumelages, déjà cités, ou encore l’initiation au développement durable. Des activités de proximité et de plein air ayant une valeur ajoutée éducative permettraient de rendre les séjours collectifs accessibles au plus grand nombre. La troisième proposition concerne le statut de l’animateur. Faut-il instaurer un volontariat de l’animation, conformément à la proposition n° 20 du rapport de Michel Ménard ? Un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne en octobre 2010 a mis à mal le contrat d’engagement éducatif, qui donnait un statut dérogatoire aux moniteurs et directeurs de colonie de vacances et de centre de loisirs. Je suis attaché à ce que les colonies de vacances restent encadrées par des jeunes qui souhaitent s’engager. Il faudrait au moins rester dans un cadre de mission d’intérêt général à partir du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur, le BAFA, et du brevet d’aptitude aux fonctions de directeur, le BAFD, avec des rémunérations et des cotisations encadrées par la loi pour ces emplois saisonniers. Les titres ou équivalences nécessaires à l’encadrement des accueils sont nombreux. Si l’on s’arrête aux deux principaux, le BAFA et le BAFD, on constate que ces deux diplômes ont un coût élevé – il faut par exemple compter 1 060 euros pour les deux stages nécessaires à l’obtention du BAFD – au regard de leur temps d’utilisation relativement court : le maximum est de huit ans pour le BAFA – ce maximum est très rarement atteint – et de quatre ans pour le BAFD. Ces titres sont périssables et doivent être réactualisés régulièrement. Ils ne sont pas des diplômes professionnels et ne concernent que les animateurs et directeurs occasionnels. Les conditions actuelles d’emploi sont problématiques. La législation est trop lourde et complexe, et son inspiration est exagérément sécuritaire. Le repos compensateur entraîne une augmentation de 20 % de la masse salariale. Revenons à l’esprit des colonies, qui repose sur le temps partagé entre les animateurs et les enfants. Avant de légiférer, il faut privilégier la négociation avec les partenaires sociaux. Concernant le statut d’animateur bénévole, le rapport de Michel Ménard propose un volontariat de l’animation réservé au milieu associatif. Le moniteur s’acquitterait de manière désintéressée d’une mission d’intérêt général et recevrait en compensation une indemnité et une formation. Bien entendu, cette activité devrait rester occasionnelle, et il faudrait pouvoir valoriser l’expérience et les compétences acquises au cours de ce volontariat dans le parcours scolaire et professionnel. Pour terminer, je veux dire que je regrette que le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, qui vient d’être discuté dans notre assemblée, n’aborde pas le sujet des colonies de vacances. Celles-ci peuvent devenir un secteur phare de l’économie sociale et solidaire si elles se regroupent, se structurent et se fédèrent, et si nous les faisons sortir du champ d’application des marchés publics ou, à défaut, si nous étendons aux appels d’offres les critères de mixité sociale et de finalité éducative des séjours. Mes chers collègues, la situation des colonies de vacances est préoccupante. La prépondérance d’opérateurs à but lucratif contribue à l’augmentation des prix et à une course à la surenchère au niveau des offres, au détriment du sens premier des colonies de vacances, qui repose sur le vivre ensemble d’enfants de tous horizons sociaux et culturels. Les associations organisatrices auraient tout intérêt à adopter un statut juridique de groupement économique solidaire et à se recentrer sur des activités pédagogiques assumées. Note groupe participera à la recherche de réponses permettant aux colonies de reprendre vigueur et de perdurer. Nous pensons que plusieurs pistes devraient être davantage creusées. Il s’agit en particulier d’accentuer l’aide aux familles les plus modestes, d’intervenir sur le coût de formation des animateurs et de faire en sorte que leurs diplômes deviennent une réelle valeur ajoutée en les incluant dans un dispositif de validation des acquis professionnels, et enfin de soutenir la réhabilitation du patrimoine. Nous remercions le groupe CRC d’avoir pris l’initiative de cet excellent débat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)