Les débats

Collectivités territoriales
Catherine Morin-Desailly 10/06/2014

«Débat sur les collectivités locales et la culture»

Mme Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, réjouissons-nous que le sujet de la culture, dont je ne rappellerai pas ici l’importance, fasse ce soir l’objet d’une réflexion et d’un débat spécifique, bien en amont des discussions que nous aurons sur la réforme territoriale. Il ne suffit plus aujourd’hui de proclamer une « exception culturelle » ; il faut aussi, plus de cinquante ans après la création du ministère de la culture, dresser un bilan, prendre acte de la situation et mesurer l’implication grandissante des collectivités locales, devenues également, au fil du temps des acteurs majeurs de la culture. Depuis 1959, grâce à la politique dite de « décentralisation culturelle », notre pays a vu se développer nombre d’institutions de référence, d’équipements de proximité, d’associations culturelles portant un certain nombre de missions. Mais force est aujourd’hui de constater l’essoufflement de l’action publique : stagnation, voire baisse des moyens financiers, mais aussi absence de projets mobilisateurs et de perspectives nouvelles. Le ministère de la culture paraît à ce jour incapable de faire face aux missions qu’il prétend exercer et de définir ses propres priorités. Cette situation explique le réel malaise dans lequel se trouvent ainsi la plupart des professionnels de la culture, malaise encore accru par le développement du numérique, avec le bouleversement tant des modes de production et de diffusion des écritures que du financement de la création. Certes, il serait injuste de faire porter au seul ministère de la culture et à l’actuel gouvernement l’ensemble des responsabilités, mais il nous faut cependant bien constater l’inaction, pour ne pas dire la panne, devant laquelle nous nous trouvons depuis maintenant deux ans. Une priorité avait été tout d’abord affichée en faveur de l’éducation artistique et culturelle. Nous attendions par conséquent la définition de cadres spécifiques : rôle des établissements d’enseignement spécialisé, formation des professeurs et des intervenants, définition des financements, articulation avec les nouveaux rythmes scolaires. Or on en reste à la promotion de quelques initiatives de terrain, certes pertinentes, voire exemplaires, mais dont la simple juxtaposition ne saurait en aucun cas dessiner une politique. Nous attendions également la mise en œuvre de « l’acte II de l’exception culturelle à l’ère du numérique », qui devait faire suite au rapport Lescure, porteur de propositions concrètes. Nous avons finalement eu une multitude d’autres études et rapports, tous sans lendemain... Nous sommes aussi toujours en attente des projets de loi annoncés, qu’il s’agisse de la création ou du patrimoine. Par ailleurs, nous pouvons mesurer les baisses réelles du budget de la culture. Entre la loi de finances initiale de 2012 et celle de 2014, le total des crédits alloués aux missions « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles » est passé de 3,846 milliards d’euros à 3,440 milliards d’euros, marquant ainsi la baisse de l’implication de l’État dans ces domaines. Ce n’est pas exactement ce qu’avait promis le candidat François Hollande...
Madame la ministre, vous assumez, avec courage, les choix du Gouvernement. Mais pourriez-vous nous préciser les perspectives que vous offrez aux opérateurs culturels pour leur permettre d’inscrire leurs actions dans la durée ?
Le ministère de la culture était un ministère de mission, d’impulsion, dont l’expertise et les conseils étaient précieux. Il est devenu aujourd’hui, faute de projet politique, une bureaucratie qui gère la pénurie en tentant de préserver le statu quo. La politique contractuelle, qui était la base des relations entre le ministère et les institutions culturelles, est aujourd’hui mise à mal. On veut faire croire que l’on fera toujours autant avec moins de moyens : comment s’assurer ainsi une réelle crédibilité ? Dans ce contexte, il est un sujet qui semble avoir mobilisé ces derniers mois : la disposition de la loi du 19 décembre 2013 qui prévoit que l’État peut « déléguer par convention à une collectivité territoriale ou à un EPCI qui en fait la demande l’exercice de certaines de [ses] compétences ». Les explications que vous avez apportées, madame la ministre, se voulaient rassurantes, à défaut d’être toujours très claires. Cette disposition s’articulait avec le retour à la clause de compétence générale, sur laquelle on semble aujourd’hui vouloir revenir. Surtout, dans le domaine de la culture, et à l’exception de quelques secteurs très particuliers tels que le patrimoine, on voit mal en quoi cette disposition ouvre des perspectives vraiment nouvelles : la plupart des actions conduites dans le domaine de la création ne le sont-elles pas déjà sur des bases contractuelles, en partenariat avec des collectivités locales ? N’est-ce pas là justement ce qui caractérise depuis l’origine le mouvement de décentralisation culturelle ? Cependant, il est clair que, si ce mouvement devait aboutir à une sorte de décentralisation à la carte, chaque collectivité prenant ce qu’elle souhaite, il deviendrait difficile de concevoir et de mettre en œuvre toute politique culturelle un tant soit peu cohérente. Pour autant, il nous semble bien que le modèle français de partage et de coresponsabilité tel qu’il s’est développé paraît aujourd’hui à bout de souffle. Dans le contexte actuel de rigueur budgétaire, plus personne ne fait de vrais choix assumés et les professionnels, renvoyés d’un partenaire à l’autre, se trouvent perdus dans d’épuisantes discussions. À l’occasion des discussions sur la prochaine réforme de l’organisation territoriale, le groupe UDI-UC se fera force de proposition afin de sortir de cette impasse et d’opérer dans le domaine de la culture – mais cela vaut sans doute aussi pour d’autres secteurs, tels le tourisme ou le sport – une véritable répartition des compétences. Il ne s’agira pas d’organiser le « saucissonnage », comme cela a été dit, mais de mieux coordonner pour une nouvelle dynamique. Cela suppose que soient clairement affirmées dans la loi les compétences de l’État, de la région, des établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre, des métropoles, des agglomérations ou encore des communautés de communes, et cela en fonction, bien entendu, des objectifs visés, des publics potentiellement concernés et des moyens mobilisables. Ensuite, il importera de prévoir, à un moment ou à un autre, le vote d’une série de lois-cadres propres à chaque secteur culturel, définissant le rôle de chacun, la façon dont ces compétences s’exercent et organisant les transferts de moyens correspondants. Bien sûr, il est permis de déplorer les tendances au retrait que manifestent certaines régions et dont sont victimes des institutions telles que le centre Pompidou à Metz ou encore le centre dramatique du Nord. Justement, ces attitudes illustrent bien les inconvénients du cadre actuel, marqué par l’absence de cohérence tenant aux objectifs multiples imposés aux acteurs culturels, aux attentes formulées, mais surtout aux moyens alloués. Nous entendons bien le discours selon lequel seul l’État saurait imposer, dans un souci d’équité, une même approche sur l’ensemble du territoire national. Mais c’est aussi au bilan de cette ambition que nous sommes aujourd’hui confrontés : une récente étude de l’Arcade montre que sur les quatre régions étudiées, à savoir Lorraine, Poitou-Charentes, PACA et Rhône-Alpes, la dépense culturelle par habitant de l’État varie de 17,67 euros à 23,27 euros. On mesure donc bien la relativité du poids de l’État en région, sa faible capacité à opérer de réelles redistributions, et, bien sûr aussi, la concentration de son intervention, la proportion des communes concernées variant de 8 % à 19 %. Sans doute les écarts seraient-ils encore plus importants si nous disposions de données pour la France entière. Combien de scènes nationales dans le Nord ou en Seine-Maritime, combien en Gironde ou dans les Vosges ? Que comprendre à la façon dont les labels sont attribués ? Pourquoi quasiment la moitié du budget du ministère se trouve-t-elle dépensée à Paris intra-muros ? Comment penser que l’État fera demain, avec des moyens réduits, ce qu’il n’a pas fait durant plus de cinquante ans ? Un État qui, aujourd’hui, se montre incapable d’engager sa signature dans des contrats pluriannuels, pourtant indispensables au fonctionnement des institutions culturelles, et qui leur impose de fonctionner au rythme capricieux des annonces de gels et de dégels. Nous avons pourtant pu le vérifier, lorsque des compétences sont effectivement transférées, les collectivités savent s’en saisir. Dans le domaine des archives ou de la lecture publique, non seulement les moyens ont été globalement accrus, mais les disparités territoriales se sont réduites. Nous entendons aussi les inquiétudes exprimées par certains acteurs culturels qui considèrent que seul l’État protégerait leur liberté artistique face aux décisions subjectives parfois discutables des élus. Là aussi, mesurons concrètement ce que pèsent réellement les services du ministère dans les choix qui sont opérés tant pour les nominations que dans le cadre des évaluations des responsables de structures. En réalité, nous voyons bien que les collectivités ont su se doter de services compétents et que bon nombre d’élus savent que l’action culturelle repose sur la collaboration de professionnels reconnus et respectés au profit des territoires qu’ils gèrent et de leurs habitants. Même dans le secteur du spectacle, ou plus largement de la création, que nous savons sensible, seule une véritable décentralisation portée par les régions et les communautés de communes permettra justement une meilleure couverture de notre territoire national. Ce mouvement poussera l’État à s’affirmer dans un rôle de médiation, qui permettra aux partenaires sociaux, dans le dossier de l’intermittence par exemple, de dépasser les approches à courte vue pour assurer, dans des conditions financières supportables, l’efficience et la survie du dispositif. Je rappelle que le Sénat a, dans ce domaine, fait des propositions dont le Gouvernement pourrait s’inspirer dans le cadre de la discussion prochaine prévue par l’accord de mars 2014. Là encore, vous faites des déclarations de principe, mais vous ne proposez pas d’orientations sur l’évolution du système Bien sûr, nous sommes conscients que le problème du financement de la culture ne passe pas seulement par de simples transferts entre collectivités publiques, les biens culturels étant une ressource irremplaçable pour les industries culturelles et pour les nouveaux services qui se développent sur internet. Or les évolutions que connaît le monde numérique fragilisent le financement même de la création, et ce dans tous les domaines. Dès lors, il importe que, sur le modèle du CNC – Centre national du cinéma et de l’image animée – ou du Centre national des variétés, l’État mette en place de nouveaux mécanismes de collecte et de redistribution de recettes. Aussi, on ne peut que regretter l’abandon par le ministère du projet de Centre national de la musique, sur lequel la réflexion engagée par le gouvernement précédent avait pourtant bien progressé. N’oublions pas non plus les évolutions qu’une réelle décentralisation imposera aux secteurs du patrimoine. Comment opérer le transfert des archives, dès lors que les départements disparaissent ? Comment organiser les compétences relatives aux monuments historiques, aux abords, aux objets mobiliers ? Que deviendront les missions exercées par les architectes des bâtiments de France ? À cet égard, je rappelle la proposition de loi déposée par notre collègue Françoise Férat, qui tend à la création d’un Haut conseil du patrimoine permettant de rendre plus transparentes les décisions prises par l’État. Comment articuler ces décisions avec les pouvoirs des collectivités en matière d’urbanisme ? Tout cela doit être clarifié. Enfin, je veux dire quelques mots sur la confusion dans laquelle se trouvent aujourd’hui les secteurs de la formation supérieure, de l’enseignement spécialisé et de l’éducation artistique et culturelle. S’agissant de l’enseignement spécialisé, après les tergiversations imposées par certaines régions et malgré les expérimentations concluantes conduites en Poitou-Charentes et en Nord-Pas-de-Calais, la mise en œuvre de la loi de 2004 reste, hélas, au point mort. Pis, les crédits préservés par le précédent gouvernement ont aujourd’hui disparu ! Le travail d’élaboration de lois-cadres permettra ainsi non d’affaiblir le rôle de l’État, mais de le mettre au contraire à sa juste place, qui consiste à définir les cadres nationaux dans lesquels s’exercent et se financent les activités culturelles et artistiques, alors même que la capacité d’impulsion et de garant dont il se prévaut encore se trouve aujourd’hui mise à mal par sa propre inaction. À l’État aussi de définir, en lien avec les institutions européennes, les modalités de l’inscription de l’art et de la culture dans le monde et les pratiques d’internet. Au moment où le Gouvernement semble vouloir engager une nouvelle étape pour notre organisation territoriale, nous voulons ainsi affirmer notre vision résolument décentralisatrice. (Applaudissements sur les travées l’UMP.)