Les débats

Transports
Vincent Capo-Canellas 10/06/2014

« Débat sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs»

M. Vincent Capo-Canellas

       Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour de la Haute
       Assemblée nous livre ce soir un clin d’œil que je qualifierais, si j’étais insolent, de pied de nez.
Notre assemblée a souhaité programmer un débat sur l’application de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs. Ce débat tombe à point nommé, puisque, dès qu’il sera terminé, débutera une grève reconductible à la SNCF, à l’appel de deux syndicats de cheminots opposés à la réforme ferroviaire que nous examinerons très prochainement ! Hasard du calendrier, monsieur le secrétaire d’État, vous aurez l’occasion, sans doute, de rassurer les cheminots sur la réforme ferroviaire. Celle-ci, nous l’espérons, permettra aussi de moderniser et d’améliorer le service rendu aux voyageurs. Car c’est bien le sujet : peut-on, en France, pratiquer un dialogue social autrement que par la seule confrontation ? Pouvons-nous aller plus loin dans des logiques de négociation, en posant ensemble, avec les organisations syndicales, les vrais enjeux, sans oublier, au passage, les voyageurs ? Notre démocratie sociale doit savoir mieux poser les vrais sujets, ceux qui font l’avenir du service public, en n’oubliant pas que le monde est ouvert et que c’est d’abord en modernisant le service public que l’on assurera son avenir. L’équilibre de la loi de 2007 est donc à saluer, comme le font nos rapporteurs. Je dirai ici quelques mots à la fois de ce qui est, selon moi, dans le rapport, et de ce qui, à juste titre, n’y est pas, même si d’aucuns voudraient en faire une lecture oblique. Je pense ici aux syndicats de l’aérien, qui font mine curieusement d’oublier que ce rapport concerne les transports terrestres. Ce qui est dans le rapport, d’abord, reçoit tout notre accord. Premier principe : le dialogue social est important, et il faut toujours le développer et l’encourager. C’est tout l’intérêt de la loi de 2007, qui est souvent, à tort, considérée comme instituant un service minimum dans les transports en commun, alors qu’elle crée surtout un dispositif de négociation préalable en cas de désaccord et de conflit au sein de l’entreprise. Le paradoxe est que, comme le montrent les deux rapporteurs, la loi de 2007 fonctionne et a répondu aux objectifs que lui avait fixé le législateur. Convenons que, ce soir, la démonstration n’est pas des plus aisées. L’avenir nous dira si M. le secrétaire d’État réussit à renouer les fils du dialogue. Certes, il n’est pas possible d’affirmer que l’adoption de ce texte a eu pour conséquence de faire baisser le nombre de conflits sociaux et de préavis de grève, car, faute de statistiques des opérateurs concernant les principales causes de perturbations prévisibles du trafic, personne ne peut prouver la corrélation entre les deux phénomènes. Comme le montrent nos collègues, les jours de grève dans les transports terrestres sont liés aux mouvements et mots d’ordre nationaux, là où le dialogue social au niveau de l’entreprise institué par la loi de 2007 est quasiment inopérant. J’ose croire que la SNCF est un contre-exemple, car elle pratique le dialogue social. À cet égard, je dois dire ma relative incompréhension avec le mouvement social en cours. Il me semble que l’on pourrait faire, aimablement, le procès inverse au projet de loi portant réforme ferroviaire : à bien des égards, celui-ci est soucieux des équilibres sociaux, mais peut-être un tout petit moins du besoin d’adaptation au monde d’aujourd’hui… Je poursuivrai avec une autre provocation, en rappelant que les conflits sociaux – sur ce point, je rejoins les propos des rapporteurs – et les grèves sont une part minime des perturbations du trafic des transports de voyageurs, comme le montrent précisément les auteurs du rapport. En effet, et je parle d’expérience, car j’emprunte le RER B pour rejoindre la capitale et me rendre au Sénat, nos concitoyens voient surtout les incidents, accidents, retards et avaries qui touchent les transports, particulièrement en Île-de-France, et qui pourrissent littéralement leur vie quotidienne. Cela renvoie à un débat que nous avons souvent eu ici avec vous, monsieur le secrétaire d’État, sur l’état du réseau francilien. Vous avez bien voulu m’annoncer la création d’une mission sur le RER B et ses travaux. J’aurai plaisir à lire, peut-être bientôt, ce que celle-ci écrira sur le sujet. Seuls des investissements massifs de rénovation et de modernisation du réseau permettront d’améliorer à terme les conditions de circulation de nos concitoyens et, je le crois profondément, de rassurer les salariés sur leur avenir. Là réside l’enjeu majeur pour l’avenir des transports terrestres. Cela renvoie également à nos discussions sur le financement des infrastructures de transports et à l’écoredevance, pour ne pas dire l’écotaxe, dont nous ne savons toujours pas, à cette heure, le sort que le Gouvernement lui réservera, compte tenu des déclarations, il est vrai contradictoires, des ministres concernés. Du reste, je vous crédite, monsieur le secrétaire d’État, d’une forme de constance sur le sujet. La clarté des financements et des investissements, c’est aussi une clef du dialogue social : afficher une ambition, c’est mobilisateur pour les salariés et les voyageurs. Comme le montrent les auteurs du rapport, le dispositif inspiré de la procédure d’alarme sociale existant préalablement à la RATP fonctionne bien et représente une avancée notable pour les usagers. Grâce au dispositif de déclaration préalable des grévistes et de définition des dessertes prioritaires, nos concitoyens sont informés, au plus tard la veille, de la proportion des trains et des lignes qui seront en service, ainsi que de leurs horaires – nous le mesurons particulièrement ce soir. Avant 2007, les voyageurs ne disposaient pas de ces informations essentielles pour l’organisation de leur journée. Il faut ainsi saluer le travail de nos deux rapporteurs, qui, au-delà de leurs orientations politiques, que l’on pourrait qualifier d’opposées, ont réussi à établir un bilan objectif et juste de cette loi de 2007, souvent appelée à tort « loi sur le service minimum », et à aboutir à des positions et des recommandations communes pour une loi si décriée à l’époque par l’opposition parlementaire d’alors. Comme le soulignent les auteurs du rapport, le législateur a réussi à trouver un équilibre entre les deux principes constitutionnels apparemment contradictoires que sont le droit de grève et le principe de la continuité du service public. Devant l’impossibilité d’instituer un service minimum dans les transports terrestres de voyageurs, qui aurait supposé de réquisitionner les personnels, le dispositif institué par la loi d’août 2007 s’inscrit néanmoins dans le cadre constitutionnel contraint de l’exercice du droit de grève et tend à concilier ces deux principes par une procédure de déclaration préalable des salariés et d’information des voyageurs. Le succès de cette loi dans les transports terrestres se mesure aussi par sa duplication, en 2012, dans le transport aérien par l’adoption de la loi relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports, dite « loi Diard ». Je saisis l’occasion de cette discussion pour évoquer cette loi, en ce moment contestée par certains syndicats de personnels, qui s’appuient à tort, me semble-t-il – je rejoins en cela mon collègue Marc Laménie – sur une recommandation du rapport pour demander son abrogation. Je souhaiterais maintenant dire un mot de ce qui ne figure pas, à juste titre, dans le rapport, même si d’aucuns voudraient, à tort, me semble-t-il, l’y inclure. Il faut en effet préciser que nos deux rapporteurs n’évoquent pas en tant que telle la loi Diard du 19 mars 2012, mais soulignent uniquement les dispositions qui ont été ajoutées par amendement à l’occasion de l’examen de ce texte, pour compléter la loi de 2007, et qui concernent seulement les transports terrestres et nullement le transport aérien. Je pense notamment à une disposition introduite par voie d’amendement afin de régler un mouvement de grève local à la SNCF : celle-ci oblige le salarié qui s’est déclaré gréviste à déclarer vingt-quatre heures à l’avance soit sa décision de renoncer à la grève soit sa volonté de reprendre le travail. À aucun moment, nos deux rapporteurs ne proposent d’abroger la loi Diard ; ils souhaitent uniquement supprimer les modifications apportées par la loi Diard – sous-entendu, à la loi du 21 août 2007. Il y a donc un certain paradoxe à s’emparer du rapport de nos collègues, comme certains le font, pour lui faire dire ce qu’il ne dit pas. Dans le rapport n’est nullement évoqué le dispositif de prévention des conflits et d’information des passagers dans le transport aérien, puisque ce n’est pas son objet. Il ne faut donc pas remettre en cause la loi Diard à l’occasion de ce débat. Comme la loi de 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, la loi Diard relative au transport aérien a fait la démonstration de son utilité pour l’organisation des vols en cas de mouvements de grève et l’information des passagers, tout en respectant le droit de faire grève et les droits des personnels aériens, puisqu’elle a été jugée constitutionnelle. Ce texte, comme la loi de 2007 pour les transports terrestres, incite au dialogue social et le renforce dans les transports, ce qui correspond aussi à une option que nous partageons : privilégier la prévention des conflits plutôt que le conflit et le recours à la grève, qui n’est que le constat de l’échec du dialogue et de la négociation et non son préalable. L’esprit de ces deux lois est bien de favoriser une culture du dialogue entre les partenaires sociaux, afin d’éviter les conflits sociaux et le recours à la grève, malheureusement utilisée parfois par certains syndicats comme un préalable à la discussion. Ces deux lois sont aussi essentielles pour l’information des voyageurs et des usagers. Ce principe ne peut être remis en cause, car ceux-ci se sont habitués à être informés, soit de l’annulation de certains vols, soit de la circulation des trains et du trafic sur les lignes en cas de mouvement social. Nos concitoyens ne comprendraient pas que l’on revienne sur cet acquis. Pour conclure, comme il faut bien trouver une solution à la revendication exprimée dans l’aérien, je ne peux que suggérer à la commission pour le contrôle de l’application des lois d’établir un bilan de la loi du 19 mars 2012, pour faire le pendant de ce rapport. Je rejoins ici la recommandation de notre collègue Marc Laménie, et je m’en réjouis.