Les débats

Emploi
Valérie Létard 08/02/2012

«Débat sur la situation de l’Industrie automobile en France»

Mme Valérie Létard

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous savons tous que la filière automobile reste l’une des grandes filières industrielles de notre pays. Sur un territoire, elle demeure un formidable moteur d’entraînement. Au total, 800 000 salariés au moins travaillent en lien avec le secteur automobile, compte tenu de ses effets induits. L’industrie automobile, en raison tant de la place prépondérante quelle occupe dans notre économie que de ses capacités exportatrices, n’a jamais laissé les pouvoirs publics indifférents : l’État comme les collectivités territoriales qui accueillent des sites de production ou de recherche ont réalisé des efforts importants pour soutenir la filière. L’action de l’État, à la fois conjoncturelle et structurelle, s’est notamment traduite par la signature du Pacte automobile de février 2009, ainsi que par la mise en place de la prime à la casse et du bonus écologique. Des mesures plus structurelles ont également été prises pour améliorer le fonctionnement de la filière, comme la création du comité stratégique de filière automobile, qui est un organe indispensable, la mise en place du fonds de modernisation des équipementiers automobiles et, pour soutenir la sous-traitance, la signature du code de performance et de bonnes pratiques ainsi que la nomination d’un médiateur. De leur côté, les collectivités territoriales, en particulier les régions et les agglomérations qui ont en charge le développement économique, sont mobilisées pour être des facilitateurs sur leur territoire. Leur rôle consiste à anticiper les évolutions, à mettre du foncier à la disposition des entreprises, à aménager les infrastructures et à se préoccuper de l’environnement des usines, ainsi que des salariés de celles-ci. Parce que l’industrie nécessite de la matière grise, nous, élus des territoires, œuvrons aussi à la constitution de clusters et de mises en réseau propices à l’innovation. Permettez-moi de citer l’exemple de Valenciennes, que je connais bien, puisque je suis aussi élue d’un territoire. On parle de produire en France ? Toyota fabrique ses Yaris en France, avec à la clé 3 800 contrats à durée indéterminée et trois emplois induits pour un emploi direct ! Imaginez ce que cela représente pour un territoire… Mais pour attirer un tel groupe, une stratégie territoriale est indispensable. Nous avons démarché l’entreprise, mis un site à sa disposition et facilité la mobilisation des aides à l’aménagement du territoire, ainsi que le recrutement d’un personnel qualifié. Nous nous sommes aussi préoccupés de l’attractivité de notre agglomération du point de vue des équipements culturels, de l’offre de logements, de l’offre de formations adaptées aux besoins de l’industrie automobile et de la performance de l’université. En effet, on n’attire pas une entreprise industrielle sur un territoire qui n’est pas attractif, où les cadres, les salariés et les chercheurs n’ont pas envie de venir vivre. C’est sans doute parce que nous nous efforçons de créer ce dynamisme de territoire, en tirant parti de nos atouts et en nous attachant à corriger nos retards, qu’un certain nombre d’industriels continuent d’investir dans notre région. Toyota a choisi d’y fabriquer sa Yaris hybride pour l’Europe, ce qui entraînera 800 emplois supplémentaires et 125 millions d’euros d’investissements nouveaux. La boîte de vitesse de PSA y sera aussi produite, ce qui créera 400 emplois supplémentaires. Enfin, Toyotomi a décidé de s’y implanter, avec à la clé 100 emplois supplémentaires. Mais il ne s’agit pas de nous voiler la face en ignorant les facteurs négatifs qui mettent en péril cet équilibre. Certains facteurs sont anciens et récurrents, la crise ne faisant que les rendre plus aigus. Je pense en particulier au coût du travail, plus élevé en France que dans d’autres pays européens, sans parler des pays à bas coûts. Par exemple, il faut trouver le moyen de réduire l’écart de coût, au départ de 600 euros, entre les véhicules produits sur le site de Sevelnord – vous avez évoqué ce site, madame Assassi – et le véhicule produit à Vigo, en Espagne. Voilà un premier exercice auquel les industriels doivent s’employer, tout en respectant bien évidemment la condition des salariés. Il faut aussi tenir compte du fait que certains sites travaillent en partenariat avec des industriels étrangers. C’est le cas de celui de Sevelnord, associé avec Fiat pour la production de son véhicule utilitaire. Or Fiat s’étant désengagé, Peugeot, qui n’est pas responsable, doit trouver un nouveau partenaire. En pareil cas, comme l’a dit Mme Archimbaud, seuls l’anticipation et le travail collectif peuvent permettre de trouver une solution. C’est la méthode que nous essayons d’appliquer, en lien avec les membres concernés du Gouvernement et leurs services, les régions, les communautés d’agglomération et l’ensemble des forces vives du territoire, sans oublier les salariés et les syndicats qui sont au cœur du dispositif. Certes, des efforts de compétitivité sont nécessaires. Mais, pour avancer, il faut aussi savoir anticiper et évoluer, c’est-à-dire bâtir une stratégie, conclure de nouveaux partenariats et trouver de nouveaux gisements d’activité. Cette adaptation permanente est d’autant plus nécessaire que l’univers automobile est mondialisé et en perpétuelle évolution. Il n’en demeure pas moins qu’il existe un différentiel entre les coûts de production. M. Tavares, dirigeant de Renault, nous a expliqué que la fabrication d’une Clio 4 coûtait 1 300 euros de plus en France qu’en Turquie. Cette réalité relance une nouvelle fois le débat sur le coût du travail, qui sera assurément un enjeu des prochaines échéances électorales. C’est une question extrêmement complexe, qui nécessite de prendre en considération de nombreux paramètres, à commencer, bien entendu, par le paramètre humain. De leur côté, les entreprises mentionnent volontiers les contraintes administratives. Il faut neuf mois pour monter une usine en Chine, alors qu’il en faut le double en France dans le meilleur des cas… C’est un point sur lequel il faut absolument évoluer. Pour faire venir Toyota à Valenciennes, nous avions réussi à obtenir des dérogations aux démarches administratives classiques ; sans elles, le constructeur japonais ne serait pas venu s’implanter chez nous, car les délais auraient été trop longs ! Il est donc indispensable de faciliter l’organisation et de simplifier les démarches administratives. La qualité du climat social est également citée comme l’un des facteurs qui encouragent ou dissuadent les investisseurs, surtout s’ils sont étrangers. Dans ma région, en 2010, on a dénombré dix-sept ruptures de livraison d’usine, dont quinze avaient pour origine des conflits sociaux chez des fournisseurs. Cet exemple illustre la nécessité de renforcer encore le dialogue social. Patronat et syndicats, tous les acteurs du monde du travail doivent se parler et travailler ensemble afin de prévenir les difficultés de ce type, qui nuisent aux salariés comme au développement des entreprises. Les concertations issues des déclinaisons régionales du Pacte automobile contribuent au renforcement du dialogue social. Il est essentiel que l’adoption d’un code de bonnes pratiques se traduise par une amélioration pérenne des relations entre les donneurs d’ordre et les sous-traitants. Enfin, on ne peut occulter l’effondrement du marché automobile en Europe occidentale et le déplacement des zones de croissance vers les pays émergents. Songez qu’il y a seulement 15 voitures pour 1000 habitants en Inde, contre 700 en Europe : la marge de progression est tout simplement fantastique ! Nos constructeurs doivent se positionner sur ces nouveaux marchés ultracompétitifs. Le constat de l’existence de difficultés ne doit pas nous rendre défaitistes, bien au contraire. Certes, nous avons perdu des parts de marché et notre compétitivité s’est érodée par rapport à celle de nos voisins allemands. Mais la crise a eu l’effet bénéfique de nous pousser à réagir ! Pour rendre à la filière automobile la compétitivité qui lui fait défaut, il faut agir dans quatre directions. Tout d’abord, il faut améliorer la formation initiale pour redonner aux jeunes le goût de l’industrie, développer la formation en alternance et rendre les carrières plus attractives. En Allemagne, les emplois industriels sont mieux rémunérés que les emplois de la finance ! Nous devons aussi travailler à une meilleure adéquation entre les formations proposées et les besoins des industriels. Par exemple, pour vingt des cinquante-deux types de compétences mécaniques et métallurgiques recensés par Pôle Emploi dans le répertoire opérationnel des métiers et des emplois, l’offre d’emplois est supérieure à la demande… C’est que l’adéquation entre l’offre et la demande est insuffisante ! (M. le secrétaire d’État opine.) Par ailleurs, il convient d’investir dans la recherche et l’innovation pour que nos constructeurs soient compétitifs et conservent une longueur d’avance sur leurs concurrents. Les constructeurs doivent investir dans l’innovation, la recherche et le développement, et s’appuyer sur les recherches conduites dans les laboratoires publics, ceux des universités et des clusters. L’enjeu est le transfert de technologie, ce qui soulève la question de la propriété intellectuelle, ainsi que celle des rapports entre les organismes de recherche publics et les organismes de recherche privés dans la gestion des brevets. Dans ma région, j’ai observé qu’il est très difficile de partager les informations lorsque des enjeux de propriété intellectuelle et de brevet se posent. Pourtant, nos voisins allemands (Mme Brigitte Gonthier-Maurin s’exclame.) arrivent à faire travailler intelligemment tous les acteurs de la chaîne qui unit le donneur d’ordre aux sous-traitants. Pourquoi pas nous ? En outre, il est nécessaire d’aider nos entreprises à grandir pour atteindre une masse critique suffisante, seules ou en grappes, sur le modèle des entreprises de taille intermédiaire allemandes. Ainsi, elles disposeront des ressources nécessaires, notamment humaines, pour se développer et conquérir des marchés extérieurs. Cette réflexion doit être conduite très rapidement au sein des comités de filières, afin que soit définie une méthode à la française pour atteindre cet objectif. Enfin, il faut évoluer vers la production d’un véhicule décarboné et entièrement recyclable. Le choix fait par Renault de construire plusieurs véhicules électriques est un pari audacieux. Le véhicule hybride, de son côté, constitue une solution de compromis mieux adaptée à des usages moins urbains. Quant à la déconstruction, elle représente un marché en devenir. J’ajoute que, comme tous nos collègues ayant participé aux réunions de la commission de l’économie, j’ai bien compris la nécessité pour nous de retrouver une place importante dans le marché de haut de gamme. Mes chers collègues, mon temps de parole étant déjà largement dépassé, je veux simplement rappeler ceci : si l’on a pu douter que l’industrie était le socle indispensable d’une économie solide, durable et dynamique, il importe aujourd’hui, plus que jamais, de la mettre au cœur de la stratégie économique de notre pays ; cela vaut pour l’industrie automobile, mais plus généralement pour toute l’industrie ! (C’est raté ! sur les travées du groupe CRC.) On peut dire que notre industrie ne va pas bien, être défaitiste et choisir d’abandonner… (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Mais on peut aussi se retrousser les manches et se battre pour avancer ! Parce que, aujourd’hui, l’économie évolue très vite, monsieur le secrétaire d’État, nous devons tous, État et collectivités, élus et syndicats, prendre le problème à bras-le-corps. Moi, dans ma région, je choisis de me retrousser les manches ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)