Les débats

Affaires étrangères et coopération
Nathalie Goulet 08/01/2014

«Débat sur la politique étrangère de la France»

Mme Nathalie Goulet

Monsieur le ministre, vous avez été interrogé, et vous allez l’être encore, sur à peu près tous les problèmes de ce vaste monde. C’est le jeu de ce débat et c’est ce qui fait tout son intérêt, dans un monde en pleine mutation, rempli d’imprévus et d’intolérances prévisibles. La multiplication des zones grises où la gouvernance n’existe plus et où tous les terrorismes règnent mériterait à elle seule tout un débat. Pour ma part, je vais vous parler d’autre chose, et les sujets que je vais évoquer ne seront probablement pas ceux auxquels vous vous attendez. La politique étrangère de la France commence à la porte de nos ambassades : nos ambassadeurs sont la première vitrine de notre diplomatie. Au risque de paraître un peu entêtée, je souhaiterais vous poser un certain nombre de questions sur le recrutement et sur la formation de nos ambassadeurs, ainsi que sur la façon dont est géré ce réseau de diplomates que le monde entier nous envie. Je dirai d’abord quelques mots sur mes amis les ambassadeurs thématiques… J’aurais pu vous faire sur ce point quelques propositions à l’automne dernier, mais nous avons été privés du débat sur la deuxième partie du projet de loi de finances. Victoire de l’optimisme sur l’expérience, comme disait Henri VIII lors de son sixième mariage ! Je conteste, comme vous le savez, l’esprit et la méthode du recrutement de ces ambassadeurs. Au fur et à mesure des débats, j’ai pu obtenir des succès modestes et temporaires : j’avais demandé leur suppression et, récemment, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, le Sénat a adopté un amendement visant à obtenir un rapport sur le coût de ces diplomates. Toutefois, quatre ou cinq ans plus tard, je n’ai toujours pas de réponse ! Mais, monsieur le ministre, vous n’êtes absolument pas en cause : ce système existait bien avant vous. Quoi qu’il en soit, quels sont les critères de sélection ? Faut-il avoir été recalé du suffrage universel pour prétendre à cette fonction ? Quel est le coût de ces ambassadeurs ? À qui rendent-ils des comptes et remettent-ils des rapports ? Qui évalue la nécessité de leur mission et de leur action ? Nous n’en savons toujours rien ! Je n’aurai pas le mauvais goût de vous rappeler certains titres et certaines affectations... Je me contenterai de noter que, dernièrement, le 11 septembre 2013, Claudine Ledoux, ancienne députée de Champagne-Ardenne et ancien maire de Charleville-Mézières, a été nommée ambassadrice déléguée à la coopération régionale dans la zone de l’océan Indien. Je ne doute pas que cette mission ait été largement évaluée et soit absolument nécessaire ! La Cour des comptes s’intéresse d’ailleurs de près à ces ambassadeurs thématiques, pas nécessairement en raison de leur coût, mais plutôt parce que cette question est emblématique d’une méthode périmée et non transparente de dépense des deniers publics. Je pense cependant que ces ambassadeurs thématiques pourraient trouver leur place dans l’architecture de notre diplomatie actuelle. Si nous avions examiné le budget de votre ministère, je vous aurais alors fait quelques propositions… Je vais donc vous les présenter ce jour. La région du golfe Persique ou l’Asie centrale pourraient constituer des terrains d’expérimentation tout à fait exemplaires, notamment en matière culturelle. Ainsi, il serait intéressant de nommer un seul ambassadeur thématique culturel dans les pays du Golfe. En effet, le régime qui consiste à avoir un conseiller par ambassade me semble désormais un peu périmé. On pourrait donc désigner un seul conseiller par région. Cet ambassadeur devrait parler arabe, bien entendu, et pourrait transposer le travail accompli dans un pays à un autre, dans une zone où les effectifs de la coopération culturelle se multiplient, alors que ces diplomates ne font que dupliquer les mêmes politiques. Des ambassadeurs thématiques pourraient également être nommés dans d’autres secteurs – je pense à la coopération médicale, aux énergies renouvelables, ou encore à la lutte contre la pollution – et être chargés de promouvoir notre technologie. S’agissant de notre réseau diplomatique, seuls six ambassadeurs parmi ceux qui représentent la France dans les vingt-deux pays de la Ligue arabe parlent arabe, monsieur le ministre. De ce point de vue, le changement de notre ambassadeur aux Émirats arabes unis a attiré l’attention. En effet, le nouvel ambassadeur ne parle pas arabe, tandis que son prédécesseur, absolument exceptionnel, qui avait également exercé la fonction au Qatar, s’est vu proposer un poste en Irlande. Malgré l’éminence et l’importance de ce poste, cette proposition a dissuadé ce dernier de rester dans notre haute administration diplomatique, ce qui est un peu dommage ! De surcroît, le premier conseiller aux Émirats ne parle pas non plus arabe. Je comprends que la langue véhiculaire soit l’anglais, mais étant donné l’importance de nos relations avec ces pays, notamment avec l’Arabie saoudite, il serait convenable et respectueux de nos hôtes que nos ambassadeurs parlent la langue du pays dans lequel ils sont nommés. Monsieur le ministre, vous exercez la cotutelle sur l’Agence française de développement. Là aussi, comment pensez-vous mettre en place les outils d’évaluation que nous réclamons depuis des années et qui n’existent toujours pas, alors qu’il est tout de même indispensable que soit évalué l’emploi de l’argent du contribuable, que nous dépensons d’ailleurs volontiers pour cette aide au développement ô combien importante ? Je voudrais simplement vous citer un exemple récent. L’Agence française de développement a concédé un prêt à l’Azerbaïdjan; or Dieu sait que ce pays n’en a absolument pas besoin ! Dans ce domaine, la cotutelle avec le ministre du commerce extérieur est importante. Je le répète, je pense qu’il faut absolument, dans notre architecture, mettre en place ces outils d’évaluation.
Cette remarque est liée à la diplomatie économique, que vous avez décidé d’encourager, ce qui nous agrée, car nous sommes très conscients de son importance.
Vous avez mis en place des ambassadeurs dans les régions et confié à certains de nos collègues élus des missions en Chine, en Algérie ou dans les Balkans. Je regarde avec intérêt et jalousie ces nominations…
La jalousie, c’est très féminin, et c’est parfois légitime. J’ai au moins le mérite de ne pas être hypocrite ! (Sourires.)
Cela étant, disposez-vous déjà d’une évaluation de ces deux dossiers ou de retours ? Pour conclure, monsieur le ministre, je vous parlerai non pas de l’Iran, pays pour lequel – vous le savez – j’ai des yeux de Chimène, mais de l’Azerbaïdjan. Cela devait arriver ! Vous avez promis d’effectuer une visite à Bakou, alors que notre pays détient un record Guinness : depuis dix-sept ans, aucun ministre des affaires étrangères français ne s’est rendu dans cette ville ! Or, dans ce laps de temps, l’Azerbaïdjan a changé. Il joue un rôle important en matière de stabilité énergétique et politique. Parmi les pays du Caucase si prompts à s’enflammer, c’est probablement l’allié le plus sûr de la France et de l’Europe. Des accords de coopération les plus larges possible sont en passe d’être signés, ce qui est tout à fait légitime eu égard à ce qui se passe en Arménie, en Ukraine, ou encore à la situation difficile que connaît la Géorgie, où le Premier ministre a démissionné, à la suite de la désignation d’un nouveau Président de la République dont on ne peut pas dire qu’il a une expérience internationale majeure. L’Azerbaïdjan est visiblement un pays essentiel dans cette zone, aussi bien en ce qui concerne l’approvisionnement énergétique que la stratégie de l’Europe et de la France. Et les conditions économiques dans lesquelles nous travaillons avec l’Azerbaïdjan sont extrêmement satisfaisantes. Les trois pays, dont la France, qui coprésident le groupe de Minsk étaient convenus qu’il n’était plus possible de maintenir le statu quo dommageable, c’est-à-dire l’occupation, officiellement reconnue comme telle, par l’Arménie de sept provinces voisines du Nagorno-Karabakh – je ne parle pas de celui-ci, car la situation est vraiment aussi compliquée qu’à Jérusalem ! À cette fin, monsieur le ministre, voyez-vous une piste pour reprendre le dialogue et pour rétablir la confiance entre les belligérants, laquelle, c’est le moins que l’on puisse dire, a totalement disparu ? Car, au contraire, la situation risque encore de se dégrader. Il faudrait évidemment que l’Arménie libère ces territoires occupés, ce qui permettrait à environ un millier de réfugiés azerbaïdjanais de revenir dans leur région. De surcroît, une telle action positive pourrait permettre le redémarrage de négociations sur le statut du Nagorno-Karabakh. En conclusion, malgré les divergences de points de vue que nous pouvons exprimer sur certaines questions dans cet hémicycle, à l’étranger, nous sommes tous solidaires de la position de la France, y compris dans les moments les plus difficiles, comme peuvent en témoigner certains de mes collègues avec lesquels j’ai voyagé. (M. le ministre manifeste son approbation.) Nous soutenons votre action, monsieur le ministre. Vous pouvez accorder la plus grande confiance à la diplomatie parlementaire, laquelle n’est pas maladroite. (M. le président de la commission applaudit.)