Les débats

Affaires étrangères et coopération
07/12/2011

«Débat préalable au Conseil Européen du 9 décembre 2011»

M. Aymeri de Montesquiou

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai choisi d’aborder un aspect des problèmes financiers et des problèmes énergétiques de l’Union européenne. Michael Fuchs, personnalité de la CDU, n’a pas hésité à affirmer qu’il voyait « un calcul d’ordre politique derrière l’annonce » de Standard & Poor’s de dégrader la note de l’Allemagne et de la France. Serait-ce un moyen, en attaquant l’euro, de détourner l’attention de la situation déplorable des États-Unis ? Y aurait-il connivence entre les agences de notation et les banques ? En effet, plus les notes sont mauvaises, plus les banques font des profits. Goldman Sachs a certifié les comptes falsifiés de la Grèce et invité parallèlement à spéculer sur sa dette ! Dans quelle mesure la responsabilité de cette banque est-elle engagée ? Si cette responsabilité dans la falsification des comptes était reconnue, quels dédommagements l’Union européenne pourrait-elle attendre pour les dégâts considérables et difficilement canalisables que cela a entraîné ? L’Europe est certainement le premier marché du monde, mais il est ouvert aux quatre vents de la concurrence mondiale. Si elle est la première puissance économique, cette puissance n’est que virtuelle. Notre objectif est qu’elle devienne la première puissance économique réelle. Le peu de poids économique de chaque État rapporté au nouvel ordre mondial nous condamne à coordonner nos politiques économiques et donc nos politiques fiscales. Nous devons tendre le plus vite possible vers la gouvernance européenne et pour cela renoncer à quelques éléments de notre souveraineté. Ce sacrifice est indispensable pour que la France demeure un élément majeur de cette première puissance en devenir. Jacques Delors a souligné dans The Daily Telegraph que les imperfections innées de l’euro, parmi lesquelles la plus importante, une banque centrale sans État correspondant, n’ont pas été traitées à temps et que leur ampleur a été révélée et amplifiée par la crise. La mise en place de cette gouvernance est aujourd’hui vitale. Le second point de l’ordre du jour, l’énergie, est un sujet stratégique, en particulier le volet « diversification des sources et sécurité d’approvisionnement » demeure un enjeu majeur de la politique énergétique européenne. La diversification est une nécessité absolue. En effet, l’Union européenne importe 33 % de son pétrole et 42 % de son gaz de Russie. Parallèlement, l’UE représente 70 % de ses exportations de gaz russe et 80 % de ses exportations de pétrole. Le gazoduc Nord Stream, solennellement inauguré le mois dernier à Lubmin, relie la Sibérie à l’Allemagne en passant sous la Baltique. Il alimentera quelque 26 millions de foyers en Europe à partir de 2012. Le deuxième projet, russo-italien, le South Stream, a pour objectif de desservir l’Europe centrale et l’Europe du Sud en passant sous la mer Noire avec une capacité de 63 milliards de mètres cubes. Présenté comme le concurrent direct de Nabucco, il serait plutôt son complément. En effet, le gazoduc Nabucco est une priorité européenne, car il évite la Russie et permet ainsi à l’Union de diversifier utilement ses sources à partir du Caucase et de l’Asie centrale. Encore au stade de l’étude, son problème majeur réside dans son approvisionnement, la découverte du champ géant d’Absheron en Azerbaïdjan, estimé à 350 milliards de mètres cubes, non loin du champ de Shah Deniz, devrait apaiser certaines inquiétudes et donner du corps au projet. Si les hydrocarbures de la Caspienne n’y suffisent pas, l’Irak et surtout l’Iran seraient des fournisseurs potentiels. Le problème iranien est extrêmement sensible en raison du régime politique de ce pays et de sa quête nucléaire, mais je suis convaincu que ce grand pays jouera un rôle majeur dans les années à venir. Ayons à l’esprit que le régime actuel ne sera pas éternel et qu’il est le deuxième producteur de gaz, si l’on ne tient pas compte du gaz de schiste américain. De plus, notre maîtrise du gaz naturel liquéfié nous donnerait une place de premier plan dans sa liquéfaction, son transport et nos terminaux. L’autre source majeure d’énergie en Europe, c’est le nucléaire. La France en a fait le principal élément de son bouquet énergétique. La catastrophe de Fukushima a considérablement freiné le renouveau nucléaire en Europe. Ainsi, certains pays ont décidé l’abandon pur et simple du nucléaire, ce qui fragilise l’autonomie énergétique de l’Europe. Cela rendra également l’objectif des « trois fois vingt » impossible à respecter et, de plus, accentuera la dépendance vis-à-vis de la Russie. Le nucléaire a un autre avantage, son coût de production est le plus faible des énergies, et il est insensible aux fluctuations climatiques et spéculatives. Enfin, l’efficacité énergétique est un gisement d’économies dans le bâtiment et les transports. Elle n’est pas encore suffisamment mise en pratique, mais la Commission s’est saisie du sujet. Monsieur le ministre, où en sont l’élaboration du projet de directive et le rapport de progrès ? Quelles en sont les grandes lignes ? Si l’Union ne parvient pas à parler d’une seule voix dans le secteur énergétique, c’est notamment parce que ses entreprises sont concurrentes sur le marché russe. Un exemple : la France et l’Allemagne animent chacune une structure dédiée à l’efficacité énergétique chargée de diffuser des bonnes pratiques européennes dans ce domaine en Russie, la RUDEA allemande et le centre franco-russe. Ce sujet gagnerait à être traité à l’échelon européen, ce qui permettrait de beaucoup mieux intégrer les infrastructures de transport, notamment électriques. Ces initiatives nationales ont des limites, qui expliquent l’absence de succès des « projets d’intérêt commun ». Les conclusions du Conseil européen du 4 février dernier rappellent qu’il est « indispensable de mettre en place avec la Russie un partenariat fiable, transparent et structuré. Cela dans les domaines présentant un intérêt commun dans le secteur de l’énergie, dans le cadre des négociations sur le processus post-accord de partenariat et de coopération ». Appuyons-nous sur les travaux en cours du partenariat pour la modernisation et le dialogue sur l’énergie. On peut s’interroger sur le sens de cette observation. En effet, le « partenariat énergétique Union européenne-Russie » a été lancé il y a plus de dix ans, lors du sommet de Paris en octobre 2000. Si ce partenariat a connu des succès, il connaît aussi des limites. Le progrès des procédures dites « early warning mechanism » ne suffit pas à masquer les déceptions profondes suscitées de part et d’autre par les crises gazières ukrainiennes et l’adoption, avec le troisième paquet, de la clause dite « anti-Gazprom », qui est, à mon sens, une absurdité. Les débats récurrents sur les contrats de long terme, par exemple, sont politiques et largement déconnectés des préoccupations industrielles qui guident la réalité des relations bilatérales de chacun des États européens avec la Russie. La mise en cohérence des enjeux industriels ne se fera pas d’elle-même, et il faut encourager les consortiums industriels européens dans le domaine énergétique à l’égard de la Russie, capables de discuter avec les grandes sociétés russes, dont on connaît la proximité avec les cercles politiques. Le partenariat pour la modernisation et le dialogue sur l’énergie peut en être l’occasion. Bien qu’européen convaincu, je ne suis pas favorable à l’élargissement de l’Union européenne en l’état de ses institutions. Déjà, en 1995, je m’étais abstenu à l’Assemblée nationale sur l’adhésion de la Suède, de la Finlande et de l’Autriche, pourtant contributeurs nets potentiels, car j’estimais que la mécanique européenne n’était pas préparée à accueillir de nouveaux membres. La situation est similaire aujourd’hui, alors que nous accueillons la Croatie. Certes, les Balkans occidentaux ont vocation à entrer, eux aussi, dans l’Union, mais il est indispensable que ses institutions soient opérationnelles pour trente membres, voire davantage. La dernière crise de l’Europe nous fait prendre conscience de la faiblesse de l’Union et encore plus de celle des États. Elle souligne les sacrifices réalisés et les sacrifices qu’il reste à faire. Ils sont indispensables pour que les rêves des pères de l’Europe deviennent notre réalité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)