Les débats

Aménagement du territoire
Valérie Létard 06/12/2012

«Débat sur la réforme de la politique de la ville»

Mme Valérie Létard

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, programme de rénovation urbaine, plan de cohésion sociale, création de zones franches urbaines pour dynamiser l’emploi dans les quartiers en difficulté, ACSÉ, dispositifs de réussite éducative : les interventions publiques dans le cadre de la politique de la ville ont été nombreuses et particulièrement structurantes, pour certaines. Pourtant, nous partageons le même constat, résumé dans le rapport de la Cour des comptes du mois de juillet dernier : les résultats ne sont pas à la hauteur de ce qui était escompté. Bien que tout le monde s’accorde à dire que l’ANRU, initiée par Jean-Louis Borloo, est un formidable levier pour la reconquête de nos quartiers, couronné de réussites urbaines, d’un point de vue social et humain, les inégalités n’ont pas régressé entre les quartiers prioritaires et les autres territoires. Toutefois, il faudrait, me semble-t-il, creuser un peu la question afin de déterminer si, entre le début et la fin d’un programme, les populations concernées sont toujours les mêmes. Ne faut-il pas aussi se poser la question de l’espace d’intégration que représentent ces territoires ? Un travail doit être mené sur cet aspect : il ne s’agit pas de jeter la politique de la ville avant d’avoir crevé cet abcès et d’en avoir bien examiné les contours. La politique de la ville est, par construction, une politique transversale, faisant appel à des acteurs multiples, à de nombreux financements croisés ; c’est une politique complexe à mettre en œuvre sur des territoires dont la crise a encore accru la fragilité sociale. Sédimentation de strates successives, elle nécessite certainement d’être revisitée et simplifiée. C’est la démarche, monsieur le ministre, que vous avez engagée, en lançant une vaste concertation, à laquelle je suis heureuse de contribuer en tant qu’ancien rapporteur pour avis de la mission « Ville et Logement », mais aussi, au travers de mon expérience de terrain, en ma qualité de présidente de la communauté d’agglomération Valenciennes Métropole, située dans une région où nous savons, pour le vivre au quotidien, la difficulté à faire renaître des quartiers dits « sensibles », en tout cas qui ont besoin de rattraper le retard qui s’est accumulé au fil des années. Le présent débat doit nous permettre de faire un point d’étape sur la réflexion qui est menée. Il est bienvenu car, politique ambitieuse et nécessaire, la politique de la ville appelle la mobilisation de tous, loin de tout dogmatisme et de tout a priori. C’est à cette réflexion que je voudrais ajouter quelques pierres ce matin en reprenant les trois axes autour desquels s’articule la concertation en cours : la géographie prioritaire, la contractualisation et le partenariat, la gouvernance. Pour ce qui concerne la géographie prioritaire, j’aimerais souligner que la logique sur laquelle vous vous appuyez, monsieur le ministre, pour définir les périmètres en cause me semble aller globalement dans le bon sens. En effet, au regard des pistes qui se dessinent, il se pourrait que nous nous orientions vers un dispositif prévoyant, tout d’abord, une « géographie emboîtée » avec des territoires cibles, des territoires de projet et une échelle de contractualisation. Un tel dispositif doit également inclure une vigilance préventive afin de veiller à la non-dégradation des quartiers hors géographie prioritaire. Cela est particulièrement important si l’on part du postulat que la situation budgétaire va nous amener à restreindre le nombre de quartiers éligibles à la politique de la ville. Nous avons en effet entendu le message mais, comme plusieurs de mes collègues l’ont souligné, si certains territoires dont les populations sont encore confrontées à une grande fragilité n’ont peut-être pas besoin de rénovation urbaine, ils trouveront certainement avantage à une réflexion sur l’accompagnement de leurs populations, afin d’éviter de se retrouver dans des situations de régression ou d’abandon.   Au titre de la géographie prioritaire, il faut aussi prévoir une modulation de l’aide de l’État en fonction de la capacité financière des communes. En effet –  et c’est une demande que j’ai soutenue depuis longtemps –, est-il logique d’aider de la même manière un quartier sensible d’une commune disposant par ailleurs de moyens financiers importants et un quartier équivalent situé dans une commune pauvre ? Même s’il faut toujours être prudent lorsque l’on examine ces aspects, car on ne peut pas généraliser à partir de cas particuliers – et il y en a toujours –, globalement, ce sujet doit être pris en considération, car il soulève la question de la péréquation horizontale, débat complexe et très vaste, nous le savons ! Enfin, un tel dispositif amènerait à envisager des aides locales plus importantes lorsque la participation financière de l’État serait faible ou absente sur certains territoires. J’emploie le conditionnel car, tant que nous ne disposerons pas de la nouvelle carte des territoires cibles soutenus demain par l’État et d’un aperçu de la part du soutien de celui-ci à ces territoires, il est évidemment difficile de se prononcer autrement que sur un principe. En revanche, tout en approuvant la théorie, je souhaite mettre l’accent sur les points sur lesquels nous devons, me semble-t-il, rester vigilants. Tout d’abord, et c’est essentiel, il s’agit de la définition des indices. À mon sens, la géographie prioritaire doit être établie sur un panel d’indices multicritères adapté au contexte local et élaboré en concertation avec le préfet. Il nous faut sortir de la logique normative et cartésienne qui retient quelques critères identiques à l’échelon national. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, il est un critère qu’il ne faut surtout pas oublier, celui de la santé. Ainsi, sur les deux cents agglomérations du classement, les dix dernières font partie de la région Nord-Pas-de-Calais. Sans vouloir stigmatiser ce territoire, on sait que certains de ses retards sont liés à son passé industriel, à ses problématiques socio-économiques. Par conséquent, occulter un critère tel que celui de la santé parce que, au niveau national, il n’est pas commun, reviendrait à passer à côté des vrais enjeux. Comme nous le savons tous, les problèmes rencontrés dans les quartiers des villes du Nord-Pas-de-Calais, dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ou en région parisienne ne sont pas les mêmes. Outre le critère de santé, il y a ceux de l’emploi, de la pauvreté, de la formation, du logement. Bref, ces critères doivent être regardés avec la plus grande attention et leur effet doit être modulé en fonction de chaque région. C’est également le cas des indicateurs de mortalité. Il me semble aussi nécessaire, monsieur le ministre, de prendre en compte la spécificité des territoires, notamment de l’habitat. Dans nos régions, l’habitat est horizontal ; dans les quartiers des banlieues, des grandes métropoles, il est vertical. Si vous devez, demain, réfléchir à la façon de travailler sur des périmètres de référence, vous ne pourrez pas vous référer à un indicateur unique de ce point de vue. Il convient donc d’adapter l’échelle d’analyse aux spécificités des territoires. La bonne échelle, celle qui me paraît pertinente, c’est celle du bassin de vie, pour ensuite descendre à un échelon plus fin, la ville pour de petites unités urbaines et le quartier pour les plus grandes. Il faudrait pouvoir s’affranchir des analyses s’appuyant systématiquement sur le découpage en IRIS opéré par l’INSEE, découpage trop large, qui peut inclure des quartiers très différents et lisser les problèmes, car il repose sur un fractionnement par tranche de 2 000 habitants. Pour ne citer que l’exemple de mon territoire, vingt-trois des trente-cinq communes de Valenciennes Métropole n’ont pas de découpage en IRIS. La connaissance précise des situations est une première donnée indispensable. Autre présupposé essentiel, nous devons réfléchir à la manière pertinente de mesurer le « décrochage » d’un territoire. À mon sens, comme je le rappelais tout à l’heure, le faire par rapport à l’environnement de ce territoire et de façon croisée avec un classement et des comparaisons nationales me semble indispensable. Enfin, il est primordial que l’État central n’impose pas tout et que la géographie prioritaire soit partagée entre l’État déconcentré – le préfet – et les collectivités qui connaissent le mieux les problématiques sociales de leur territoire. Pour ce qui concerne la contractualisation et le partenariat, je voudrais souligner, monsieur le ministre, que ce qui ressort des travaux de concertation me paraît aussi aller dans le sens de la logique. En effet, nous ne pouvons qu’adhérer à l’idée d’un contrat intercommunal, un triptyque État-intercommunalités-communes, basé sur un projet de territoire, qui définira les logiques de priorisation et articulera les échelles d’intervention sur la durée d’un mandat municipal, une évaluation étant nécessaire, me semble-t-il, à mi-parcours. Nous souscrivons aussi au principe d’un contrat unique engageant tous les acteurs – État, régions, départements, ARS, CAF – et qui s’inscrirait dans deux niveaux de contractualisation : un socle-cadre puis un niveau opérationnel. Si nous avançons sur un tel schéma, il est impératif de bien s’assurer d’un certain nombre de préalables. Pour donner des règles à la contractualisation, la logique de priorisation est centrale, mais l’entrée territoriale ne doit pas être la seule façon de prioriser. Les actions de la politique de la ville pourraient cibler un type de public, un territoire, voire un public sur un territoire. Chaque objectif du projet de territoire pourrait identifier la logique de priorisation pertinente. Il convient d’inciter chaque partenaire – État, région, département, etc. – à replacer la politique de la ville au cœur de sa stratégie d’aménagement du territoire pour permettre une convergence et une cohérence optimales avec les politiques publiques de droit commun. Cela pourrait sans doute nous aider à nous prémunir contre le risque de substitution entre crédits spécifiques et crédits de droit commun, l’un des problèmes récurrents dans la mise en œuvre de la politique de la ville par le passé. Autre préalable, chaque partenaire doit adhérer à la logique de contractualisation qui territorialise les politiques publiques dans le cadre d’un projet de territoire urbain et social, qui identifie les objectifs communs, les moyens mobilisés, aussi bien de droit commun que spécifiques, les outils de suivi et d’évaluation, ainsi que les moyens pour la gouvernance. Je propose ainsi l’idée d’un contrat partenarial qui distingue des objectifs et des actions par thématique. Pour chacune des actions ainsi définies, la contractualisation déterminerait le porteur, ou chef de file, le calendrier, les moyens mobilisés, les outils d’évaluation, les territoires ou les publics cibles. Nous en revenons, ici, comme sur bien d’autres politiques publiques, à la nécessité de définir précisément le « qui fait quoi ». Cela m’amène tout naturellement à mon troisième et dernier point, la gouvernance. Cette question de la gouvernance et de l’animation globale est certainement la plus complexe à régler. Mais, à partir du moment où l’on décide que cette politique sera fondée sur la contractualisation, il me paraît évident que le maître mot pour résoudre cette question doit être celui du travail en mode projet ; deux acteurs pertinents s’imposent pour les deux échelons définis précédemment, le niveau cadre et le niveau opérationnel. Pour le premier, l’intercommunalité est certainement le degré le plus adéquat pour assurer la coordination de la contractualisation, sa cohérence, la solidarité financière et le respect de l’équité territoriale, voire la mutualisation sur certaines questions. C’est une échelle pertinente aussi pour nombre de sujets tels que les transports en commun en site propre mais aussi pour globaliser l’ingénierie de projets que des communes n’auraient peut-être pas les moyens de porter si elles étaient seules à devoir le faire. Je rappelle que je suis l’élue d’un département qui comporte de petits territoires en grande difficulté financière : rien n’étant possible sans l’agglomération, nous avons donc fait ce choix, qui a permis à ces territoires d’aller au bout de leur démarche. Pour le second, le niveau opérationnel, la commune doit rester l’échelon principal de la mise en œuvre, parce que c’est la cellule de base, au plus près des habitants des quartiers. Pour réussir, nous avons besoin de réunir deux conditions essentielles. Il est d’abord nécessaire d’avoir une volonté politique forte qui assure une visibilité dans la durée et stabilise les dispositifs. C’est particulièrement important pour mener un travail partenarial intelligent avec le secteur associatif. Ensuite, il faut disposer d’équipes techniques qualifiées. L’un des enjeux primordiaux est de mettre en œuvre un processus de qualification des acteurs qui bénéficie d’un soutien fort de l’ingénierie et d’une mutualisation des moyens, laquelle sera cruciale dans les années à venir. Telles sont, monsieur le ministre, les quelques réflexions que je souhaitais vous soumettre, au nom du groupe UDI-UC, dont les valeurs humanistes et centristes l’ont conduit, vous ne l’ignorez pas, à s’investir depuis longtemps dans l’avenir de la ville et de ses quartiers fragiles. En conclusion, j’aimerais souligner à quel point la politique de la ville me semble essentielle pour construire la ville de demain et à quel point sa complexité en fait en même temps toute la richesse. En effet, l’expérience de la rénovation urbaine de certains quartiers que nous avons acquise nous a confortés dans la certitude que cette politique, pour être efficace, doit allier dans un même élan l’accompagnement humain, une vision du développement économique, des choix urbanistiques et techniques et les modes de transport nécessaires au désenclavement. Tous ces facteurs engagent l’avenir. Pour réussir, nous devrons cependant veiller à ne pas nous éloigner des besoins des habitants, qui sont les bénéficiaires de la politique de la ville. Il faudra pour cela, monsieur le ministre, que cette dernière soit le fruit d’une coproduction entre les territoires et les institutions qui apporteront les financements. Voilà les pistes sur lesquelles mon groupe aimerait vous voir vous engager, monsieur le ministre, puisque vous avez le courage d’essayer de changer les choses. En raison de l’expérience des territoires que nous avons les uns les autres, nous savons cependant que nous devons être attentifs aux écueils à éviter et ne pas oublier la nécessaire péréquation. Nous devons aussi être vigilants à ceux qui sont encore fragiles et qu’il ne faudrait pas, au nom du « resserrage », mettre de côté sans réfléchir à des solutions alternatives. Des systèmes intermédiaires peuvent nous permettre d’éviter la politique du « tout ou rien » ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)