Les débats

Affaires étrangères et coopération
Nathalie Goulet 05/12/2013

«Débat sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières»

Mme Nathalie Goulet

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission d’enquête, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes douze en séance pour débattre d’un sujet aussi important. Autant dire que nous sommes entre nous ! Or nous fêtons aujourd’hui le premier anniversaire de la déclaration de Jérôme Cahuzac, dans laquelle il affirmait ne détenir aucun compte à l’étranger. Ce 5 décembre est donc l’occasion pour nous de souffler cette première bougie ! Hier, le Sénat a battu l’Assemblée nationale par 1 à 0 : on comptait un sénateur – moi – et aucun député lors de la présentation du rapport annuel de Transparency international sur la transparence de la vie publique et l’évasion fiscale. Évidemment, ce rapport soulève un certain nombre de problèmes puisqu’il y est question de perception de la corruption et de perception de la fraude. Après le tsunami provoqué par l’affaire Cahuzac, il est clair qu’il faudra plus qu’un train de mesures pour rétablir la confiance. Cette affaire a donné lieu à plusieurs textes législatifs, à des commissions d’enquête, dont il a été largement question. Croyant que Bernard Cazeneuve serait là ce matin, je ne voulais pas le contrarier en évoquant le verrou de Bercy. Mais puisque c’est vous qui êtes présent, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, je vais vous en parler. (Sourires.) Le verrou de Bercy a fait l’objet de très longs débats les 17 et 18 juillet dernier. Malheureusement, nous n’avons pas adopté les dispositions de bon sens en faveur d’une plus grande transparence qu’avait présentées notre collègue Alain Anziani au nom de la commission des lois. Nous le regrettons. Comme les murs de Jéricho, le verrou de Bercy finira un jour ou l’autre par sauter, à mon avis sous le coup d’une question préalable de constitutionnalité. La première a été déposée le 29 novembre dernier, en vain. Toutefois, le combat continue. Le verrou résistera, me semble-t-il, moins aux juridictions qu’aux parlementaires. Pour ma part, je vous parlerai des lanceurs d’alerte ainsi que de la formation. S’agissant des premiers, il n’existe malheureusement aucune convention de l’OCDE permettant de les protéger, monsieur le ministre. Il serait important que la France soutienne le projet d’une telle convention au sein de cet organisme. Dans un pays comme la Suisse, la vérité est pratiquement illégale – on peut même dire qu’elle l’est à part entière. Prenons l’exemple de Pierre Condamin-Gerbier, qui avait fait un très grand nombre de déclarations s’étant avérées par la suite : dès son retour en Suisse, il a été incarcéré. M. le rapporteur et moi-même sommes d’ailleurs allés soutenir ses défenseurs. On retrouve ce même problème pour d’autres lanceurs d’alerte. Nicole Marie Meyer, expert rattaché à Transparency international, a déclaré hier matin, lors de la présentation du rapport, que « la France est ce pays paradoxal où un ministre du budget pratique la fraude fiscale, mais où un commandant de police est révoqué pour avoir signalé un usage illicite de fichiers par son administration, un diplomate licencié pour avoir rendu à sa hiérarchie un rapport confidentiel sur des dysfonctionnements financiers avérés, un fonctionnaire territorial menacé pour avoir signalé en interne des marchés publics irréguliers ». Par ailleurs, on assiste à une limitation de la coopération internationale et du multilatéralisme en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales : le cas de la Suisse est absolument typique à cet égard. Les lanceurs d’alerte ne sont pas les seuls à souffrir des carences de l’action internationale ; l’action multilatérale en matière de lutte contre la fraude fiscale reste insuffisante et superficielle, voire hypocrite, y compris dans des enceintes comme l’OCDE. Pascal Saint-Amans a beau dire qu’il n’existe plus de secret bancaire en Suisse et que la coopération et l’échange d’information progressent, la réalité est tout autre. Sur un plan strictement juridique, le droit suisse est tout entier tourné vers la protection des banques. Le Conseil fédéral suisse a renoncé, en septembre dernier, à sanctionner pénalement les banquiers dont l’action aurait été peu scrupuleuse. Du côté du droit positif, les articles 271, 272 et 273 du code pénal suisse interdisent toute intrusion d’une puissance étrangère qui serait contraire aux lois, traditions et intérêts de la Suisse. Cette législation sert notamment de fondement à toutes les négociations fiscales entre la Suisse et le reste du monde, notamment les États-Unis. Quant à l’article 273 relatif aux peines sanctionnant l’intelligence économique, il suffit de le lire pour démontrer que, en Suisse, la vérité en matière d’évasion et de fraude fiscales internationales est illégale. Dans de telles conditions, on imagine également les chances de succès d’une commission rogatoire internationale pour interroger les dirigeants locaux d’UBS ou de HSBC, sans même parler de l’entreprise qui administre le port franc de Genève. À cet égard, monsieur le ministre, il serait urgent que les autorités françaises lancent une commission rogatoire internationale pour interroger Raoul Weil, l’ancien président d’UBS, actuellement incarcéré en Italie. Dans ce pays, il est possible de l’interroger ; dès qu’il sera de retour en Suisse, cela sera impossible ! Par ailleurs, nous sommes aussi passés à côté d’un problème majeur lié à l’évasion fiscale, à savoir les ports francs suisses. Dans ce pays, monsieur le ministre, il existe dix-sept ports francs, grands comme vingt-cinq terrains de football, antichambre ou garde-manger des banques suisses où s’entassent or et œuvres d’art qui servent de gage à des transactions multiples variées dans l’anonymat confortable d’une simple consigne. Reste l’impératif de la formation à la lutte contre la fraude fiscale, proposition numéro 12 du rapport de la commission d’enquête. De nombreuses autres zones d’ombre pourraient être soulevées. En la matière, il semble évident que nous sommes dans la guerre de l’obus et du blindage. C’est pourquoi il faut former les personnels en créant à cette fin un centre destiné à accueillir les étudiants et le personnel chargé de combattre la fraude fiscale. Lors de nos auditions, Michel Aujean s’est ému qu’il n’existe pas de telles structures en France, alors qu’on en compte deux au Royaume-Uni. Dans notre pays, seule l’école doctorale de Paris I travaille sur ces sujets, mais dans une optique universitaire et non pas dans une logique opérationnelle. Monsieur le ministre, il y a un manque crucial de formation. Mme Couppey-Soubeyran, également auditionnée par notre commission d’enquête, a pointé les difficultés d’accès et de retraitement des données statistiques de l’INSEE. Quant à Hervé Falciani, il a déclaré que l’administration ne disposait pas des moyens humains pour analyser l’information qu’elle avait à sa disposition. De fait, on tourne toujours un peu en rond. Le monde entier nous envie notre administration, à laquelle il convient évidemment de rendre un hommage appuyé. Néanmoins, compte tenu de la rapidité avec laquelle les techniques de fraude évoluent, il est nécessaire de développer les processus de formation. D’après Noël Pons, que nous avons également interrogé, les techniques de renseignement relatives à la lutte contre la fraude doivent évoluer qualitativement pour appréhender l’évolution des techniques et leur lien avec la grande criminalité. Les modèles informatiques ne peuvent pas tout faire. Dominique Strauss-Kahn avait d’ailleurs fait état de leurs défauts de conception. Aussi, il est nécessaire d’avoir davantage de personnels formés à la connaissance des méthodes de fraude fiscale afin de prévenir toute inertie dans la création de certains dispositifs législatifs. Malheureusement, nous n’avons pas pu examiner les articles de la seconde partie du projet de loi de finances. (M. le ministre fait un geste désabusé.) Eh oui, monsieur le ministre, je comprends votre déception, qui est aussi la nôtre, mais ce n’est pas de notre fait ! On pourra voter toutes les lois qu’on veut, mais, si l’on ne dispose pas du personnel de formation adéquat, du personnel pour assurer le suivi, du personnel pour enquêter et traiter les données, en dépit de tout ce que nous pourrons faire pour combattre ce fléau qu’est l’évasion fiscale, contre laquelle nous sommes tous mobilisés ici, il sera difficile d’obtenir de bons résultats. Pour conclure, je veux dire que nous avons été particulièrement déçus du refus du président du Sénat de créer, dans cette maison, une délégation permanente dédiée à la protection des intérêts financiers de l’État, proposition que nous avions faite dans le cadre de la première commission d’enquête. Il avait été saisi de cette demande par un courrier, que nous avions tous signé, que lui avait adressé le président de cette commission d’enquête, Philippe Dominati. Il est important que nous puissions suivre, de façon constante, l’évolution de notre législation et de la jurisprudence dans les domaines financier et fiscal. Or cette délégation aurait permis au Sénat d’accroître son pouvoir de contrôle et, surtout, son pouvoir de suivi. Il faut sans doute voir dans ce refus le résultat d’une pression amicale de la commission des finances, qui a peut-être voulu garder la main sur ce dossier. C’est regrettable. Lors de la prochaine session parlementaire, monsieur le président la commission d’enquête, monsieur le rapporteur, il faudra donc remettre ce sujet sur le tapis. Il est en effet très important que nous suivions ce dossier de façon régulière et constante dans cette maison. Les marges de progrès sont grandes. Je voudrais profiter de la présence de Philippe Dallier pour le féliciter du travail qu’il a produit sur la fraude à la TVA, conjointement avec notre collègue Albéric de Montgolfier.
Je vous en prie, mon cher collègue. Vous avez l’immense mérite d’être présent ce matin pour nous écouter sur ce sujet important ! (Sourires.) Votre rapport est excellent !
Dans nos deux commissions d’enquête, nous avons soulevé à de très nombreuses reprises le problème des fraudes à la TVA et les marges de progrès extrêmement importantes en la matière. Il vaut mieux faire porter l’effort là-dessus qu’augmenter la TVA sur les centres équestres ! En tout cas, monsieur le ministre, sachez que nous sommes tous solidaires et mobilisés sur ce sujet. (Applaudissements.)