Les débats

Europe
Catherine Morin-Desailly 05/07/2012

«Débat sur les résultats du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012»

 

Mme Catherine Morin-Desailly

Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, des avancées notables, mais dont il ne faut pas exagérer l’ampleur ; beaucoup d’espoir, mais un processus fragile : ainsi pourrait être résumée l’appréciation portée par les membres du groupe de l’Union centriste et républicaine sur les conclusions du Conseil européen des 28 et 29 juin dernier. Celles-ci vont dans le sens de ce que nous, centristes, demandons depuis des années puisque ont été posées les bases d’une Union refondée sur trois piliers : bancaire, économique et budgétaire. L’union bancaire, qui a été ébauchée pour rompre le cercle vicieux entre crise bancaire et endettement des États, est sans aucun doute l’avancée la plus significative. Elle se concrétise par le mécanisme de surveillance européen du secteur par la Banque centrale européenne et par la capacité programmée pour le Mécanisme européen de stabilité de recapitaliser directement les banques, sans passer par les États. Par ailleurs, on notera qu’un impératif de croissance a été reconnu, mais ne nous y trompons pas, cela reste largement incantatoire, comme l’a fait remarquer mon collègue Jean Bizet voilà quelques minutes ! Il faut tout de même souligner que l’accroissement des capacités d’investissement des institutions était prévu de longue date et ne posait pas de problème. Ce pacte de croissance correspond à 120 milliards d’euros, soit, si l’on se place à l’échelle de l’Union, 1 % du PIB pour 550 millions d’habitants. Précisons que, sur ces 120 milliards d’euros, 60 milliards d’euros étaient déjà débloqués préalablement à l’échéance des 28 et 29 juin. De plus, l’ensemble des mesures, que je ne rappellerai pas en cet instant, avaient été préparées et décidées de longue date. Enfin, sur le plan de la convergence budgétaire, les pays de la zone euro ont de nouveau été invités à fixer des objectifs de déficit annuel. Les conditions de rachat par le Fonds européen de stabilité financière, puis par le Mécanisme européen de stabilité de la dette d’un État membre ont été allégées. Mais surtout – ce point est important –, le Conseil a donné mandat aux institutions communautaires d’établir, d’ici à la fin 2012, une feuille de route détaillée pour aboutir à une union budgétaire et politique. Autrement dit, il reviendra à Bruxelles de contrôler a priori les budgets nationaux. La création d’un organisme de contrôle destiné à gérer les interdépendances des économies de la zone euro, à l’image d’un bureau du Trésor, est également à l’ordre du jour. Tout cela va dans le bon sens et permet à tout le monde aujourd’hui, notamment à nos amis espagnols et italiens, dont les économies représentent 30 % de la zone euro, de respirer, au moins provisoirement. C’était important. Les objectifs de déficit annuel correspondent, bien sûr, à la règle d’or. Je tiens à formuler deux rappels à cet égard. D’une part, les centristes ont été les premiers à réclamer cette règle d’or ; elle figurait dans notre programme présidentiel dès 2007. D’autre part, l’actuelle majorité a voté contre cette mesure. Or voilà qu’elle s’en fait le héraut, par trait communautaire interposé. Quelle pirouette ! Il en va de même du Mécanisme européen de stabilité, que nous avions fermement soutenu, tandis que l’opposition d’alors, qui s’était abstenue, s’en fait aujourd’hui le plus fervent défenseur. A posteriori, permettez-nous donc de nous demander si le pacte de croissance n’a pas été l’alibi qui a permis in fine de lever le veto sur le traité de discipline budgétaire. Il est vrai que nous sortons de quatre mois de campagne électorale, d’atermoiements et, finalement, de vrai faux suspense… Alors, oui, les décisions prises lors du dernier Conseil européen vont dans le bon sens, mais on avance à petits pas. Lors du débat préalable au Conseil européen du 23 octobre 2011, j’avais eu l’occasion de plaider, au nom de mon groupe, pour une plus grande convergence interne de nos économies et un saut institutionnel qualitatif. Nous demandions l’institution d’un Trésor européen alimenté par l’ensemble des États membres, afin de financer des investissements d’avenir. Ces engagements, je les avais réaffirmés dans cet hémicycle à l’occasion du vote sur le Mécanisme européen de stabilité. Notre collègue Jean Arthuis les a développés et systématisés dans son excellent rapport du mois de mars dernier sur la gouvernance de la zone euro. Récemment auditionné par la commission des affaires européennes, il a démontré à quel point il était urgent d’en corriger les défaillances. Il y a urgence car, en l’absence de cadre de réglementation, les risques de déstabilisation perdurent. À cet égard, nous regrettons que le Gouvernement français ait été trop timide ces dernières semaines dans la définition des objectifs à atteindre. Certes, les conclusions du dernier Conseil européen portent en germe la concrétisation des principales propositions du rapport précité. Mais il ne s’agit encore que de simples germes… Factuellement, les engagements actuels restent très restreints et le processus engagé par ce Conseil pour aboutir à une Europe fédérale demeure conditionnel. D’ailleurs, si l’Allemagne a cédé sur l’assouplissement de la condition de rigueur pour le rachat par le MES des dettes souveraines, elle ne veut toujours pas entendre parler de mutualisation totale ou même partielle des risques. Dans ces conditions, pas de Trésor européen, qui serait pourtant l’aboutissement du processus. Faute d’objectifs plus ambitieux, les conclusions du Conseil européen qui vient de se dérouler représentent un compromis du plus petit dénominateur commun. En l’occurrence, il aura fallu trouver un modus vivendi entre deux Europe que l’on oppose : l’Europe de la stabilité et celle de la relance, ce qui a conduit à opposer intégration budgétaire et solidarité financière. Ce clivage recoupe le classique débat opposant, en économie, conservateurs et keynésiens. Fallait-il opposer intégration budgétaire et solidarité financière, stabilité et relance ? Nous ne le pensons pas. Bien sûr, l’Union ne peut se désintéresser de la croissance. Mais on ne peut pas non plus relancer notre économie efficacement sur la base de comptes publics déficitaires. Il n’y a pas d’opposition essentielle entre les deux ; il s’agit juste d’une question d’ordre séquentiel. Le pacte de croissance, les fonds structurels, les project bonds sont de bonnes mesures, mais elles restent des dépenses, qui ne pourront un jour trouver leur effet multiplicateur, donc agir efficacement sur la croissance, que si les États membres consentent préalablement à des réformes structurelles conduisant à une intégration budgétaire plus poussée. C’est ce que défend avec raison l’Allemagne. C’est pourquoi la voie ouverte par le Conseil est fragile. L’essentiel n’est pas écrit et des États membres risquent du coup de s’en éloigner. Mais surtout, pour aboutir, elle devra être accompagnée de politiques budgétaires nationales exemplaires. La France, dont les comptes publics sont, comme chacun le sait, dangereusement dégradés, devra agir en ce sens. Il n’y aura pas de Trésor européen, donc pas de règlement pérenne de la crise de l’euro et de la dette, sans une politique budgétaire française volontariste. Pour arracher l’accord, la France a donné deux gages. D’une part, elle a renoncé à renégocier le pacte budgétaire. Sans malice, je rappelle que le coup de la renégociation avortée d’un pacte de rigueur européen avait déjà été joué par un exécutif socialiste. C’était en 1997 au sujet du pacte de stabilité, que le gouvernement Jospin avait aussi fini par ratifier in extenso. D’autre part, juste avant le Conseil, le Gouvernement a su très opportunément annoncer quelques coupes dans la fonction publique d’État pour rassurer notre partenaire allemand. Mais demain cela ne suffira plus, parce que la France ne semble pas réellement prendre le chemin de la vertu budgétaire. Hier, lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre n’a mentionné aucune économie, aucune mesure réellement structurelle pour relancer la compétitivité. Ce sont des dépenses nouvelles, des augmentations corollaires d’impôts, ciblées sur les forces les plus productives du pays déjà les plus pressurées, à savoir les entreprises, en particulier les PME, et les classes moyennes. Dans ces conditions, on peut se demander si le couple franco-allemand, déjà mis à mal par le début de mandature du nouveau Président, tiendra le choc. Comme l’a fait remarquer Jean-Louis Bourlanges, notre ancien collègue député européen, l’alliance de circonstance contre l’Allemagne est un fusil à un coup, aux antipodes de la relation de confiance établie de part et d’autre du Rhin depuis le 9 mai 1950 et à laquelle on doit la construction européenne. Aussi craignons-nous que votre politique, tant budgétaire que diplomatique, ne nous fasse rater une chance historique d’établir un véritable fédéralisme européen, dont il faut aujourd’hui oser prononcer le nom ! Ne nous y trompons pas, l’intégration budgétaire ne peut aller de pair qu’avec l’Union politique ! En effet, il serait impensable qu’une commission non issue des urnes puisse avoir un droit de regard, voire censurer des budgets nationaux élaborés par des gouvernements démocratiquement élus. Cela ne peut passer que par une démocratisation des institutions communautaires elles-mêmes, bien sûr, mais également par la mise en place d’un véritable contrôle par les parlements nationaux du fonctionnement de la zone euro. Comme l’a rappelé le Premier ministre, il faut évoquer un projet qui « parle » à nos concitoyens. Mais, au préalable, il nous faut des institutions fortes et solidaires. L’euro ne survivra que si les États membres et leurs populations se sentent vraiment partie prenante d’une communauté de destin. Ce fédéralisme, nous l’appelons de tous nos vœux, non pas seulement par idéalisme, mais parce que, dans le monde de demain, il représente la seule chance pour l’Europe de ne pas être réduite à l’état de condominium sino-américain, notre seule chance de préserver notre indépendance. C’est à cette condition que l’Europe peut être de nouveau porteuse d’espoir et d’avenir pour nos concitoyens. Monsieur le ministre, vous connaissez l’attachement indéfectible des centristes au projet européen. Nous n’hésiterons jamais à soutenir le Gouvernement lorsqu’il s’agira d’avancer dans la construction européenne. Nous l’avons prouvé dans le passé. Mais nous exprimons une exigence : que notre pays, comme l’ont rappelé nos collègues à l’Assemblée nationale hier, soit non pas en retrait mais à l’avant-garde du débat, qu’il fasse avancer très clairement la construction européenne et ne refuse pas la main que lui a tendue l’Allemagne. Vous nous avez donné rendez-vous lors de futurs sommets. Mais c’est maintenant que se joue notre destin. Et par un de ces clins d’œil que nous adressent les pères fondateurs de l’Europe, notre destin se joue au moment même ou nous nous apprêtons à célébrer le cinquantième anniversaire du traité de réconciliation franco-allemande. Mes chers collègues, sachons donc être au rendez-vous de notre histoire ! (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)