Les débats

Politique générale
François Zocchetto 04/07/2012

«Débat faisant suite à la Déclaration de politique générale du gouvernement»

M. François Zocchetto

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, « Le changement, c’est maintenant ! » C’est vrai que, depuis que vous êtes aux affaires, les choses ont changé. La nouveauté, c’est que, maintenant, la majorité affiche sa désunion. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Désunion, oui, pas seulement différence ! Inutile d’épiloguer ; la manière dont le parti socialiste traite ses alliés Verts, radicaux et communistes se passe presque de commentaires ! Monsieur le Premier ministre, nous vivons très mal votre refus de faire voter le Sénat sur votre déclaration de politique générale. (Vifs applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.) Le choix que vous avez fait en dit long sur la solidité de votre coalition ! Qu’un gouvernement manifeste sa défiance à l’égard de ses alliés en écartant le vote de confiance, c’est vraiment original. C’est même, pour tout dire, du jamais vu au Sénat ! (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.) Depuis 1958, aucun chef de Gouvernement disposant d’une majorité dans les deux chambres ne s’est refusé à prononcer devant le Sénat une véritable déclaration de politique générale, conformément à l’article 49, quatrième alinéa, de la Constitution, suivie d’un vote, ce fameux vote que nous avons réclamé hier après-midi en écoutant votre déclaration. Aujourd’hui, nous mesurons le courage qui a été celui de Michel Rocard lorsqu’il est venu faire devant la Haute Assemblée une déclaration de politique générale suivie, comme le prévoit la Constitution, d’un vote, alors que le Sénat était à l’époque à droite. Il l’a fait, vous non. Votre attitude à l’égard du Sénat traduit une conception de la démocratie qui n’est pas la nôtre ! Même si je ne me fais aucune illusion, monsieur le Premier ministre, permettez-moi néanmoins de vous rappeler qu’il est encore temps de demander un vote sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution, afin de laisser à la majorité sénatoriale la possibilité d’exprimer son soutien ou sa différence. C’est possible ! Je pense que le choix de cette procédure révèle un malaise bien plus profond. Vous avez tout gagné : vous dirigez la très grande majorité des régions, des départements, des grandes villes. Vous voici donc aux manettes ! Autrement dit, vous voici confrontés à la réalité des choses ! Monsieur le Premier ministre, votre opposition, ce ne sera pas nous. En effet, tout en étant dans un groupe minoritaire ou d’opposition, nous n’excluons pas de vous apporter notre soutien sur telle ou telle question d’intérêt supérieur. Ainsi, c’est dans cet esprit – je vous le dis dès maintenant – que nous soutiendrons, par exemple, la ratification du traité budgétaire. Votre plus grande opposition sera – ça l’est déjà ! – la réalité des choses, une contrainte sur l’autel de laquelle vous serez conduit à sacrifier presque tous vos engagements. L’écologie a ainsi été ces derniers jours la première victime expiatoire de votre confrontation au réel. Vous reconnaîtrez avec nous que le débarquement de notre ancienne et estimée collègue Nicole Bricq, coupable de lèse-concessions pétrolières, n’envoie pas un signal très positif en la matière ! Après l’écologie, les autres victimes naturelles de la politique réelle, de la realpolitik, ne peuvent être que les Français et, malheureusement, les plus modestes d’entre eux. Ainsi votre entrée en fonction a-t-elle été marquée par deux mesures prises en extrême urgence : le décret sur les retraites et le coup de pouce au SMIC. Alors que, en matière de retraites, votre électorat attendait le Grand Soir, vous lui offrez un simple aménagement, certes coûteux, mais qui ne concernera qu’un public limité. De plus, comme Jean-Claude Gaudin l’a dit tout à l’heure, vous avez procédé par décret, quasiment en catimini, alors que la réforme des retraites avait été la plus longuement discutée au Sénat, qui s’y était consacré à fond. Quant au SMIC, une fois l’inflation prise en compte, il s’agit moins d’un coup de pouce que d’une pichenette, terme que je prononce sans l’accent du président du groupe UMP. (Sourires.) Voilà deux exemples d’effets d’annonce à vocation d’affichage grandement politicien ! La situation économique et financière est à ce point critique que, à part des mesures cosmétiques, vous n’aurez jamais les moyens de tenir vos promesses. Vous avez vous-même cité ces chiffres alarmants, que vous ne découvrez pas, car vous les connaissiez bien avant le début de la campagne présidentielle : un déficit commercial de plus de 75 milliards d’euros alors que l’Allemagne est largement excédentaire, un taux de chômage qui frôle les 10 %, une dette publique qui représente aujourd’hui presque 90 % de notre PIB, un État qui vit à crédit à partir du mois d’août ! Tout cela pèse sur notre croissance. Dans ce contexte, c’est très simple : votre déclaration est prise dans une tenaille. D’un côté, il y a vos engagements et, de l’autre, la contrainte financière. Dans ce contexte peu confortable, mais qu’ont connu d’autres avant vous, qui en ont tiré d’autres conséquences, vous faites ce que je me permettrai de qualifier de prose ! On apprend ainsi que vous êtes pour la croissance et contre la désindustrialisation. Nous aussi ! Vous êtes pour l’emploi et contre la délinquance. Nous aussi ! Vous êtes pour la décentralisation et contre la pauvreté. Nous aussi ! On aurait pu ajouter que vous êtes contre les dictatures et que nous, nous sommes pour la démocratie ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) Convenez que tout cela ressemble moins à une déclaration de politique générale qu’à une déclaration de principe. Hélas, monsieur le Premier ministre, mille fois hélas, à eux seuls, les principes n’ont jamais fait une politique. Il en faut, mais ils ne suffisent pas. Alors vous renvoyez à des états généraux, à des conférences, à des assises, à des lois-cadres, à des lois pluriannuelles, dont le contenu est encore indéterminé. Soit ! Mais le temps passe vite, très vite, et vos demandes sont encore bien mal formulées. En revanche, nous avons vite compris ce qui allait arriver dans deux domaines. En premier lieu, en matière fiscale, c’est clair : pas d’économies. Au contraire, les hausses d’impôts vont bon train ! Nous ne sommes pas opposés à toute modification de la fiscalité dès lors qu’elle permet une justice plus grande, mais partir du principe qu’il faut augmenter tous les impôts jusqu’à atteindre des taux confiscatoires me paraît être une grave erreur ! En second lieu, vous allez pouvoir engager quelques réformes de société. Je pense ainsi au mariage homosexuel. On peut en discuter ! Je pense au droit de vote des étrangers aux élections locales. Nous en avons déjà discuté à de nombreuses reprises ici. (On l’a voté ! sur les travées du groupe CRC.) Il est vrai que de telles réformes ne coûtent rien, tout en étant des marqueurs de communication faciles. Vous êtes tiraillé entre un programme impossible à tenir et l’épouvantail de l’austérité. Malheureusement pour la France, pour nous, mais pour vous aussi, je crains que vous n’aboutissiez, comme pour les effectifs de la fonction publique d’État, à un statu quo. Autrement dit, le renoncement, l’immobilisme vous guettent ! Certains de vos renoncements nous font toutefois plutôt plaisir. Par exemple, les conclusions du dernier Conseil européen sont pour nous un satisfecit, car elles vont dans le sens de ce que le groupe de l’Union centriste et républicaine a toujours défendu. Elles posent les jalons du fédéralisme budgétaire que nous appelons de nos vœux. Comme l’ont dit la plupart des orateurs qui m’ont précédé, ce qui est d’ailleurs rassurant, un tel fédéralisme serait pour l’Europe la seule possibilité de continuer à exister dans le monde de demain. Je m’attarderai un bref instant sur ce Conseil européen, car deux ambiguïtés nous font un peu peur. Première ambiguïté : vous laissez penser que l’on pourrait sacrifier le couple franco-allemand afin de parvenir à des compromis, au profit de coalitions de circonstance avec d’autres pays. Vous qui connaissez l’Allemagne mieux que nous, vous n’êtes pas sans savoir à quel point la relation franco-allemande est fragile ! Monsieur le Premier ministre, permettez-nous de relayer ce que nous pensons être l’opinion des Français en vous disant : « Attention : fragile ; ne toucher qu’avec précaution ». Deuxième ambiguïté : à l’occasion de ce sommet européen qui a permis d’aboutir à un accord à l’arraché, vous qui avez voté contre la règle d’or, vous qui y avez toujours été opposé, vous qui vous êtes abstenu sur le Mécanisme européen de stabilité, vous en êtes devenu quasiment le héraut en une seule « nuit communautaire ». (M. François Rebsamen proteste.) Sur ce point, je vous dis bravo ! Nous sommes contents de ce premier renoncement. Rien ne se fera sans le retour à l’équilibre des comptes publics, vous le savez fort bien. « Mettre en scène la concertation plutôt que trancher » : ces propos ne sont pas de moi. C’est ainsi que Le Monde, journal du soir qui n’est pas franchement favorable à l’actuelle opposition, définit votre méthode. Quand on arrive aux affaires, sans pouvoir ni vouloir trancher, que fait-on ? Précisément ce que vous faites en ce moment. Premièrement, on prend son temps. On se pare des habits du démocrate : on « organise la concertation ». À cet égard, permettez-moi de vous dire que la plupart des sénateurs ont été très surpris par le calendrier d’examen des textes que vous proposez pour cette session extraordinaire ! Deuxièmement, on détricote systématiquement tout ce que les prédécesseurs ont fait. Votre gouvernement est malheureusement tombé dans ce travers, comme en témoigne votre action au mois de juillet. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) La liste exhaustive des mesures que vous envisagez de supprimer est longue. Deux d’entre elles retiennent particulièrement notre attention et nous inquiètent : la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires – je ne vise ici que les PME – et celle, surtout, de la « TVA compétitivité ». (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Ces deux mesures, qui vont de pair pour le tissu industriel, sont emblématiques de ce à quoi vont immanquablement conduire vos renoncements : à charger au maximum les travailleurs, les PME, à alourdir la charge pesant sur les classes moyennes. Malheureusement, au mépris de toute logique économique, la notion de compétitivité échappe à votre Gouvernement. Cela nous fait vraiment peur. Si nous voulons défendre le pouvoir d’achat et dynamiser notre tissu productif, il faut maintenir la défiscalisation des heures supplémentaires pour les petites entreprises et en compenser le coût par la « TVA compétitivité », cette mesure étant par ailleurs la seule qui permette de lutter contre les importations de biens de consommation provenant de pays ne contribuant pas à la politique sociale que nous souhaitons. Puisqu’il est question de suppressions et puisque nous sommes au Sénat, j’évoquerai maintenant le conseiller territorial. Sur le fond, je vous l’accorde, cette suppression sera considérée comme une bonne mesure par certains, peut-être même par certains parlementaires de droite et du centre, qui, même s’ils ne l’ont jamais crié sur les toits, n’étaient pas vraiment convaincus de la pertinence d’une telle réforme. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Chacun le sait ici, au sein du groupe que je préside, les avis sur ce nouvel élu ont toujours été partagés. Monsieur le Premier ministre, nous avons toutefois besoin d’en savoir plus. Vous venez vous exprimer devant le Sénat, représentant des collectivités territoriales : c’est le moment et le lieu pour fixer précisément les réformes qui vont être mises en œuvre. Changement de mode de scrutin, calendrier électoral, cumul des mandats, composition du corps électoral pour le Sénat : nous ne parlons pas de 2017, nous parlons de l’échéance de 2014 ! (Très bien ! sur les travées de l’UMP.) C’est demain ! Que voulez-vous faire précisément ? Nous avons besoin de le savoir. Nous avons aussi bien du mal à deviner vos intentions concernant l’avenir des collectivités locales. Vous avez évoqué un acte III de la décentralisation, vous nous parlez d’états généraux. Mais, au-delà de ces formules, de quel type de décentralisation parlons-nous ? Voulez-vous une simple réforme administrative non financée ou la consécration de l’autonomie financière des collectivités locales ? Pouvez-vous nous le dire ? Monsieur le Premier ministre, chaque jour, partout dans nos départements, les dépôts de bilan se multiplient, surtout dans le secteur industriel. Des pans entiers de l’économie sont frappés, en particulier, vous l’avez dit vous-même, les secteurs de l’agroalimentaire et de l’automobile. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Jamais la situation des entreprises, qu’elles soient grandes ou petites, n’a été aussi critique. Jamais la demande d’assistance de nos territoires n’a été plus pressante. Les finances locales ne pourront supporter en l’état une nouvelle récession. Des pans entiers de nos territoires risquent de s’effondrer, faute de ressources, au moment même où nous en aurons le plus besoin. La faillite locale, que personne ici ne souhaite, serait malheureusement de votre responsabilité car, je l’ai dit tout à l’heure, vous détenez tous les leviers de commande, tant à l’échelon local qu’à l’échelon national. Après avoir fait du Sénat le « laboratoire » du programme de François Hollande, je crains que vous ne fassiez de la France le théâtre de vos renoncements. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Nous déplorons que votre analyse économique vous conduise à faire faute route et nous condamne bientôt à des sacrifices qui feront souffrir l’ensemble de nos concitoyens et de nos territoires. Monsieur le Premier ministre, avec tout le respect que nous vous devons, nous regrettons vivement qu’il n’y ait pas de vote aujourd’hui, même si, bien évidemment, nous ne vous aurions pas accordé notre confiance ! (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées de l’UCR et de UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)