Les débats

Affaires sociales
Henri Tandonnet 02/10/2012

«Débat sur l՚économie sociale et solidaire»

M. Henri Tandonnet

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, si les contours de l’économie sociale et solidaire demeurent encore l’objet de débats, la notion a acquis une reconnaissance dans l’espace public au cours de ces trois dernières décennies. Force est de constater que ses frontières sont difficiles à cerner. En effet, les principaux organismes constituant le cœur de l’ESS se rattachent à l’une des quatre grandes familles statutaires – coopératives, mutuelles, associations et fondations –, qui représentent 2,3 millions de salariés, soit plus de 10 % de l’emploi en France, selon l’INSEE. Autour de ce noyau dur gravitent beaucoup d’entreprises. Certes, il existe une définition légale de l’entreprise solidaire issue de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 et précisée par le décret du 18 mars 2009. Cependant, la réalité nous laisse voir une ESS à géométrie variable, en raison de la grande diversité de statut de ses acteurs et de l’absence d’une représentation réellement unifiée. Je souhaite d’abord saluer la réflexion menée dernièrement au sein du groupe de travail sur l’ESS, présidé par M. Daunis, dont nous pouvons lire les conclusions dans le rapport d’information sur les coopératives en France, rédigé par Mme Lienemann. Cette réflexion nous a permis d’appréhender globalement la situation de l’ESS et de proposer des mesures en faveur du développement des entreprises coopératives qui représentent une grande partie de l’activité de cette économie, particulièrement dans nos territoires ruraux où les deux tiers des agriculteurs participent à des coopératives. Cette problématique, qui est désormais traitée dans un ministère à part entière, s’inscrit dans une logique d’évolution, d’amélioration et d’identification. Monsieur le ministre délégué, vous avez précisé le 4 juillet dernier devant les élus du Réseau des territoires pour l’économie solidaire, le RTES, les contours du projet de loi que le Gouvernement présentera au Parlement à la fin de l’année. Ce texte, qui devrait être discuté durant le premier semestre de 2013, prévoit certaines mesures intéressantes. Je pense notamment à un accès facilité à la commande publique, en promouvant l’innovation sociale. Ce projet de loi représente également, selon moi, une opportunité pour favoriser les coopératives de production et de distribution, pour moduler la fiscalité des entreprises en fonction des résultats et des efforts fournis en matière de responsabilité sociale, sur la base de normes européennes communes, ou encore pour promouvoir toutes les forces de distribution en circuit court, du producteur au consommateur. J’espère, monsieur le ministre délégué, que ces idées seront retenues. En revanche, vous avez évoqué la création d’un label pour les entreprises sociales, ce qui me paraît plus discutable. Par qui sera-t-il décerné ? Comment sera-t-il vérifié ? Sera-t-il vraiment reconnu par le public ? Quelle en sera la portée normative ? Voilà autant de questions qui s’apparentent à la constitution juridique de règles strictes et contraignantes. Encore un label de plus, pourrait-on dire ! Il me semble que la plus grande prudence est nécessaire en la matière. Si l’on doit améliorer les fondements juridiques de l’ESS, il faut le faire dans une perspective européenne. La réflexion de l’Union européenne sur ce sujet est en effet favorable, l’économie ne se réduisant plus désormais à ses yeux au marché, puisqu’elle inclut les principes de redistribution et de réciprocité. Encourager cette économie ne veut pas dire la cloisonner. Il faut donc veiller à ce que la mise en place d’un label pour les entreprises ne vienne pas créer un fossé entre les structures considérées comme « sociales » et celles qui seraient « non sociales ». Une certaine souplesse doit être conservée. Depuis peu, l’ESS fait face à un fort marquage politique qui laisse penser que ces entreprises se différencieraient très nettement des entreprises dites classiques. Veillons à ne pas tomber dans la caricature, c’est-à-dire à établir une différenciation entre une ESS « vertueuse » et une ESS « spéculative ». Les problématiques de l’ESS sont très souvent concrètes et identiques à celles des entreprises classiques. Les priorités sont le financement, la croissance de l’activité, les ressources humaines, la fiscalité, l’innovation. Permettez-moi d’évoquer la situation problématique, sur mon territoire, des CUMA, les coopératives d’utilisation du matériel agricole, qui se trouvent exclues du bénéfice de l’exonération des cotisations sociales employeur pour les emplois saisonniers. La loi doit avant tout permettre de remédier à des rigidités ou à des insuffisances statutaires, grâce à l’adaptation de certains des statuts en vigueur. La complexité de l’ESS, qui fait aussi sa richesse, réside dans son aspect transversal, qui s’inscrit dans la diversité de ses structures et de ses objets. Certaines des entreprises sociales et solidaires sont 100 % marchandes, d’autres le sont très peu et combinent des ressources non marchandes et non monétaires. Certaines ont plusieurs milliers de salariés, d’autres aucun. Il est particulièrement difficile d’édicter des lois communes pour toutes ces structures. C’est pourquoi il faut à tout prix éviter de surcharger ce secteur de nouvelles normes, lesquelles devront, autant que faire se peut, être adossées aux dispositifs de droit commun. Il faudra aussi aborder le contrôle de la gestion des fonds publics qui financent une grande partie des associations chargées de véritables services publics. Une commune de 500 habitants qui gère un budget de 100 000 euros est particulièrement encadrée. Il n’en va pas de même d’une association à qui une grande collectivité peut confier un service social doté d’un budget de plusieurs millions d’euros. Il faut donc s’interroger sur le mode de contrôle de gestion qui pourrait être mis en place. Un chantier doit être ouvert en la matière. Notons, à ce titre, les difficultés des acteurs associatifs. Bon nombre d’entre eux ne peuvent fonctionner comme une entreprise. Ils rencontrent des difficultés internes particulièrement importantes. Les moyens humains, juridiques et financiers manquent. Aussi sont-ils inquiets quant à leur faculté d’assumer toutes les responsabilités qui leur incombent. Enfin, il me semble que d’autres pistes, sur lesquelles nous n’insistons pas assez, devraient être creusées. Je pense ici à l’enseignement. Mme la rapporteur a d’ailleurs insisté dans sa conclusion sur ce point. Si l’ESS nous tient à cœur, c’est avant tout parce que ses fondements sont respectueux de l’homme. Ils s’incarnent dans une finalité d’utilité sociale, voire d’intérêt général. À la notable exception des collectivités territoriales, qui soutiennent de plus en plus l’ESS, ayant compris son intérêt pour le développement local durable, les autres acteurs de la société continuent à la méconnaître largement. Selon moi, l’une des réponses à son développement passe par la promotion de l’enseignement et de la formation à l’économie sociale auprès des jeunes. Dès 2011, a été lancé, sur l’initiative de l’État et de six fondations d’économie sociale, le programme Jeun’ESS, qui comporte un volet entrepreneurial. L’appel à projet a été pris d’assaut ! Aujourd’hui, les jeunes souhaitent à la fois pouvoir observer le résultat de ce qu’ils font, être autonomes, prendre des initiatives, exercer les responsabilités d’un entrepreneur, tout en recherchant un travail qui ait du sens, qui serve l’intérêt général. Pour conclure, monsieur le ministre, l’économie sociale et solidaire peut constituer un renouveau de l’économie, sur la base des principes de solidarité et de proximité auxquels aspire la jeunesse. Il nous appartient, à nous comme à vous, monsieur le ministre, de ne pas ralentir son foisonnement en créant de nouvelles barrières, en voulant trop bien faire.