Les débats

Affaires sociales
Valérie Létard 02/10/2012

«Débat pour l՚égalité des droits et des chances,la participation et la citoyenneté des personnes handicapées»

Mme Valérie Létard

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’ont déjà excellemment rappelé les deux rapporteurs de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, la loi du 11 février 2005 est une belle loi, dont nous pouvons être fiers, car elle résulte largement d’une initiative parlementaire, notamment du Sénat. Permettez-moi d’ailleurs de rendre hommage à trois anciens parlementaires, Paul Blanc et Nicolas About, qui furent nos collègues au Sénat, ainsi que Jean-François Chossy, ancien député, qui ont porté ce texte depuis sa genèse et qui ont contribué à le faire vivre grâce à leur implication et à leur énergie, grâce aussi au suivi qu’ils en ont assuré. Ils ont défendu une vision qui nous semble aujourd’hui évidente : une loi globale, de portée transversale, ayant pour ambition de faire en sorte que l’on voie dans chaque personne en situation de handicap d’abord une personne, à laquelle on doit reconnaître toute sa dignité et tous ses droits. Ce changement de regard est bien l’avancée majeure de la loi du 11 février 2005. Je tiens également à rappeler la volonté politique des gouvernements précédents, dont le soutien à cette démarche n’a jamais faibli. Je ne doute pas, madame la ministre, que le gouvernement auquel vous appartenez aura à cœur de la soutenir à son tour. Ayant été secrétaire d’État chargée de la solidarité pendant deux ans, je peux témoigner de l’ampleur de l’effort consacré à la politique du handicap au cours du précédent quinquennat. Ainsi l’allocation aux adultes handicapées, l’AAH, a-t-elle été revalorisée de 25 % entre 2007 et 2012. Un plan a également prévu la création de 51 400 places supplémentaires en établissements. Au 31 décembre 2010, 73 % de ces crédits avaient été notifiés aux agences régionales de santé. À mi-parcours, 50 % des places étaient autorisées. Par ailleurs, un effort sans précédent a été fait en faveur de la scolarisation des enfants handicapés : entre 2006 et 2012, 55 000 élèves handicapés de plus ont été scolarisés en milieu ordinaire. De nouveaux plans sectoriels ont été mis en œuvre : le plan autisme, que vient d’évoquer Isabelle Debré, le plan handicap visuel, le plan en faveur des personnes sourdes et malentendantes. La compensation du handicap a été améliorée. En 2005, le montant moyen de l’allocation compensatrice pour tierce personne, l’ACTP, s’établissait à 400 euros par mois. Le montant moyen de la prestation de compensation du handicap est de 850 euros. Je tenais à rappeler ces chiffres parce qu’ils traduisent de véritables avancées, comme le rappelait le président du Conseil national consultatif des personnes handicapées, Patrick Gohet, à l’occasion d’une tribune publiée l’année dernière. Cela dit, je ne souhaite pas non plus verser dans l’angélisme : si les progrès sont là, tout n’est pas réglé, il s’en faut. À cet égard, le travail de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois constitue un recensement utile des difficultés les plus criantes. Je souscris bien volontiers aux remarques et aux propositions de la commission concernant les difficultés de fonctionnement des MDPH, les conditions d’examen des dossiers de plans d’aide, la nécessité d’orienter la scolarisation des enfants handicapés vers une prise en charge plus qualitative, le défi que constitue toujours l’accessibilité universelle à l’échéance de 2015, le chemin qu’il reste à parcourir pour offrir un véritable parcours de vie, en particulier par l’accès à l’emploi. En matière d’autonomie des adultes, on s’arrête trop souvent à la question des structures, en oubliant que de plus en plus de personnes handicapées sont aujourd’hui capables d’aller vers l’autonomie. Il nous manque simplement les outils adaptés. Madame la ministre, permettez-moi maintenant de vous faire part de quelques remarques dans trois domaines qui devront, selon moi, être au cœur de la politique à mener au cours des cinq ans à venir et faire l’objet de toute l’attention des pouvoirs publics. J’évoquerai tout d’abord l’équité territoriale, sur laquelle on ne peut manquer de s’interroger à la lecture du rapport. Cette question surgissait également très vite lors des auditions des associations et des familles lors de la préparation de mon rapport sur l’évaluation de l’impact du dernier plan autisme. Les disparités constatées dans les plans d’aide, dans les montants des PCH alloués, dans les projets personnalisés de scolarisation, les PPS, selon les départements, et pour des situations qui sont ressenties comme comparables, pourraient constituer, si elles continuaient de croître, un véritable danger. Elles pourraient en tout cas rompre l’égalité que toute personne handicapée ou tout parent d’enfant handicapé est en droit d’attendre. Je me suis toujours battue pour que nous conservions à l’échelon national un socle de solidarité, lequel doit être, à mon sens, le même en tout point du territoire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’avais pas souhaité, lors de la préparation de la loi du 28 juillet 2011, que l’on transfère entièrement la gestion des MDPH au département. On voit bien quelles pourraient être les conséquences, en termes d’équité, pour les politiques territorialisées si d’aventure l’État continuait de s’en désengager totalement. À titre d’exemple, pour un budget du handicap d’un montant voisin, la Ville de Paris traite, par l’intermédiaire de sa MDPH, 90 000 dossiers par an, quand la MDPH du département du Nord en voit passer plus de 150 000. Quant aux familles d’autistes, elles n’ont aucune possibilité, dans certaines régions, de trouver une place à proximité de leur domicile dans les structures pour enfants autistes mettant en œuvre des méthodes éducatives et comportementales. Même en Île-de-France, région pourtant la mieux dotée de toutes, ces structures sont inégalement réparties selon les départements. Il est nécessaire que, dans l’acte III de la décentralisation qui nous est annoncé, le handicap fasse l’objet d’un traitement particulier afin que l’ajustement des moyens alloués aux départements soit à la hauteur des besoins. Lors cette nouvelle étape, et compte tenu de l’expérience acquise, l’effort devra être qualitatif et équitablement réparti, tout en tenant compte du contexte local, madame la ministre. Ma deuxième série de remarques portera sur ce qui constituait l’ambition fondamentale de la loi de 2005 : la construction d’un parcours de vie optimisant les chances d’inclusion. Il me semble que, aujourd’hui, le handicap est toujours vécu comme une suite de ruptures et de discontinuités. Les familles évoquent toujours un « parcours du combattant ». La complexité des dossiers, la lenteur de leur examen et les files d’attente, le besoin de justifier sa situation lors de chaque renouvellement : tout cela concourt à susciter un sentiment de précarité, qui pourrait être atténué par une plus grande souplesse. Simple à dire, difficile à faire ! Toutefois, c’est bien en agissant sur ces petits points d’achoppement que l’on pourrait gagner en efficacité. Face à des publics aussi fragiles, il faut combattre notre tendance à trop bureaucratiser. En matière scolaire, et pour tous les handicaps intellectuels ou psychiques, les discontinuités sont particulièrement dangereuses, car elles sont trop souvent synonymes de pertes de chances et de régression. Or ces discontinuités pourraient être mieux gérées. L’éducation nationale et les établissements spécialisés doivent apprendre à travailler plus étroitement ensemble. Il existe malheureusement encore trop peu d’établissements dans lesquels voisinent école ordinaire et structure spécialisée. Ma dernière série de remarques portera sur le vieillissement. Nous allons vers une société plus âgée, au sein de laquelle les personnes en situation de handicap vivront plus longtemps. La loi de 2005 prévoyait de lever les barrières d’âge, mais cela n’a pas été possible du fait de la contrainte financière. Pour autant, nous ne devons pas nous dispenser de conduire une réflexion sur une prise en charge adaptée du handicap chez la personne vieillissante. Cette question préoccupe particulièrement les familles, et à juste titre. Il n’est pas certain, par exemple, qu’un adulte autiste vieillissant trouve sa juste place dans un EHPAD – établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Quel efforts financiers serons-nous prêts à consentir, dans un contexte qui nous laisse peu de marges de manœuvre ? Il nous faut rouvrir le débat sur le « cinquième risque » et donner tous les éléments à nos concitoyens, sans faux-semblants, car il n’y aura pas de choix facile. Ces sujets sont très complexes. Ils sont malheureusement devant nous et il nous faudra trouver des solutions les plus justes possible. Je conclurai mon intervention par deux questions plus précises. La première d’entre elles portera sur l’accessibilité. Comment comptez-vous avancer dans ce domaine, madame la ministre ? Quelle méthode allez-vous adopter ? Que pensez-vous de la proposition du président du CNCPH, qui a suggéré « de mettre en place un accord entre les demandeurs et tous les acteurs chargés d’appliquer la loi, à leur niveau de responsabilité, afin d’aboutir à une stratégie portant sur une orientation nationale » ? Ma seconde question portera sur le troisième plan autisme, madame la ministre, sur lequel vous vous êtes engagée en juillet dernier. Pouvez-vous nous préciser quel sera le calendrier ? Prévoyez-vous la création de places supplémentaires, en particulier pour les adultes ? Lors d’un colloque auquel j’ai très récemment assisté, j’ai pu constater combien ce problème était aigu. Il est urgent d’agir. Sept ans après le vote de la loi, les attentes demeurent toujours aussi fortes. De nombreuses avancées ont été accomplies, mais beaucoup reste à faire. Il nous appartient collectivement de nous mobiliser pour avancer le plus sereinement possible, en essayant de faire en sorte que les plus fragiles d’entre nous puissent être fiers du travail réalisé par le Parlement et le Gouvernement. (Applaudissements sur différentes travées.)