Les débats

Affaires sociales
Nathalie Goulet 01/10/2012

«Débat sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique »

Mme Nathalie Goulet

Monsieur le président, madame la ministre déléguée, madame la présidente de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je regrette que ce débat n’ait pas attiré plus de monde. Cela étant, ma confession n’en sera que plus discrète... (Sourires.) L’idée de vieillir m’insupporte complètement. Comblement de rides, liposuccions, botox, acide hyaluronique, lifting, système filaire : tous ces procédés me sont familiers ! Oui, je l’avoue, madame la ministre déléguée, j’en suis assez consommatrice depuis un certain temps. J’ajoute que, végétarienne, je fais quotidiennement du sport et pratique le jeûne thérapeutique depuis une trentaine d’années. Dire que mon image m’importe est un euphémisme ! (Nouveaux sourires.) Vous comprendrez donc l’appétence que j’ai éprouvée pour cette mission d’information et mon souci de concentrer ce propos sur la médecine esthétique. La philosophie, pour ne pas dire la psychologie, du consommateur est identique, même si la chirurgie esthétique peut revêtir un caractère réparateur beaucoup plus sérieux et intervenir dans des situations beaucoup plus graves. Je parle de « consommateur » parce que, à mon avis, sous le diktat de l’apparence et de la mode de l’éternelle jeunesse, le « patient » s’efface devant le « consommateur ». Nous sommes passés de Faust à « L’incroyable famille Kardashian » (Sourires.). La chirurgie et la médecine esthétique sont un marché dans la société de consommation qui est la nôtre ! Comme le mentionne le rapport, le marché mondial de la beauté et du bien-être était évalué en 2008 à 500 milliards de dollars, dont 100 milliards pour les seuls soins de lutte contre le vieillissement. Ce n’est pas rien ! La France occupe « seulement » le quatorzième rang du classement des vingt pays les plus consommateurs d’interventions esthétiques médicales. Aux États-Unis, 9,2 millions d’interventions ont été pratiquées en 2011, pour une dépense totale de 10 milliards de dollars, dont 1,7 milliard pour les injections. Le rapporteur a d’ailleurs indiqué que, en France, certaines d’entre elles n’étaient pas contrôlées : voilà qui est sécurisant ! En France, près de 300 000 actes de chirurgie et de médecine esthétiques ont été réalisés au cours de l’année 2009 par 465 chirurgiens. Quant aux actes de médecine esthétique, ils connaissent une croissance continue et constante. Les entreprises de l’esthétique parfumerie réaliseraient un chiffre d’affaires annuel de près de 3 milliards d’euros. Loin de moi l’idée de stigmatiser la profession d’esthéticienne, dont le rapport fait longuement état, mais il faut admettre que les actes pratiqués dans ce secteur sont parfois à la frontière de la médecine esthétique. Peut-être y a-t-il matière à intervenir dans ce domaine ? Sans parler des cabines de bronzage installées dans les clubs de sport et autres établissements de même nature, alors qu’elles n’ont rien à y faire ! Comme tous les membres de la mission commune d’information, je me suis d’ailleurs rangée à l’avis du rapporteur, qui s’est déclaré favorable à leur interdiction. Je précise que, pour ma part, je n’utilisais tout de même pas ces équipements ! (Sourires.) Tous les montants que je viens de citer démontrent que le secteur de l’esthétique médicale est bien engagé sur la voie de la banalisation. Il s’agit bien d’un marché, avec ses règles de l’offre et de la demande, ses bons et ses mauvais acteurs, ses consommateurs avec ou sans modération, mais aussi ses addictions. La médecine esthétique connaît tout cela ! Les journaux et les publicités sur internet sont des vecteurs inépuisables de cette nouvelle valeur du paraître. Madame la ministre déléguée, les pouvoirs publics auraient beaucoup à faire dans ce secteur ! On pourrait aussi évoquer les « bars à sourire » où l’on peut se faire blanchir les dents. Toutes ces pratiques nous réservent à coup sûr de bien mauvaises surprises... J’indique que les hommes, eux aussi, sont de plus en plus consommateurs de médecine esthétique, notamment pour résoudre leurs problèmes de calvitie. Je souhaite proposer quelques pistes de réflexion. Comme nous sommes entre nous, mes chers collègues, et puisque l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de budget ne nous donnera guère l’occasion de sourire, je vous propose de traiter le présent sujet avec la philosophie et la distance qui s’imposent. Avec mes collègues membres de la mission commune d’information sur le Mediator, dont j’étais vice-présidente, nous n’avions pu que regretter l’absence totale d’attention portée aux propositions formulées dans un rapport vieux de dix ans et consacré au Vioxx. Or, dans l’affaire du Mediator comme dans celle du Vioxx, si les problèmes avaient été pris à temps, bien des difficultés auraient pu être évitées. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous avons pu déplorer, dans les deux cas, le même type de carences, d’erreurs et, malheureusement, le même nombre de victimes, car c’est tout de même d’elles dont nous parlons aujourd’hui. Je souhaiterais tout d’abord, madame la ministre déléguée, que nous puissions mettre en place une sorte de cellule permanente de suivi du travail du Sénat et des propositions qui vous sont faites dans ce rapport pour créer ainsi un lien constant, mais pas forcément institutionnel. Il ne s’agit pas de créer un dispositif lourd ou une commission de plus ! Comme vous le savez, les obligations des parlementaires sont déjà suffisamment nombreuses... Ma deuxième proposition vise à instaurer une information complète ainsi qu’une communication institutionnelle cohérente et continue. La volonté politique d’alerter le public sur les dangers de ces pratiques pourrait commencer par une vaste communication des médecins et de l’ensemble des pouvoirs publics. La campagne « Les antibiotiques, ce n’est pas automatique » a connu un grand succès. Il faudrait marteler, de la même façon, que la chirurgie ou la médecine esthétiques sont des actes médicaux graves pouvant avoir des conséquences sur la santé, qui ne relèvent pas – en tout cas, dans une grande partie des cas ! – de la solidarité nationale. Je reviendrai sur ce sujet. Je préconise également que la réglementation en ce qui concerne les remboursements soit appliquée et renforcée. Comme l’a dit le rapporteur, il est très important de réserver les actes présentant des risques sérieux aux médecins qualifiés. C’est une évidence. Le législateur a, en ce sens, confié au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les règles de formation et de qualification applicables aux personnes habilitées à exécuter des interventions à visée esthétique. Le Gouvernement a dans ses tiroirs, madame la ministre déléguée, un décret en gestation. Introduit par l’article 61 de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, l’article L. 1151-2 du code de la santé publique dispose : « La pratique des actes, procédés, techniques et méthodes à visée esthétique autres que ceux relevant de l’article L. 6322-1 peut, si elle présente des risques sérieux pour la santé des personnes, être soumise à des règles définies par décret [...]». Je vous propose donc, madame la ministre déléguée, de retirer la conjonction « si » du décret. Ce serait une façon peu coûteuse et assez rapide de poser que les actes de chirurgie ou de médecine esthétiques sont, par définition, des actes présentant des risques sérieux pour la santé et cela marquerait la volonté politique de ne pas les banaliser. Parmi ces actes dont il est normal qu’ils soient réservés aux médecins, il faut tout de même rappeler qu’il y a le comblement de tout ou partie du corps par injection de produits ou utilisation de dispositifs, de techniques, de rayonnements électromagnétiques ou d’ultrasons, la liposuccion et autres techniques d’amincissement, le traitement des lésions cutanées par ces mêmes rayonnements électromagnétiques, bref, autant d’actes assez lourds et de procédés qui n’ont rien de banal à propos desquels il conviendrait d’alerter le public. Naturellement, mais le rapporteur en a déjà parlé, il est important que des mesures relatives à la formation soient prises. Je veux par ailleurs souligner que l’appétence pour cette médecine entraîne une autre difficulté, que nous avons déjà rencontrée dans le débat sur le financement de l’hôpital et que nous retrouverons lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. En effet, dans un contexte d’aggravation des déséquilibres de la démographie médicale, l’augmentation de la demande de soins esthétiques, du fait qu’elle est susceptible d’intéresser un grand nombre de médecins généralistes, est perçue – nous l’avons constaté au fil des auditions – comme une cause potentielle d’aggravation du risque de désertification médicale. À cet égard aussi, nous devons être très vigilants. Je reviens maintenant pour conclure sur le problème du remboursement. L’acceptation du risque pour un client, patient, consommateur, n’est pas la même selon qu’il s’agit d’un acte à visée esthétique ou de chirurgie réparatrice. En conséquence, il faudrait interdire, en tout cas contrôler, le remboursement des actes à visée esthétique et du traitement de leurs conséquences. Je pense aux opérations de confort du nez, qui passent, ici ou là, pour la correction de déplacements de la cloison nasale, entre autres petites tricheries qui, finalement, pèsent indûment sur le budget de la sécurité sociale et sur la collectivité tout entière, alors que nous avons déjà bien assez de soucis avec l’équilibre de nos comptes sociaux ! Encore plus grave, et dans ce domaine le Gouvernement devrait rapidement prendre des mesures, une grande proportion, soit 20 % environ, des soins consécutifs à une opération esthétique dispensés en France font suite à une opération réalisée à l’étranger, dans le cadre du « tourisme esthétique » : quand les gens rentrent de Thaïlande, du Liban, du Brésil ou d’ailleurs et que l’opération ne s’est pas bien passée, c’est à la charge de la collectivité nationale qu’ils se font soigner ici ! Je trouve cette situation tout à fait anormale, car je ne vois pas pourquoi notre système de santé devrait supporter le poids des soins postopératoires dans de tels cas. Je déposerai plusieurs amendements en ce sens dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Pour ma part, je crois qu’il faudrait communiquer avec le public plutôt que réglementer. J’ajoute, madame la ministre déléguée, que, pour de tels sujets, l’intégration dans notre dispositif juridique de la class action, c’est-à-dire des actions de groupe, devient de plus en plus nécessaire. Le cas des prothèses PIP, qui a donné lieu à la mission, nous donne l’occasion d’y réfléchir, mais je ne parle pas là seulement de chirurgie. Au-delà, je pense à des drames aux conséquences encore plus graves, comme l’amiante, dont je ne saurais dire combien de personnes elle touche dans mon département : on ne peut pas laisser les victimes de fraudes, patients ou clients, isolées, seules face au système judiciaire et à des entreprises ou à des individus ayant beaucoup plus de moyens qu’elles pour se défendre. Je terminerai tout à fait en disant que cette mission a été passionnante et menée de mains de maître par sa présidente, Chantal Jouanno, et par son rapporteur, Bernard Cazeau. Ceux qui me connaissent dans cette maison savent que je n’ai pas pour habitude de dire ce que je ne pense pas. Je vous remercie donc, madame la présidente, d’avoir obtenu et mené à bon port, sans doute pour une escale temporaire, cette mission. (Applaudissements.)