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Le JDD: Françafrique: S’il se reconnait dans la position "sincère" de l’actuel chef de l’Etat, l’élu centriste regrette que, parfois, le socialiste "tourne le dos à ce qui a été fait".
Jean-Marie Bockel 14/10/2012

Bockel : Hollande "lucide et réaliste" à Dakar

INTERVIEW – Jean-Marie Bockel, qui était secrétaire d'Etat à la Coopération et à la Francophonie quand Nicolas Sarkozy avait prononcé son discours de Dakar, en 2007, décrypte pour leJDD.fr les propos tenus par François Hollande devant le Parlement sénégalais, vendredi. S'il se reconnait dans la position "sincère" de l'actuel chef de l'Etat, l'élu centriste regrette que, parfois, le socialiste "tourne le dos à ce qui a été fait".
François Hollande s'est démarqué en assurant qu'il ne prononçait pas le discours inversé celui fait par Nicolas Sarkozy, il y a cinq ans. Quelle est votre impression? Le discours de Dakar de François Hollande me paraît aller dans le bon sens. Il n'y avait pas seulement la démarche de se démarquer du passé. Il y a des choses positives qui ont été faites dans le passé, qu'il faut retenir, et des choses négatives, dont il faut tirer des leçons. François Hollande doit maintenant amplifier une démarche pragmatique, déjà entamée sous le précédent quinquennat : construire une autre relation à l'Afrique.   Comment "écrire cette nouvelle page avec l'Afrique", comme le veut François Hollande? Il faut porter un autre regard sur ce continent. Il a beaucoup changé ces dernières années. Ses pays sont en pleine expansion, en plein développement. L'illettrisme, la guerre et la corruption y reculent. Même s'il reste bien sûr des zones de conflit comme au Mali ou dans les régions orientales, le Nord-Kivu surtout, de la République démocratique du Congo (RDC) où se rend d'ailleurs le chef de l'Etat pour le sommet de la francophonie samedi. On a trop souvent ce défaut de percevoir l'Afrique sous un prisme déformant. On parle toujours de ce qui ne va pas sur ce continent. Or cette région du monde ne se réduit pas à cette image caricaturale. «Les Africains savent que nous avons une connaissance plus fine de leur continent que la Chine ou le Brésil.»   François Hollande a-t-il réussi à s'éloigner de cette image? Oui, son discours est assez lucide. Il a porté un regard différent, a posé un diagnostic réaliste et peut donc initier une nouvelle relation, et ce, dans notre intérêt. Nous avons en Afrique des relations diplomatiques traditionnelles mais aussi des partenariats économiques, qui ont reculé depuis une quinzaine d'années en termes d'investissement ou de commerce extérieur. Les chiffres le montrent. Et tout cela au profit d'autres pays.   N'est-il pas trop tard face à des puissances émergentes qui ont désormais noué des relations solides avec les pays africains? Nous sommes encore là. Nous ne sommes pas la Chine qui déverse des tombereaux d'or, pas toujours à bon escient, ou le Brésil, qui a inauguré 17 ambassades d'un coup. Mais nous avons en partage une langue et une histoire commune. De nombreux moments ont été durs, des guerres mondiales à la décolonisation. Il y a une attente de la France en Afrique. Il faut toutefois inventer une relation sans juger, sans condescendance. Un partenariat sain, équilibré, sincère - j'aime bien ce mot employé par François Hollande - est nécessaire. C'est cette carte qu'il faut jouer à présent. D'autant que les Africains savent que nous avons une connaissance de leur continent plus fine, différente de leurs nouveaux partenaires. «Il est normal que François Hollande veuille imprimer sa marque.»   Avoir remplacé le ministère de la Coopération, dont vous avez eu la charge en 2007-2008, par celui du Développement était-il un acte symbolique important? C'était inéluctable. A l'époque où j'avais la charge de ce portefeuille, tous mes homologues européens étaient déjà à la tête d'un secrétaire d'Etat au Développement. La Coopération était une dénomination chargée, faisant allusion au passé de la "Francafrique".  Après, il faut que les actes suivent. Celui qui en a la charge (Pascal Canfin, Ndlr) a des idées saines.   Pour la France, 10% du produit de la Taxe sur les transactions financières (TTF) sera consacrée à l'aide au développement. Est-ce assez? C'est beaucoup mieux que 0%. C'est un premier pas. Cette taxe est une bonne idée, d'autant qu'elle sera appliquée par onze pays européens- sinon, elle n'aurait pas d'intérêt. Elle s'inscrit d'ailleurs dans la continuité de l'action de Nicolas Sarkozy, qui l'a mise en place.   François Hollande a annoncé que l'accord de défense entre la France et le Sénégal a été revu et sera ratifié par les parlements des deux pays… Là encore, c'est Nicolas Sarkozy qui l'avait décidé. Après avoir été son secrétaire d'Etat à la Coopération et à la Francophonie, j'ai été détaché auprès du ministère de la Défense. Et j'avais préparé cette révision de l'accord de défense. Mais c'est toujours bien de réaffirmer ces bonnes décisions. Il est normal que François Hollande veuille imprimer sa marque, mais il peut le faire sans systématiquement tourner le dos à ce qui a été fait. Ce qu'il ne fait pas d'ailleurs, comme le prouvent ces annonces. «L'affaire des biens mal acquis nous a fait du tort.»   François Hollande a insisté sur le fait que la France facilitera le travail de la justice dans les affaires de biens mal acquis. Ce dossier, qui a été médiatisé durant l'année 2008, a-t-il parasité le mandat de Nicolas Sarkozy? Le parasitage est essentiellement dû à une mauvaise interprétation de nos institutions que font parfois nos partenaires africains. En France, les pouvoirs politique et judiciaire sont séparés. Or, quand j'étais aux responsabilités, nous avons annoncé la déclaration de mort de la "Francafrique". Au même moment, l'affaire des biens mal acquis a été médiatisée. Certains, sur le continent africain, ont cru qu'il y avait une action concertée. Du coup, cette affaire de biens mal acquis nous a fait du tort, notamment sur nos partenariats économiques. Gaël Vaillant - leJDD